Elle est enfermée dans une chambre, parce que son mari, médecin, juge que c’est ce qu’il y a de mieux pour elle. Pour qu’elle aille mieux. Il vient la voir de temps à autre, mais la plupart du temps elle reste seule. Seule avec ses pensées qui dérivent, seule face au papier peint jaune de la chambre, un papier qui devient pour elle presque vivant, à qui elle parle et qui lui répond. Est-elle folle ? Ou bien seulement en dépression, suite à la naissance de son enfant, dont d’ailleurs elle ne s’occupe pas du tout ? Pour son mari, c’est de l’hystérie typiquement féminine (rappelons-le, nous sommes à la fin du XIXe siècle !) et il faudrait juste que son épouse cesse de s’écouter, et surtout de perdre son temps –et sa raison- à écrire des inepties sur ses sentiments ou à peindre. Il est persuadé que la séquestration qu’il lui impose lui redonnera l’envie de sortir et de vivre comme tout le monde, c’est-à-dire de devenir une bonne épouse, soumise et diligente, sans pensées opportunes et sans avis personnel, s’attelant à ses tâches d’épouse, de mère et de maîtresse de maison. Car enfin, soyons raisonnables, que sont donc ces idioties, ces envies d’écriture, de littérature ! Où va le monde si les femmes se mettent à penser et se targuent d’y arriver ?
Mais la jeune femme est obnubilée par le papier peint de la chambre dont elle ne peut sortir. Elle y lit des messages et c’est bien une vraie folie qui la guette. Alors qu’elle aurait pu sans doute épancher ses angoisses sur un cahier ou au travers d’une toile, elle reste prostrée à fixer les motifs, et le papier devient un monstre qui la dévore et s’empare de son esprit et de ce qui lui reste de raison. Il agit comme un miroir et renvoie à cette femme sa propre image, mais bien sûr déformée. Une image d’une femme qui tente de fuir alors qu’elle-même est parfaitement soumise et se raisonne en se répétant que son mari sait ce qui est bien pour elle, qu’il agit de la sorte pour son bien. Une femme dont elle ne sait bientôt plus si elle est réelle ou inventée…
Ce petit livre se lit d’une traite, mais restera longtemps dans la mémoire du lecteur. Car derrière cette histoire dans laquelle il ne se passe quasiment rien, si ce n’est le dénouement, on perçoit la condition des femmes de l’époque, et la vie que nombre d’entre elles ont dû endurer, soumises à leur père puis à leur mari, quantité négligeable sans esprit et presque sans âme. Pauvres choses hystériques qu’il faut calmer et soigner malgré elles. Un livre d’autant plus poignant qu’il est en partie autobiographique, comme on l’apprend dans la passionnante postface de Diane de Margerie. Un livre qui donne des envies de révolte.
Extrait de la postface : « Dans beaucoup de ces névroses, c'est de papier et d'écriture qu'il s'agit, et nul doute que l'obsession d'un papier jaune et malodorant qui envahit la séquestrée du récit lui eût été évitée si on héroïne avait pu noircir d'encre un cahier avec ses propres pensées. Ce modeste papier peint aux yeux révulsés, aux grotesques guirlandes, incarne l'horreur qui prend la place de ce qui aurait dû exister : la guérison par l'écriture, la thérapie par la création. Que l'odeur du papier envahisse toute la pièce et même les cheveux de la femme indique que c'est toute la société qui est malade, pourrie, dans sa distinction forcée des rôles attribués à chacun des sexes, seule une moitié de l'univers étant destinée à des activités mentalement créatrices tandis que l'autre, prisonnière de tout ce que le temps efface (laver, repasser, récurer, cuisine, élever des enfants bientôt anxieux de s'en aller), est condamnée à "ramper". Car si la folie de la femme prend cette forme (raser le sol, se cacher) c'est qu'on ne lui permet guère de s'élever ou de transcender le matériel et le quotidien. »
Un petit roman prêté par Cynthia. Lu également par George, Lily, Wictoria, Amanda, Laure, Malice...