Dimanche, le Festival Séries Mania fermait ses portes au grand dam d'un nombre insatiable de sériephiles. Il faut dire que retrouver son fauteuil et son écran d'ordinateur quand on a connu, l'espace d'une semaine, le luxe (siège de cinéma, écran géant) n'est pas chose aisée. Pour ma part, j'ai donc mis un point d'honneur à profiter au maximum de ces deux derniers jours.
Au programme, rien qui ne puisse me décevoir en toute logique à savoir deux productions britanniques diffusées sur BBC 2 et BBC 3 (dont une signée Tom Stoppard s'il vous plaît, vous savez, le grand monsieur à qui l'on doit entre autres le scénario de Shakespeare in love) et une création tchèque d'Agnieszka Holland, qu'il n'est nul besoin de présenter, diffusée elle sur HBO.
Une triptyque qui, sans surprise donc, a été à la hauteur de mes attentes voire, pour certaines, les a tout bonnement dépassées.
Parade's End (épisode 1 et 2) suivi d'une rencontre avec Tom Stoppard, scénariste de la série
Sur fond de Première Guerre mondiale, l’histoire d’un triangle amoureux entre le rigide Christopher, son épouse frustrée Sylvia et la suffragette Valentine qu’il s’interdit d’aimer. Un scénario très attendu de l’auteur Tom Stoppard, écrit à partir d’un roman réputé inadaptable, et incarné en contre-emploi par la nouvelle star britannique Benedict Cumberbatch (Star Trek, Sherlock).
Un triangle amoureux captivant entre un homme rigoriste, son épouse volage et une jeune suffragette à l'aube de la première guerre mondiale. Ces deux épisodes de Parade's End ne relatent donc pas seulement les balbutiements d'une histoire d'amour mais le contexte tout à fait passionnant – celui de la haute société anglaise du début du XXème siècle – dans lequel elle est née. L'éthique complexe qui caractérise cette période est parfaitement rendue par le casting formidable (mention spéciale au rigide Benedict Cumberbatch et à la flamboyante Rebecca Hall) et par l'aussi impeccable que froide mise en scène. Les dialogues – souvent drôles – et les décors somptueux insufflent donc une chaleur inopinée à cette mini-série d'une qualité réflexive indéniable. La place de la femme dans la société est en effet examinée à travers notamment Benedict Cumberbatch qui, paradoxalement, incarne un esprit en avance sur son temps mais en retard sur les mœurs Qui plus est, et à ma grande surprise, Parade's End a su toucher la sentimentale qui sommeille en moi sans agacer l'anti fleur-bleue qui cohabite avec elle (drôle de coloc', je sais). En résumé, un croisement on ne peut plus réussi entre Downton Abbey et Mad Men. À voir absolument !
La projection était suivie d'une rencontre avec Tom Stoppard (un homme d'une humilité exceptionnelle !) qui est notamment revenu sur ses méthodes de travail (il a par exemple enrichi la tétralogie dont est tirée Parade's End de faits divers survenus à l'époque), les contraintes rencontrées (il aurait préféré un format de 70 minutes), le casting de la série (retenons que Benedict Cumberbatch, qu'il désirait absolument dans le rôle principal n'était pas assez célèbre au début du projet ce qui rendait les chaînes frileuses, fort heureusement, entre temps, il y a eu Sherlock !). Il a également donné sa vision cinématographique de la notion d'auteur (la mention "a film by" lui semble ainsi exagérée pour quelqu'un qui n'a fait que le diriger). Enfin Tom Stoppard nous a livré sa réplique favorite à savoir le "I don't care" de Tommy Lee Jones dans The Fugitive.
Créateur : Tom Stoppard. Scénariste : Tom Stoppard (d'après le roman de Ford Madox Ford).Réalisateur : Susanna White. Date : 2012.Saison : 1 (6 épisodes de 45 minutes).
Burning Bush (épisode 1) suivi d'une rencontre avec Agnieszka Holland, créatrice de la série
Prague, 16 janvier 1969. En s’immolant par le feu, l’étudiant Jan Palach devient l’icône de la résistance à l’occupation soviétique. Sans mélodrame, la caméra engagée d’Agnieszka Holland (Treme, The Wire) capture l’essence de la société tchèque à ses heures les plus sombres. Une somptueuse leçon de style, et un monument à la mémoire d’un peuple
Un drame saisissant qui revient sur l'une des périodes les plus sombres de l'ex Tchécoslovaquie : l'occupation soviétique post Printemps de Prague à la fin des années 60. La grande force de cette mini-série de trois épisodes est de chroniquer une période historique dense à échelle humaine : dans le premier épisode, on suit en effet les proches du premier immolé (Jan Palach) dont l'acte de résistance est étouffé par le gouvernement, mais aussi la jeune avocate à laquelle ils font appel pour rétablir la vérité et ainsi révéler– dénoncer ?– le caractère oppresseur du gouvernement communiste. Si la réalisation, signée Agnieszka Holland et la distribution sont formidables (mention spéciale pour celle qui interprète la mère de Jan), Burning Bush souffre toutefois de quelques malencontreuses longueurs et, également, d'une construction contestable (le premier épisode aurait par exemple dû se clore sur les obsèques selon moi). En dépit de ces quelques défauts, une chronique politico-judiciaire inédite dans le paysage télévisuel et fort instructive.
À noter, Agnieszka Holland nous a honoré de sa présence pour la projection du pilot et s'est ensuite prêtée au jeu de l'interview (en français s'il vous plaît !). Avec humour, elle a d'abord souligné l'aspect familial des productions tant cinématographiques que télévisées et plus spécifiquement la domination de sa famille au Festival Séries Mania, rebaptisé Agnieszka Mania pour l'occasion (sa sœur et sa fille ont en effet travaillé sur The Deep End, série également présentée lors de ce festival et son neveu a réalisé la musique de Burning Bush et de The Deep End). Elle a ensuite expliqué les raisons (cette période de l'histoire et notamment le caractère despotique du gouvernement communiste étaient jusqu'ici mal racontés selon elle) et les effets (ceux d'une psychanalyse nationale) d'un projet tel que Burning Bush.Pour finir, l'interview ayant été extrêmement dense, je me contenterai de vous livrer les petits informations surprenantes ou intéressantes que j'ai pu glaner au fil de ses réponses :
- avant d'être réalisatrice, Agnieszka Holland désirait être peintre ;
- elle a réussi à convaincre le jeune DiCaprio d'accepter le rôle de Rimbaud dans Total Eclipse en lui envoyant un t-shirt qui lui ressemblait étrangement mais qui représentait le poète aux semelles de vent ;
- selon elle, le père de Léo (oui, nous sommes intimes !) a également joué un rôle crucial dans cette décision car il est apparemment fan de Rimbaud ;
- notre chère réalisatrice a des difficultés à partager le pouvoir ;
- avec sa sœur et sa fille, elle a déjà réalisé une série polonaise (dont le titre est, si j'ai bien compris, Premier Ministre) ;
- sa collaboration avec David Simon a parfois été difficile, le créateur de The Wire n'étant pas habitué aux critiques (elle résume d'ailleurs sa réaction avec beaucoup d'humour : "d'abord choqué, puis fâché, puis curieux") ;
- au passage, j'ai trouvé sa justification assez intéressante même si très schématique : "là-bas, les gens vivent quasiment tous à crédit, c'est leur mode de vie, or, si tu critiques ton chef, tu es viré donc personne ne prend ce risque") ;
- Agnieszka Holland a préféré le pilot américain de Forbrydelsen (celui de The Killing donc) à l'original (j'étais atterrée !) et le casting américain à l'original également (là, nous sommes d'accord) ;
- elle a vécu le Printemps de Prague lorsqu'elle était adolescente ;
- elle tourne actuellement un film en Pologne (une coproduction européenne) ;
Créatrice : Agnieszka Holland. Scénariste : Štepán HulíkRéalisatrice : Agnieszka Holland. Date :2013.Saison : 1 (3 épisodes de 80 minutes)
Dans une Angleterre postapocalyptique, les humains ont dompté l’invasion de zombies. Ils vont même jusqu’à les capturer pour les rééduquer et les laisser vivre parmi eux. C’est le cas de Kieran Walker qui retrouve son village et sa famille quatre ans après son suicide. Un nouveau tour de force britannique avec cette mini-série à mi-chemin entre The Walking Dead et les Revenants !
Un pilot étonnamment drôle qui traite de la réinsertion des zombies (ou, si l'on utilise la terminologie d'In the flesh, des personnes atteintes du PDS c'est-à-dire le partially deceased syndrome) dans un monde postapocalyptique. Ces derniers sont en effet traités dans des structures appropriés et une fois jugés prêts, renvoyés chez eux avec un traitement approprié. L'atout de cette série réside donc essentiellement dans son angle : ici les deux clans (humains/zombies) ne s'affrontent pas mais cohabitent ou du moins essaient. Ce premier épisode évoque donc des thématiques diverses – la rébellion, la quête identitaire – mais condamne également l'ineptie des instances politiques face à cette mutation sociale et collective ou encore l'enfermement xénophobique. En cela, In the flesh rappelle quelque peu Äkta Människor (Real Humans) que vous avez pu découvrir sur Arte dernièrement. Pour rendre compte de cette peur de l'autre, la mini-série use d'ailleurs elle aussi d'une esthétique froide et neutre, ce qui dénote totalement dans un univers que l'on sait habituellement "surgorisé". En résumé, un drame original qui augure une suite intéressante et porte un regard intelligent et sensible sur les maux de notre société.
Créateur : Dominic Mitchell.
Scénariste : Dominic Mitchell. Réalisateur : Jonny Campbell. Date :2013.Saison : 1 (3 épisodes de 60 minutes).Je clos ce bilan avec le résultat des compétitions organisées par le festival : le Prix du public a récompensé (pour mon plus grand bonheur !) Don't ever wipe tears without gloves, une mini série époustouflante dont je vous parlais dans mon premier billet sur Séries Mania. Le Prix du jury de la presse internationale a quant à lui décerné le prix de la meilleure actrice dans une série française à Anne Caillon (Dos au mur), le prix du meilleur acteur dans une série française à Abdelhafid Metalsi (Cherif) et le prix de la meilleure série française à Un village français, ce qui devrait ravir une de mes amie (oui Lulu, c'est de toi que je parle !).Rendez-vous pour une 5ème saison de Séries Mania le 22 avril. À noter, le festival s'étendra cette fois sur 9 jours !