La déclaration de patrimoine des ministres est une pantalonnade, mais elle ouvre une boîte de Pandore : celle des parlementaires.
Démocratie et droits de l’homme ne sont pas la même chose. Citons l’archétypique démocratie athénienne, d’une Athènes antique où, pourtant, les droits de l’homme n’étaient pas vraiment partagés. Citons, plus près de nous, les démocraties dites populaires qui sévissaient en Europe de l’est voici encore un quart de siècle. Disons, pour simplifier, que la démocratie définit la manière dont le pouvoir est exercé par le peuple et les droits de l’homme sont les règles qui permettent à l’individu d’être protégé contre les abus du pouvoir, fût-il issu du peuple.
Depuis Montesquieu, le monde entier sait que les droits de l’homme ne peuvent être garantis que par une séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
Trop de fonctionnaires et trop d’Etat
Déjà, le fait que des fonctionnaires de l’Etat, agents de l’exécutif, puissent être parlementaires, sans perdre leur qualité d’agents de l’exécutif (même s’ils sont en disponibilité de leur fonction durant leur mandat) est hautement contestable en matière de séparation des pouvoirs. On imagine que le député-fonctionnaire n’aura pas beaucoup de cœur à voter des lois contraires à l’intérêt de ses collègues, sous peine de craindre un retour pénible en fin de mandat. Ainsi, aujourd’hui, où il faudrait faire des économies dans les dépenses de l’Etat, on avait décidé, à l’automne, 20 milliards de hausses d’impôts et 10 de baisses de dépenses. Mais en réalité on aura 30 milliards de hausses d’impôts parce que baisser les allocations familiales ou les pensions de retraite, au fond, ce sont des hausses d’impôts. Les baisses de dépenses ne peuvent passer que par des baisses d’effectifs de la fonction publique et cela, les parlementaires-fonctionnaires répugnent à l’envisager.
A cette affirmation d’évidence, les grands corps de l’Etat répondent, narquois, « Où voulez-vous couper ? La Police ? La Justice ?… » Ceux qui répondent cela sont des incompétents notoires : dans le reste de l’Europe, les Etats sont administrés avec moins de fonctionnaires par habitant et avec un coût de la fonction publique moindre rapporté au PIB. C’est donc possible et les politiques qui feignent de l’ignorer devraient changer de métier.
En aucun cas je ne veux dire que les députés-fonctionnaires ne sont pas honnêtes. Ils sont en conflit d’intérêts, mais ils gèrent globalement ce conflit avec doigté au jour le jour. Toutefois, sur le long terme, cette connivence exécutif-législatif a des résultats désastreux : nous sommes un des pays les plus administrés d’Europe par le nombre de nos fonctionnaires et par leur coût pour la collectivité. Et ce n’est pas un hasard si les deux administrations les plus mal loties budgétairement, je veux dire l’armée et la justice, sont celles auxquelles l’appartenance interdit l’exercice de fonctions politiques, celles dont on doit démissionner pour se faire élire comme parlementaire. Que n’est-ce le cas de toutes les autres administrations ?
C’est dans ce contexte que ce qui se prépare a d’inquiétantes allures de Grand Soir.
L’impossible moralisation a priori
Sous couvert de moralisation, l’Elysée veut que les parlementaires se mettent à nu et dévoilent publiquement leur patrimoine. Cela réserverait les fonctions électives à des pauvres ou à des exhibitionnistes. Les autres, ceux qui savent créer de la richesse et qui le prouvent, renonceront à apporter leurs talents à une république qui les insulte. L’Etat réfléchit, pour éviter ce voyeurisme, à une commission prétendument indépendante qui serait dépositaire des déclarations de patrimoine. Dans les faits, cette commission aura le pouvoir de dire qui peut être élu et qui ne le peut pas. En effet, la simple contestation, même mal fondée, de la sincérité d’une déclaration suffira, en période électorale, à faire battre un candidat. A moins que cette commission ne soit exclusivement constituée de magistrats de l’ordre judiciaire (non éligibles) et ayant donné toute garantie de non appartenance à un quelconque syndicat soupçonnable de politisation, on va aboutir à un système dans lequel c’est l’exécutif qui décidera qui peut être élu et qui ne peut pas l’être.
Des commissions dites indépendantes, notre République en est friande, mais on les qualifie d’indépendantes, justement parce que cela ne va pas de soi. Citons la Halde par exemple, sur lesquelles on a vu les foudres de l’exécutif se déchainer dès qu’elle a dévié de la ligne. Si les membres de cette commission sont nommés, ils entendront en permanence le message « Qui t’a fait roi ? ». Et si c’est le peuple qui doit les élire, on revient au problème précédent.
Mon sentiment est qu’il faudrait créer un délit majeur de mensonge public de la part d’un élu du peuple. L’homme politique pourra refuser de déclarer, notamment son patrimoine, mais ce qu’il déclarera à ses électeurs devra être sincère. Mentir en privé, mentir devant un juge, c’est délictueux. Mais mentir au peuple, c’est une atteinte portée à la démocratie elle-même. Cela suffirait à dissuader les apprentis Cahuzac, les petits tricheurs. Les grands escrocs de la politique, eux, rien ne les dissuadera jamais. Alors ne jetons pas les droits de l’homme aux orties pour la seule satisfaction de s’attaquer à un problème insoluble.
L’Etat prétend aussi définir des professions qui seraient interdites aux parlementaires. Mais c’est l’hôpital qui se moque de la charité ! Ses fonctionnaires, dont la qualité d’agents de l’exécutif est, par essence, incompatible avec celle de législateur, il les encourage au contraire à entrer en politique. Tant d’hommes politiques, entre deux mandats, sont, ou ont été, rémunérés par leur administration, bien que sans affectation. L’Etat fait ainsi couramment ce qui est qualifié de délit d’emploi fictif ou de trafic d’influence de la part d’une entreprise privée.
Cette prétendue moralisation de la vie politique, c’est un pas de plus de la part de l’administration de l’Etat vers une mainmise sur le législatif. Ce pas en avant ne serait acceptable que si un pas en arrière équivalent était effectué simultanément. Il est urgent d’appliquer à tous les fonctionnaires les interdits électifs applicables aux militaires et aux magistrats judiciaires. Mais profiter de l’ambiance pestilentielle actuelle pour laisser encore reculer la séparation des pouvoirs, on a déjà vu cela dans d’autres époques l’histoire. Jamais cela n’a été glorieux. Jamais on n’a vu les représentants du peuple abdiquer une part de leur pouvoir sans que ce soit un recul pour les droits des citoyens.
Une dérive de l’appareil d’Etat vers un exécutif tout puissant
Ce que fait le chef de l’Etat s’apparente à un coup d’Etat : mettre le parlement sous contrôle de l’exécutif, comme le Sénat de Rome avec les légions de César. Les droits de l’homme sont un bien trop fragile pour qu’il soit décent de leur imposer cette épreuve.
Renforcer les privilèges des fonctionnaires, en matière fiscale, en matière de retraites, en matière d’arrêts de maladie, pour s’en assurer la fidélité est le premier volet de ce coup d’Etat. Maintenant le second volet est en marche.
Ils ont, depuis le début de la Cinquième République, le monopole de la rédaction des projets de lois, ils ont, par la suite, noyauté le parlement, on va maintenant demander aux fonctionnaires de faire barrage à l’élection des membres du Tiers Etat, de ceux qui créent la richesse que la nomenklatura dépense.
Notre démocratie tourne à la démocratie populaire, au sens qu’avait ce terme en Europe de l’est avant la chute du mur de Berlin. Ainsi nous ne serons plus des citoyens contribuables, nous ne serons que des travailleurs destinés uniquement à alimenter l’appareil monstrueux d’un état omnipotent.
Bernard D.
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