Article publié à l'origine le 1er mai 2011 sur le site http://un-echo-israel.net et réactualisé pour le 1er mai 2013.
Par Misha Uzan
Manifestation un 1er mai en Israël
Un brin de muguet à la main, célébrant la fête du travail (malgré son instauration officielle par le maréchal Pétain le 24 avril 1941), on en aurait presque oublié qu’il s’agissait à l’origine de la fête des travailleurs, et non pas du travail. Mais un petit tour vers les manifestations de rue ce jour ou vers le reste du monde nous rafraîchit rapidement la mémoire. Tout commence à Toronto, au Canada, en 1872. Un mouvement de défense des travailleurs proteste contre l’arrestation de grévistes manifestant pour la limitation du temps de travail. Le mouvement fait tâche d’huile et prend un autre tour à partir du 1er mai 1886 à Chicago, aux Etats-Unis. Le mouvement revendique la journée de huit heures mais une manifestation tourne à l’émeute et de nombreux travailleurs y laissent leur peau. Les choses se compliquent, elles mêlent le mouvement anarchiste, le mouvement ouvrier naissant, la corruption policière et bientôt l’Internationale socialiste. En 1889 cette dernière fait du 1er mai une journée de manifestation ayant pour objectif la réduction du temps de travail à huit heures par jour (soit 48 heures hebdomadaire, seul le dimanche est chômé à l’époque). Le 1er mai 1890 est célébré dans de nombreux pays, très divers. Le jour des travailleurs est né ! A l’époque une date commémorative, elle a depuis fait le tour du monde et beaucoup évolué.En Israël on note sa première célébration en 1906. Le 1er mai est fait jour de fêtes par le Syndicat général des travailleurs au cours des années 20. On lui refuse en revanche le statut de fête officielle : célébration ni juive, ni sioniste, ni hébreue[1], elle est d’autant plus rejetée par la droite qu’elle se rattache alors à l’Internationale socialiste puis à l’Union soviétique. A une époque de rapprochement avec les Etats-Unis d’Amérique, une fête rouge ne peut être officialisée selon les considérations en vigueur dans le pays. La tradition du 1er mai persiste néanmoins au sein des organisations syndicales, des associations et des partis politiques de gauche, à travers des rassemblements, des conférences, et des commémorations. Mais le parti travailliste Avoda prend ses distances avec le 1er mai à partir de 1985 lorsqu’il adopte définitivement le discours libéral (un revirement lui-même remis en partie en cause sous l'actuelle leader Shelly Yachimovitch). Jusqu’aux années 90, le 1er mai pouvait ressembler d’un point de vue salarial à d’autres fêtes traditionnelles chômées par certains secteurs uniquement (comme c’est le cas à Pourim ou à Hol Hamoed). La fête des travailleurs fut aussi plus spécifiquement marquée dans la ville de Haïfa, première grande ville industrielle. Mais elle se marginalise petit à petit. On peut y voir plusieurs causes. Avant tout la libéralisation assez féroce du pays dans les années 80 puis 90. Il faut savoir qu’aujourd’hui encore la durée d’un jour de travail en Israël est de neuf heures, pas de huit. Et nombreux sont encore ceux qui travaillent six jours par semaine (du dimanche au vendredi midi). Celui qu’on appelait le « premier pays socialiste » est peut-être plus proche aujourd’hui de l’ultralibéralisme. Cette situation s’accompagne aussi d’un individualisme fort qu’on pourrait qualifier d’égoïsme social. Par ailleurs le 1er mai est progressivement devenu l’apanage des partis d’extrême gauche et de gauche radicale. Si le parti de gauche sioniste Meretz, ainsi que l’Hashomer Hatzaïr y ont encore un peu leur place, la présence en masse des drapeaux rouges communistes, des drapeaux noirs anarchistes, ou de partis et mouvements radicaux hostiles à l’Etat d’Israël en tant que structure nationale (partisans d’une structure binationale judéo-arabe ou post-nationale) a de quoi en rebuter plus d’un. Malgré un besoin social sans conteste néanmoins et une protection des travailleurs qui laisse parfois à désirer, la radicalité de certains mouvements politise à outrance une question au fond plus sociale que proprement politique et ne permet pas d’intégrer pleinement le 1er mai à la culture israélienne. Restent quelques graffitis Hag Poalim Sameah (Bonne fête des travailleurs) sur les murs des villes et quelques traditionnelles manifestations en marge des préoccupations du grand public.
En Israël on ne chôme pas le jour des travailleurs ... donc tous au travail !
Pour en savoir plus voir le blog de l’auteur : http://mishauzan.over-blog.com
[1] Sur ce néologisme voir les références sur mon article Israël et les intellectuels français, de 1967 à 1982