Les nouvelles de ce recueil sont bien de nulle part. Les histoires que l'auteur nous y raconte pourraient en effet se dérouler n'importe où.
Ce qui leur confère d'emblée un caractère universel.
Seuls comptent le récit des actions des personnages ou leurs dialogues. Seuls importent le fin-fond de leurs pensées ou les rapports qui les lient ou les délient entre eux.
C'est dans ces moments-là que l'on regrette de ne pas connaître la langue de Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski, que la trahison des traducteurs, qui leur est inhérente, ne peut même pas empêcher d'aimer...
Dans ces nouvelles il est question d'amours, d'adultères, de crimes, de souffrances, de délires, de troubles, de surprises qui laissent certains des personnages pantois. Tout ce qui peut, en somme, favoriser la détresse, propre à l'humaine condition.
Et, plus précisément, côté femmes.
Une femme redoute ainsi, plus que tout, la solitude, ce qui va la conduire au crime:
"L'isolement partagé n'est pas comparable à celui qui vous laisse au milieu de tous."
Une autre explique ainsi sa boulimie de partenaires:
"Je ne crois pas avoir opté pour le partage sexuel sans avoir, au préalable, senti mon corps se
détacher de moi."
Une autre se tourmente irrémédiablement:
"En mettant fin à la vie que je portais, j'ai sacrifié ce que j'avais de plus cher et qui serait devenu mon plus grand désespoir aussi."
Une autre vend son corps aux hommes parce qu'elle a du coeur:
"Elle estimait ne pas se prostituer dès lors qu'elle "faisait ça" presque par amour, du moins pour dépanner des hommes qui en avaient besoin."
Une autre avoue à son amant, résignée:
"J'avais été prévenue de ton goût des femmes mais j'ai cru te suffire sans comprendre que l'un n'excluait pas l'autre."
Du côté hommes, la détresse n'est pas moins vive:
"Il n'avait appris de l'amour que la continence des sentiments, une rigoureuse pudeur ou alors un dévouement sans faille."
Cet autre, bêtement soumis, reconnaît:
"Je n'étais pas prisonnier de sa démence mais de mon impuissance à la quitter."
Et pourtant son amante est bien démente puisqu'elle a demandé à sa fille de séduire son père pour éviter qu'il ne parte avec une maîtresse et ne les abandonne toutes deux, pour, après, demander le divorce pour ce motif-là ...
Ces nouvelles sont courtes. Une page. Quelques pages. Mais elles sont denses, invitent à la relecture pour en saisir tout le suc. Car, tous les mots y sont pesés et, pourtant, ils entretiennent le mystère de personnages qui ne se livrent qu'en partie et laissent le lecteur sur sa faim de les connaître davantage.
Ces personnages ne sont pas ordinaires. Ils ne sont pas extraordinaires non plus. Mais ils sont singuliers, de par les réflexions qu'ils se font à eux-mêmes ou qu'ils font aux autres, de par les chimères qu'ils poursuivent, de par leur incapacité à exprimer leurs sentiments à ceux qu'ils aiment ou qu'ils rencontrent, de par l'incompréhension que les autres ont à leur égard ou qu'ils ont pour ces autres.
Hélène Richard-Favre nous parle donc de la vie, qui, pour ses personnages, en tout cas, n'est pas un long fleuve tranquille. Mais pour qui l'est-elle?
Francis Richard
Nouvelles de nulle part, Hélène Richard-Favre, 176 pages, URSS