Depuis que j’ai participé il y a quasiment une année à la rencontre « Carrefour d’Europe » à Pavia en Italie, j’ai eu l’impression de rester un peu sur ma faim. Les routes religieuses s’y sont bien rencontrées, mais n’étaient au fond invitées que pour parler chiffres et technique. Alors que je m’apprête à participer à la seconde édition de ces carrefours qui aura lieu cette fois à Toulouse, je voulais m’interroger sur le tourisme religieux tel qu’il s’exprime, souvent au-delà des religions elles-mêmes, dans le contexte européen.
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Je suis toujours ravi de recevoir dans ma boîte à lettres une enveloppe en papier contenant une revue imprimée avec de l’encre dont les photographies en couleurs font rêver. Une revue que je peux extraire, feuilleter, laisser sur ma table, reprendre quand je le souhaite, puis classer dans ma bibliothèque où elle restera là pour quelques années à dialoguer avec des romans qu’elle va – à force de cohabitation - découvrir au cours du temps et qui vont, je l’espère, la contaminer et la subvertir. Mystère insondable des bibliothèques où se jouent des drames secrets qui font que les textes changent quand on les reprend plusieurs années après les y avoir déposés. Je sais, j’ai l’air de me contredire ! Je me suis en effet parfaitement habitué à l’immatériel. Je peuple moi-même de manière impénitente et parfois répétitive l’espace numérique et les revues auxquelles dont je suis un abonné s’y soumettent aussi ! Elles sont, à leur tour, devenues téléchargeables. Je les emporte donc avec moi dans des dossiers virtuels où elles ne voient plus personne, où elles ne savent même pas si elles ont une existence réelle et quel rapport elles entretiennent encore avec ceux qui, un jour, en ont écrit les textes. J’espère qu’elles y rencontrent tout de même des logiciels espions qui cherchent à savoir si elles ne complotent pas à déstabiliser le monde. Si le monde savait ce qu’est réellement le pouvoir de l’écriture et se souvenait du rôle révolutionnaire qu’a eu le premier ouvrage sorti des presses, les logiciels espions seraient encore plus nombreux !Tout cela pour dire que je remercie sincèrement Gaëlle de la Brosse et ceci doublement : à la fois pour avoir pensé à moi dans ma retraite strasbourgeoise et pour m’avoir redonné l’envie de feuilleter un numéro – hors-série comme on dit – qui parcourt les nouveaux pèlerinages contemporains (Marcher sur les nouveaux chemins. Pèlerin Hors-Série et carte Michelin Les nouveaux itinéraires du sacré. Avril 201). Je remercie également Luca Bruschi de m’avoir suggéré d’écrire un article qui parle de la spiritualité, celle de la purification du chemin et de la purification de l’eau en remontant ainsi aux origines, quand la source elle-même était un lieu de pèlerinage et de purification. Je vais me préparer ainsi à faire le lien entre plusieurs itinéraires européens. Cet article paraîtra dans le prochain numéro de la Revue Via Francigena qui sera présenté le 8 juin prochain al Colle di Val d’Elsa.La concomitance des deux événements m’a obligé à revenir sur mes pas et de remplir un vide dans lequel m’avaient laissé les présentations de Pavia.
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Vingt-cinq années
Vingt-cinq années après ! Vingt-cinq années d’une recherche échevelée de l’effort et du dialogue, d’une célébration inlassable et quotidienne du partage par des millions, que dis-je des dizaines de millions de pèlerins et de marcheurs ? Et puis il faut bien le dire, une réelle déception devant une célébration purement diplomatique de l’itinéraire culturel européen face la cathédrale de Compostelle en octobre dernier. Une célébration un peu fantomatique loin des pèlerins eux-mêmes et des associations qui les aident à s’approprier un effort complexe, à lui conférer de l’élan. Mieux que rien ?
De quoi donner cependant la nostalgie de la célébration inaugurale et de celle du vingtième anniversaire où la Place de la cathédrale de Saint Jacques de Compostelle était noire de monde et écoutait les paroles des jeunes : anglais, français, castillan et galicien mêlés, de donner le regret de l’exposition qui a symbolisé à la fois toutes les valeurs rassemblées et tous les chemins dessinés pendant toutes ces années et qui n’a pu malheureusement être transportée ailleurs, regret enfin des rues marquées du nom de tous les itinéraires européens, dans toutes les langues de l’Europe : moments éphémères mais inoubliables.
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Et la démarche qui a fait en sorte que ce même chemin de Foi et de Spiritualité soit aujourd’hui, en affirmant une laïcité, au-delà de la transcendance, un Chemin de dialogue européen, une sorte de laboratoire de (re)construction européenne à ciel ouvert, n’est pas seulement un signe tangible de modernité, mais une affirmation que prendre le Chemin, c’est abandonner des préjugés et être prêt à être « mesuré » par l’autre à l’aune de l’accueil.
Nouveaux Chemins ?
Lorsqu’on lit ce hors-série du Pèlerin on peut dire en effet que les temps ont changé et le voir, page après page par la variété des propositions. Et on se rassure très vite sur la permanence des valeurs, en lisant des témoignages de ceux qui marchent. Que ces marcheurs soient Immortels, garants de la langue ou de l’esprit européen ou qu’ils découvrent la fin d’un égoïsme et le début du dialogue en posant simplement un pas devant l’autre. Pour les suivre depuis vingt-cinq ans, je suis bien en effet persuadé qu’ils ont changé, mais dans le meilleur sens du terme, en gardant la flamme de l’esprit du voyage et en traçant peu à peu une totalité du pèlerinage historique dans la diachronie où les voies se succèdent, se croisent et se confondent.
Le portfolio qui ouvre le numéro est superbe. Il donne envie de prendre le sac et de découvrir l’Europe au plus vite. La célébrer dans l’effort des pentes et le soulagement des sommets. Prendre l’Europe à pleins poumons quand parfois son odeur politique nous empêche de respirer. Un moment parfait quand vient la semaine où l’on se souvient des grandes dates des Traités qui ont écrit l’Europe, de Londres à Rome.
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Phénomène mondial par la diversité des origines de ceux qui marchent. Phénomène européen par le réseau qui s’est mis à irriguer, grâce à de nombreux petits cours d’eau, des fleuves qui se sont affirmés dans un lit bien balisé vers Compostelle ou Rome, Nidaros ou Le Mont Saint Michel. Des milliers de marcheurs qui convergent, se côtoient, se choquent et parfois se gênent tant ils sont nombreux, mais qui se souviennent séparément de leur port d’attache tout en regardant tous ensemble le même but.
En ce sens, l’esprit de ceux qui sont repartis après la Seconde Guerre Mondiale pour ressentir le soulagement de l’effet physique de traverser une frontière, est toujours là, même si leur frontière d’aujourd’hui est plus personnelle et moins politique. Les camps de prisonniers et les goulags européens se sont quasiment tous ouverts. Restent les barrières sociales, mais les chemins ont aussi permis de les estomper, le temps de la marche, dans le partage de la fatigue en ouvrant la voie à une meilleure compréhension. Un partage de la crise, aussi, dans une certaine mesure. Une prise en compte commune de la peur, même si elle a changé de visage.« La vertu de l’ascension » comme l’écrit Jean-Christophe Rufin (Immortelle randonnée. Compostelle malgré moi. Editions Guérin. Avril 2013).dans un élan mystique auquel je préfère personnellement donner le nom de spiritualité. En caractérisant sa propre progression dans la longue marche sans rupture, sinon parfois la cassure du corps, il évoque aussi un pèlerinage bouddhiste, comme s'il avait peu à peu discipliné son corps et senti un souffle venu d’un ailleurs souhaité, depuis un monde qu’un président français nommait celui des forces obscures. Chacun continue en effet à trouver sa foi, étape par étape, aujourd’hui comme aux lendemains du grand drame. Chacun entretient à sa manière une conviction tremblante faite de morceaux de vie et d’espérances mélangées. L’immortelle randonnée nous renvoie aux origines. Quand prendrions-nous sinon le temps de faire cette recherche intérieure, autrement que dans la solitude d’une multitude en marche ? Quels autres itinéraires nous ramènent ainsi aux origines et à une sorte de confiance aveugle qu’il y a eu une histoire et qu’elle n’est pas terminée ?
HospitalitéJ’ai envie de redire (L’Hospitalité, fondement d’une culture européenne : le Pont de l’Europe. Arles, 1er Congrès Européen de l’Union Jacquaire 1er mars 2008) qu’il s’agit en quelque sorte d’un grand saut dans l’inconnu d’une vision européenne commune, mais dont on doit avec humilité, accepter les différences locales, à l’épreuve des identités ouvertes. Je ne peux donc que me féliciter du fait qu'en vingt-cinq années se sont ajoutées d’autres voies de pèlerinage vers d’autres sanctuaires, certains plus anciens, certains plus récents, d’autres parallèles, complémentaires ou alternatifs, ou qu'on cherche de nouveau à explorer les grandes voies du monachisme, de l’Ouest, comme de l’Est. Cette diversité conforte la démarche européenne en dressant une carte certes complexe, mais vivante et mouvante, d’une Europe en marche, trouvant à la fin la victoire de l’Hospitalité contre l’Hostilité et redécouvrant l’aménagement du territoire, comme une intelligence du paysage pour celui qui en devient un hôte.
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