Vous pouvez le constater à chaque fois que vous regardez un match d’une franchise néo-zélandaise, le vivier du pays au long nuage blanc est sans limite. Un vivier incommensurable qui fait jalouser toutes les autres nations de la planète. C’est devenu bête à dire mais par définition, le joueur kiwi est bon. Quand le staff des All Blacks doit composer un squad, les choix sont systématiquement cornéliens.
Ici Charles Piutau ballon en main plaqué par Johnny McNicholl (à gauche) sous leurs maillots respectifs d’Auckland et de Canterbury. L’ITM Cup, ce laboratoire à ciel ouvert du rugby néo-zélandais…
Sudrugby vous propose aujourd’hui ce qui pourrait ressembler à une équipe des All Blacks dans cinq ou dix ans. Une équipe à 0 sélections mais pour le moins ultra-talentueuse. Sans les Sam Cane, Aaron Cruden et autres Brodie Rettalick mais avec les Gareth Anscombe, Charles Piutau, TJ Perenara et Cie, encore néophytes au niveau international et tous en-dessous de la barre des 25 ans (ainsi pas de Todd, de Braid, de Fruean ni de Crotty, etc tous âgés de plus de 25 ans, cela aurait été trop facile). Tour d’horizon de la crème de la crème, bref de la jeunesse qui compose aujourd’hui les franchises néo-zeds. Et dire qu’au même moment, Philippe Saint-André se plaint de ne pas avoir assez de joueurs talentueux à sa disposition…
1. Reggie Goodes (Hurricanes)
A 22 ans, Reggie Goodes a tout du prototype du pilier du futur. Mobile, pas maladroit ballon en main et percutant, Goodes – pour sa deuxième saison pro – éclate. C’est avec brio qu’il a marqué sa première titularisation en Super Rugby, face aux Waratahs lors de la 8ème journée. Mais depuis, Goodes n’a plus eu pareil honneur, la faute à ce Ben Franks, inévitable titulaire en grande forme actuellement. Goodes est aussi en pleine concurrence avec Ben May, plus expérimenté. Pas facile alors de se frayer un chemin dans le XV type des Canes. Mais Goodes a l’avenir pour lui.
2. Liam Coltman (Highlanders)
Liam Cotman a fait forte impression contre les Chiefs, match où il honorait sa première sélection en Super Rugby (6ème journée). Autant par son abatage que par son look, Coltman décoiffe. Oui mais voilà, cette titularisation – était seulement due à la blessure momentanée d’Andrew Hore, capitaine des Highlanders. Et du coup – à l’instar de Reggie Goodes – Coltman truste désormais le banc. Mais à 35 ans, la fin n’est plus très loin pour Hore… Tout bénef’ pour Coltman !
3. Ben Tameifuna (Chiefs)
A la différence de Goodes et de Coltman, Ben Tameifuna s’est déjà fait un nom dans le Super Rugby. Et il est loin d’avoir été étranger au titre des Chiefs l’an passé. Ce qui lui avait valu – excusez du peu – une nomination en juin dernier dans le squad des Blacks à seulement 20 ans. Peut-être légèrement moins performant que l’an passé et malmené un temps par Pauliasi Manu, Tameifuna n’en démérite pas moins et du haut de ses 137 kilos et fait parler sa puissance hors du commun. Il pourrait profiter de la longue absence de Charlie Faumuina pour s’imposer à droite comme n°2 chez les Blacks, derrière Owen Franks.
4. Dominic Bird (Crusaders)
Lui-aussi avait profité de la blessure du titulaire indiscutable (en l’occurrence Romano) pour être titularisé, à deux reprises. Et par deux fois Dominic Bird a fait mouche. Etonnamment mobile pour ses 2m06, bon plaqueur et actif dans les rucks, « l’oiseau » aurait pu prétendre à une place de titulaire grâce à ces deux prestations haut de gamme. Mais on ne déloge pas ni Romano ni Whitelock en deux matchs. Bird devra attendre un peu.
5. Liaki Moli (Blues)
C’est l’an passé que Liaki Moli s’est révélé dans le collectif amoindri des Blues. Mieux, Moli s’était affirmé comme l’un des seuls avants d’Auckland à avoir la tête hors de l’eau. Doté d’une sacré fougue, Moli « s’y filait » allégrement comme on dit en défense, les Blues passant l’an dernier beaucoup de temps à défendre… Mais une année a passé, les Blues ne sont plus ce qu’ils étaient et Moli non plus. Barré en deuxième ligne par Ali Williams, Culum Rettalick – tous deux en grande forme – et par Anthony Boric de retour d’une très longue blessure, Moli n’est désormais que l’ombre de lui-même et ne fait plus parti des squads des Blues. Il faudra certainement attendre l’ITM Cup avec Auckland pour avoir de nouveau du temps de jeu.
6. Steven Luatua (Blues)
Depuis le début de saison, Steven Luatua n’en finit plus de crever l’écran. Déjà l’an passé Luatua avait fait quelques apparitions remarquées et remarquables que ce soit en deuxième ligne – son poste de formation – ou en troisième ligne, côté fermé. Mais cette année, Luatua signe performances sur performances, pour le coup dans le backrow. Le tout grâce à une activité de la même trempe que Luke Braid, son confrère de troisième ligne. C’est dire… Régulièrement au-dessus de la douzaine de plaquages réussis et gratteur par intermittence, Luatua n’a pas moins pour qualité première que son explosivité en attaque qui l’amène a souvent créer des brèches. Et il offre de bonnes garanties en touche. De quoi amortir le départ de Jérome Kaino sans trop de soucis…
7. Ardie Savea (Hurricanes)
Désormais, Ardie Savea fait parti de la longue liste des successeurs désignés de Richie McCaw. Il ne lui a pas fallu beaucoup de temps. Un match en réalité face aux Waratahs. Mais quel match ! Formidable plaqueur, fetcher en herbe et surtout doté d’une explosivité balle en main qui n’est pas sans rappeler celle de son frère Julian, Ardie Savea a tout pour lui. Et notamment l’avenir, du haut de ses 19 ans. Ses stats face aux Waratahs ? Les voici : 21 plaquages réussis pour 1 manqué, 10 courses balle en main, 3 ballons grattés et une off-load. Pas mal pour sa grande première en Super Rugby non ? Ardie Savea devra cependant prendre le meilleur sur Karl Lowe, revenu de blessure, s’il veut prétendre à une place de titulaire. A confirmer donc.
8. Brad Shields (Hurricanes)
Brad Shields a (déjà) tout d’un grand. Pendant les convalescences de cadres du paquet d’avant des Canes (Vito, Lowe, Franks, Coles, Eaton), Shields s’est imposé comme un taulier du pack de Wellington. Le tout en quelques matchs. Fort au contact, plaqueur régulier et formidable attaquant, Shields apporte beaucoup aux Hurricanes. Ses bonnes performances de l’an passé ainsi que celles de ce début de saison se sont peu à peu mutées en performances haut de gamme. A tel point que Shields pourrait prétendre à une place dans le prochain squad des Blacks, notamment grâce à sa polyvalence n°6/n°8. Affaire à suivre…
9. TJ Perenara (Hurricanes)
Des trois jeunes demis de mêlée kiwis qui ont émergé l’an dernier (Aaron Smith, Tawera Kerr-Barlow et donc lui), TJ Perenara en est sans doute le moins chanceux car c’est le seul à ne pas avoir inauguré sa première cap sous le maillot des All Blacks. Il s’en est fallu de peu tant Perenara est un n°9 de choix. Leader par nature et relativement performant dans sa gestion du jeu, Perenara excelle surtout par son peps, ses prises d’intervalles et sa défense incisive. Reste à peaufiner un rôle d’éjecteur qui lui fait défaut, à la différence de Kerr-Barlow et surtout d’Aaron Smith. Mais Perenara n’a que 20 ans.
10. Tyler Bleyendaal (Crusaders)
Cette année encore, les Crusaders ont dû faire sans Dan Carter, blessé pendant plusieurs semaines. Pas grave, Tyler Bleyendaal veillait derrière lui. L’élève marche sur les pas du maître. Bleyendaal a clairement haussé son niveau de jeu par rapport à l’an dernier. Propre techniquement, assez bon attaquant, intéressant dans la gestion du jeu en attaque, Bleyendaal excelle surtout par son jeu au pied à la fois intelligent et ô combien précis. Seul bémol peut-être, sa tenue en défense qui paraît un peu faiblarde. Tout le contraire de Carter qui ne se trompe que rarement en défense. Comme quoi l’élève a encore beaucoup à apprendre du maître.
11. Charles Piutau (Blues)
S’il y a bien un jeune joueur qui a explosé dès les tout premiers matchs, c’est Charles Piutau. Profitant de l’osmose de la jeune génération au sein du collectif des Blues, Piutau a vite gagné la confiance de John Kirwan et de son staff pour s’imposer comme un cadre de l’attaque de la province d’Auckland, au côté de Rene Ranger et Cie. Doté d’une grosse accélération, d’une bonne explosivité, d’une habilité sans faille sous les ballons hauts, Piutau donne systématiquement (ou presque) des sueurs froides en défense. A l’aube de la 8ème journée, Piutau était encore le joueur qui cassait le plus de plaquages en Super Rugby (au nombre de plus de 4 par match). C’est dire… A noter qu’il est bien meilleur en n°15 – son poste de prédilection – qu’en n°11.
12. Francis Saili (Blues)
Fort physiquement, vif, perforateur, Francis Saili formait une paire de centre irrésistible aux côtés de Rene Ranger. Mais malheureusement le cadet des Saili (son frère joue n°8) a été rattrapé par la justice il y a deux semaines de cela. En effet, il a conduit une voiture bien qu’il n’ait plus son permis. Cela n’a pas plus au staff des Blues et sa saison est mise entre guillemets pour le moment. Dommage, tant Saili était l’une des figures de proue de l’attaque des Blues, l’une des meilleures de ce Super Rugby. A 22 ans, Francis Saili devrait se voir offrir une deuxième chance, l’an prochain ou au mieux en fin de saison.
13. Jason Emery (Highlanders)
A l’origine, on imaginait mal ce minot (il a 19 ans) s’imposer au centre de l’attaque des Highlanders qui faisait figure d’épouvantail (Nonu, Ellison, Treeby, Burleigh). Mais grâce aux blessures de longue date d’Ellison et de Treeby, Emery s’est imposé en second centre. Bien lui en a pris, il est l’un des seuls Highlanders à semer la pagaille dans les défenses adverses. Si Emery n’est pas très costaud physiquement (il mesure 1m73), il n’en est pas moins extrêmement vif, joueur et par-dessus tout sent les bons coups. De quoi en faire un redoutable attaquant, à l’avenir ô combien prometteur.
14. Tom Marshall (Crusaders)
Les Crusaders avaient l’an passé décoché un utility back de choix en la personne de Tom Taylor. Force est de constater qu’ils en ont trouvé un autre, tout aussi bon voire meilleur à savoir Tom Marshall. Qu’il joue premier centre, ailier ou arrière, Marshall épate par sa grande panoplie technique – polyvalence oblige – mais aussi par ses qualités pures d’attaquant. Il représente clairement une option supplémentaire aux Saders en attaque. Et Marshall a déjà offert une alternative plus que rentable lors des absences de Guildford puis de Dagg.
15. Gareth Anscombe (Chiefs)
Ne cherchez plus, c’est LA bonne pioche de la dernière intersaison. Passé des Blues aux Chiefs, Gareth Anscombe affiche une régularité sans faille, tant dans ses tirs aux buts (il a en effet chipé la place de buteur attitré à Aaron Cruden s’il vous plait) que dans ses interventions dans la ligne d’attaque, toujours justes. Ancombe ne fait jamais rien de phénoménal mais tout ce qu’il fait il le fait bien. C’est aussi ça le talent. Barré par Cruden à l’ouverture, Anscombe a glissé à l’arrière. Il représente l’avenir chez les Blacks, aussi bien en n°10 qu’en n°15. Tout comme Beauden Barrett.
Remplaçants :
16. Ben Funnell (Crusaders) – 17. Jeffery Toomaga-Allen (Hurricanes) – 18. Blade Thomson (Hurricanes) – 19. TJ Ioane (Highlanders) – 20. Augustine Pulu (Chiefs) – 21. Tim Nanai-Williams (Chiefs) – 22. Johnny McNicholl (Crusaders).
Dans ce squad imaginaire, les Hurricanes sont majoritaires – ils sont six – suivis des Crusaders (cinq) puis des Blues et des Chiefs (tous deux à quatre) et enfin des Highlanders (trois). La moyenne d’âge de ce squad tourne à 21.8 ans. Imaginez un peu…
Et on ne peut – après avoir démontré la qualité individuelle indiscutable des joueurs néo-zeds – ne pas évoquer la qualité de la formation en Nouvelle-Zélande. Si le réservoir néo-zed est aussi riche, c’est pour beaucoup dû à une formation exceptionnelle et surtout à ce qui en est fait. C’est aujourd’hui le nec plus ultra du rugby néo-zélandais. Il repose dessus. Car on ne le répète pas assez mais la Nouvelle-Zélande avant d’être un territoire d’athlètes de haut niveau n’est ni plus ni moins qu’une pauvre île de 4.3 millions d’habitants perdue au milieu du pacifique. A titre indicatif, ce n’est même pas la population de la Bretagne… La recette vient donc d’autre part. Elle vient effectivement de la formation. Les spécialistes le disent et le répètent, la formation néo-zed est sans doute la meilleure au monde. Comme quoi on ne devient pas champion du monde sans une formation de qualité. Et sans un système en béton. « Notre système est, de loin, le meilleur reconnaît Laurie Mains, sélectionneur des Blacks de 1992 à 1995. La pyramide part des clubs. Ensuite, il y a les provinces, les franchises du Super 15 et tout en haut les All Blacks. A chaque étage, la crème de nos joueurs se développe, peut côtoyer des joueurs déjà All Blacks, travaille avec de meilleurs entraîneurs. Or, plus il y a d’étapes à franchir sur la route, plus la motivation pour réussir est forte et perdure. »
Une des autres caractéristiques – payantes – de la formation kiwi n’est autre que celle-ci : sa liberté d’entreprendre. C’est en grande partie ce qui la différencie de la formation européenne et notamment française. Là-bas, libre court est laissé aux joueurs et aux entraîneurs vis-à-vis des postes. Un jeune joueur peut aisément évoluer à 3 ou 4 postes différents au cours de sa jeune carrière sans que cela pose le moindre problème. Au contraire même. Le joueur développe ainsi des qualités techniques hors-pair, étoffées par la diversité des postes joués. On en revient toujours à ces skills… . D’ailleurs, si l’on enlevait les numéros des maillots des All Blacks, il serait difficile dans le jeu courant de dire qui joue à tel poste. Et ceci n’est vrai uniquement que pour les Blacks. C’est bien la preuve que la panoplie technique des Néo-Zélandais fait mouche.
Il ne faut pas s’étonner non plus si les avants néo-zeds sont aussi mobiles sur le pré et aussi habiles balle en main. Ce savoir-faire est acquit au cours d’une formation qui fait non seulement la part belle à la technique mais aussi au jeu. Et ce jeu, c’est aujourd’hui l’essence du rugby néo-zed. Cette même essence dans le jeu des Baby Blacks qui l’était déjà du temps des John Kirwan, Grant Fox et autres Zinzan Brooke. Le secret est là, à la racine. Et ces racines ont par la suite donné lieu à un arbre. Et quel arbre.
Néanmoins, il y a la formation certes, mais il y a aussi ce qu’on en fait. Et là encore, les Kiwis font la part belle aux jeunes que ce soit en ITM Cup ou en Super Rugby. Une politique qui vise à donner du crédit aux jeunes joueurs émergents, bien qu’ils soient inexpérimentés. Quitte à enterrer un ancien All Black. Ainsi l’an dernier, Tom Taylor a pendant plusieurs semaines été préféré à Dan Carter – encore convalescent – au poste d’ouvreur, dans le jeu au pied et dans la charge des tirs aux buts. Et pourtant, n’est pas Dan Carter qui veut. Idem chez les Highlanders l’an passé où le staff n’a pas hésité à donner du crédit à Aaron Smith, en lieu et place d’un Jimmy Cowan, titulaire chez les Blacks un an plus tôt. Chez les Chiefs, chose qui en a épaté plus d’un, Wayne Smith a fait le choix d’attribuer la charge du jeu au pied et des tirs aux buts à Gareth Anscombe, nouveau venu à la place d’Aron Cruden, pourtant meilleur réalisateur du championnat l’an passé. Pourtant, Cruden n’est pas vieux, il a 24 ans. C’est déjà deux de plus qu’Anscombe… Et ce qui est remarquable derrière ces choix, c’est leur justesse et leur audace, notamment dans le fait de donner de la confiance à des joueurs du jour au lendemain, souvent à des postes de hautes responsabilités (demi de mêlée, demi d’ouverture, etc.) Vous avez dit intelligent ? Un système à des années lumières de ce qui est fait aujourd’hui en Top 14. Il ne faut pas se plaindre après de ne pas trouver d’ouvreurs alors que l’on a à disposition 14 clubs, contre 5 en Nouvelle-Zélande. N’est-ce pas M. Saint-André ? Ajoutez à cela le fait que les joueurs soient à la charge de la fédération, de la NZRU et non pas des clubs comme en Top 14 et le compte est bon…