Petite dérogation au rendez-vous hebdomadaire asiatique habituel cette semaine : je préfère poursuivre mes billets sur mes visionnages du Festival Séries Mania (sinon, je ne vais jamais m'en sortir côté plannification du blog). C'est donc l'occasion aujourd'hui de continuer le tour d'Europe entrepris par My Télé is Rich! pour poser cette fois nos valises dans un nouveau pays : la République Tchèque. Dimanche après-midi avait en effet lieu au Forum des images la projection du premier épisode de la mini-série, Hořící Keř (que l'on peut traduire en français par "buisson ardent") et dont le titre international est Burning Bush (une lecture complémentaire sur ce petit écran d'Europe de l'Est par ici : Czech-point drama).
Il est intéressant de noter qu'il s'agit de la première série de HBO Europe. Sa conception a été confiée à une figure expérimentée, la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland (les sériephiles garderont notamment en tête qu'elle a réalisé quelques épisodes de The Wire, Treme ou encore The Killing). Hořící Keř compte au total trois épisodes, d'1h20/30 chacun. Sa diffusion en République Tchèque a débuté le 27 janvier pour s'achever le 10 février 2013, soit quelques semaines après la célébration par les Tchèques du 44e anniversaire de l'évènement sur lequel la fiction revient : la disparition de Jan Palach, devenu un symbole national tchécoslovaque de la résistance au communisme. Pour resituer les conditions de cette diffusion, je vous invite à consulter cet intéressant article sur MediaCZECH, publié en janvier dernier.
Hořící Keř ne revient pas sur la vie de Jan Palach, mais va plutôt s'intéresser aux conséquences immédiates de son geste, dans la Tchécoslovaquie de la fin des années 60. La mini-série s'ouvre en janvier 1969 par une scène très dure, celle de l'immolation de ce jeune étudiant pragois qui entend ainsi protester contre l'occupation soviétique du pays qui dure depuis plusieurs mois. Le premier épisode s'attarde sur l'impact que va avoir son geste, tant sur le pays et sur les enjeux politiques qu'il réveille - le printemps de Prague s'est clôturé en août de l'année précédente par l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie -, que sur sa famille, puisqu'il laisse derrière lui un frère et une mère très éprouvée.
La suite prendra un tournant plus judiciaire. Plusieurs semaines après cet évènement, des officiels du régime communiste commencent à s'en prendre à la mémoire du défunt, réécrivant l'histoire à leur manière en remettant en cause les conditions de la mort et des motivations de Jan Palach. Il s'agit d'une atteinte que sa famille refuse d'accepter. C'est dans ces circonstances que va intervenir une jeune avocate, proche des milieux d'opposition et défendant leurs causes devant les tribunaux, Dagmar Burešová. Vingt ans plus tard, en 1989, elle deviendra la première ministre de la justice d'une Tchécoslovaquie libre... Pour l'heure, elle va mener la croisade de la famille Palach.
Si Hořící Keř a la structure d'une mini-série en trois partie, sa trame se construit comme un très long métrage de 4h30. Le rythme est lent, l'approche tient avant tout du témoignage d'une période de l'Histoire tchèque : c'est une suite d'instantanés et de points de vue qui nous sont proposés, permettant de nous glisser dans la société tchécoslovaque de ce début d'année 1969. L'histoire mise en scène a deux versants destinés à s'entremêler et à se compléter. En premier lieu, il s'agit d'évoquer le drame personnel d'une famille, d'abord choquée, puis endeuillée, par le choix extrême qu'a fait ce fils, ce frère. L'acceptation d'un tel sacrifice ne va pouvoir se faire qu'en gardant à l'esprit le sens qu'a à la mort de Jan Palach : c'est un acte commis contre l'occupation soviétique. Le premier épisode nous fait vivre toutes les étapes du douloureux processus de deuil de sa famille. On comprend donc pourquoi, lorsque cette vérité est remise en cause par un officiel communiste, cela les touche si fortement. La plainte et la lutte judiciaire dans laquelle sa mère est prête à s'investir sont ainsi parfaitement expliquées : il s'agit de préserver un souvenir et la puissance évocatrice qui accompagne ce geste.
C'est alors que la trame intime rejoint le second versant, politique, de la mini-série. Jan Palach est devenu un symbole national. Les raisons de son geste trouvent une résonnance dans tout le pays. Mais ce dernier a perdu ses repères. La mini-série dresse un portrait appliqué de la société tchécoslovaque, avec toutes ses nuances : celui d'une population qui subit l'occupation soviétique, d'autorités qui tentent de préserver un pouvoir et un statu quo avec la menace russe en arrière-plan, mais aussi de franges de dissidence isolées, notamment dans les milieux étudiants. En une année, il faut garder à l'esprit tous les bouleversements qu'a connus la Tchécoslovaquie. Les esprits restent sonnés par l'enchaînement de ce qui s'est produit depuis 1968. L'anormal et le normal se confondent, tout tend à être relativisé. L'instinct de préservation, l'apathie l'emportent sous la poigne de fer qui s'est rabattue. Par conséquent, il émane de ce premier épisode une froideur diffuse, glaçante, qui marque le téléspectateur. Au milieu de tout cela, quelques figures émergent dans le sillage du geste de Palach. Les actions qu'elles prendront face aux autorités seront l'objet des deux parties à venir, mais ce pilote réussit sa mission : plonger le téléspectateur dans la Tchécoslovaquie des années 60 et l'interpeller avec force sur des thèmes de luttes, humaines et politiques, qui restent universels.
La volonté de faire de Hořící Keř un témoignage de cette époque et des évènements qui l'ont marquée se perçoit dans les choix formels effectués. La réalisation, maîtrisée et soignée, opte pour de nombreuses longues séquences qui prennent le temps de constituer un portrait le plus précis possible. La caméra sait s'attarder sur des détails dont chacun peut avoir son importance pour compléter cette peinture historique. Autre preuve de cette volonté de reconstitution sobre et, pourrait-on dire, authentique, l'épisode inclut même des passages en noir et blanc, comme lors de l'enterrement de Jan Palach, semblables à des images d'archives retranscrivant le deuil national qu'il a représenté. Le tout est accompagné d'une bande-son bien présente, qui renforce la puissance évocatrice des évènements mis en scène.
Enfin, Hořící Keř bénéficie d'un casting globalement homogène et convaincant. Si Tatiana Pauhofová (Kriminálka staré mesto, Terapie) est sans doute destinée à prendre plus d'importance dans les prochains épisodes, cette première partie adopte une approche très chorale. Jaroslava Pokorná nous fait partager de manière poignante et déchirante le deuil d'une mère, Petr Stach interprétant quant à lui le frère de Jan Palach. Vojtech Kotek (Vyprávej) incarne cette opposition étudiante qui refuse de sombrer dans la passivité ambiante. A l'opposé, Ivan Trojan (Cetnické humoresky) est lui le policier en charge de l'enquête, devant surtout assurer le respect du fragile ordre établi. On retrouve également Jan Budar, Patrik Dergel, Martin Huba ou encore Adrian Jastraban.
Bilan : Hořící Keř signe une première partie convaincante au sein d'une mini-série qui tient clairement plus, dans sa construction, du (très) long métrage. Tout en proposant une reconstitution sobre et détaillée qui apparaît comme une sorte d'instantané de la Tchécoslovaquie du début d'année 1969, elle nous relate un évènement dramatique sous toutes ses facettes, aussi bien dans ses conséquences intimes que dans les enjeux politiques auquel ce geste terrible - l'immolation - renvoie. C'est une fiction qui, manifestement, se veut une oeuvre de témoignage, sur des évènements qui restaient à raconter à l'écran. Elle est adressée à destination d'un pays qui attendra encore deux décennies avant d'opérer sa "révolution de velours". Cependant, au-delà de l'Europe de l'Est, ses thèmes ont une portée qui dépasse ce seul cadre historique ce qui la rend intéressante à plus d'un titre.
NOTE : 7,75/10
Une bande-annonce de la mini-série (en VOSTA) :