Espoir, endormie, images, cinéma, livre, photos, 7h15, souvenirs

La rubrique s'appelle C'est mercredi c'est permis, mais j'ai décidé que mercredi pouvait tomber n'importe quand. Comme à l'époque insouciante de la Semaine des quatre jeudis. Donc, Mardi, c'est permis. 

Marguerite

Une soirée enregistrée au Théâtre de L'Odéon, le 15 avril 2013 (mon anniversaire), en présence de Philippe Djian, avec des textes lus par Anne Alvaro. L'émission, Cosmopolitaine, est passionnante. La présence, et l'absence de complexe littéraire de Philippe Djian y sont sans doute pour beaucoup. Les textes lus par Anne Alvaro, actrice précieuse, vivent, la langue de Marguerite Duras, qui en rebute plus d'un, on se demande vraiment pourquoi, évolue dans une grande liberté.
Pour ceux qui ne craignent pas une expérience plaisante : écouter l'émission ici.

Philippe Djian, justement. J'ai lu récemment son dernier roman "Ho...". Je n'en ai rien dit ici, d'abord parce que je ne suis pas critique littéraire, je n'ai pas ce talent, juste la passion des livres (de la littérature, pas de la lecture). Et ce roman, écrit à la première personne, cette personne étant une femme, est passionnant mais résonne un peu trop, par moments, avec ma vie actuelle pour que je puisse en exprimer quelque chose. Mais c'est un très beau roman, un des plus forts de la dernière période de Djian, et je ne saurais trop vous le conseiller vous qui, à défaut d'être heureux, menez une vie normale. Histoire de vous gâter le plaisir, une info sur la fin du livre. Le dernier mot est "Ho...".

Cinéma

The Land of hope
(Kibô no kuni)
Sian Sono (japonais, britannique, taiwanais)
avec Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagurazaka

Sono Sion, cinéaste de l'extrème dont nous avions tant aimé Guilty of romance, au titre si ironique,  oppose cette fois la violence de son cinéma à plus violent que lui : la menace nucléaire, sur fond de catastrophisme post Fukushima, dans un pays fracassé qui ne peut passer Hiroshima et Nagasaki par les pertes et profits de l'Histoire. Le réalisateur énervé livre toutefois une oeuvre qui balance entre la violence, la dureté, celles du pouvoir et celles de la résistance au pouvoir et une paradoxale sérénité élégiaque, qui dit trois fois, afin qu'il n'y ait aucune ambiguïté, que l'amour est le plus fort. C'est en cela qu'il est inutile de chercher l'ironie dans le titre, "le pays de l'espoir". Ce que montrent ces deux heures douze de cinématographe, c'est que, jusque dans l'enfermement qu'une autorité absurde et suicidaire (politique, administrative, scientifique) non légitime, selon le cinéaste, impose à des gens qui ne demanderaient qu'à vivre en paix avec eux-mêmes et leurs voisins, l'amour peut tout. Il peut rendre libre, quel que soit le moyen qu'il emploie pour arriver à cette fin.

Pour être tout à fait honnête, ce film ne me semble pas exempt de défauts. Et je n'évoque pas le supplice pour les nerfs et les oreilles des scènes de repas où la famille partage la soupe miso et le thé brûlant, et ça fait des grands slurps dégueux. Non, plus ennuyeux, le film semble hésiter à trouver sa tonalité, entre farce burlesque, chronique familiale et tragédie. Et le personnage du fils (ou l'acteur ?) est exaspérant. En revanche, le charme de la mère, personnage fragile et poétique d'une douce dinguerie sénile, est un souriant remède contre le désespoir. Quand résonnent dans sa tête les musiques annonçant la Fête des Morts, elle part, joyeuse et juvénile (pour elle, elle a toujours vingt-et-un ans, l'âge de ses fiançailles), sur des chemins d'aventure en dansant et chantant. Là, le film trouve sa dimension, sur les accords majeurs, renversants de beauté mélancolique, de l'adagio de l'ultime symphonie de Gustav Mahler, numérotée 10 et inachevée, comme une vie qui ne s'achèverait jamais. Et si les larmes coulent, c'est bien, c'est qu'on est peut-être, dans ce monde de robots, de tricheurs, de profiteurs,  où la mort nucléaire rode, invisible comme le mensonge, restés libres et humains. Le personnage du père, complexe et attachant, gardien d'une sorte d'authenticité terrienne impossible à transmettre, en particulier à son crétin de fils, ni à sa femme, qui est déjà ailleurs, est un très  beau personnage de cinéma. En lui réside et s'exprime avec radicalité la révolte, toujours vibrante, du réalisateur.
Au final, on retient que, quelles que soient les saloperies que le vie nous réserve, s'aimer, rester ensemble malgré tout, est la seule alternative au désespoir.

Un très très beau film. Un Grand film malade, aurait dit Truffaut, j'en suis sûr.

La belle endormie
(La Bella Addormentata)
Marco Bellocchio (France-Italie, 2013)
avec le grand Toni Servillo et l'immense Isabelle Huppert.

En sortant du film, je ne savais quoi en penser, ce qui est rare, donc précieux. A 73 ans, Marco Bellochio, qui a tellement bouleversé notre regard avec Les poings dans les poches (1965), film enragé, continue à proposer un cinéma d'une folle ambition. Son film précédent, Vincere, opératique, était si fort qu'il semblait devoir résister à toute critique. Ce n'est pas le cas de La belle endormie : Bellochio a relaché ses muscles et accepte le débat.
Le scénario original brasse un nombre de problématiques effrayant (ce n'est pas du cinéma allégé) qui, au fond, tournent tous autour d'un petit nombre de thèmes, l'euthanasie n'étant pas au centre de tout ça : comment être un homme politique en Italie ? comment subsister en étant fidèle à soi-même ? Comment aimer, comment ne pas aimer ? Après Haneke (et je ne dévoile pas le sujet du film) : est-ce que tuer, c'est aimer ? Le film ouvre à bien d'autres débats. Le sexe et la religion, en quoi la religion est une aide, en quoi aider une personne à vivre (la droguée suicidaire sexy) s'accorde avec la morale ?
Voici un film d'une totale maîtrise visuelle et scénaristique qui échappe à tout cliché. On ne peut s'identifier à aucun des personnages, surtout pas à celui d'Isabelle Huppert, sublime en mère douloureuse athée et folle de Dieu. Surtout pas au personnage du sénateur prêt au coming out idéologique, sauvé par l'événement dont il convient de ne pas parler à ceux qui n'ont pas vu le film ; une culpabilité suspecte. Ni à sa fille, elle aussi folle de Dieu mais se découvrant une autre passion.
Au final, je trouve ce film assez déprimant. La virtuosité du réalisateur n'est pas en cause, mais on se surprend à souhaiter que la Belle endormie continue à dormir, bienheureuse ignorante de ce monde de noirceur qui grouille autour de son paisible enfermement. Beau film quand même.

Photographie 

Le site assez ordinaire L'internaute publiait aujourd'hui quelques photos en couleur de la toujours surprenante collection Albert Kahn, ce banquier étonnant qui, au début du siècle dernier, a souhaité être le conservateur des images du monde. On connaissait les photographies extraordinaires ramenées du Japon. Sont visibles aujourd'hui des images à la fois plus proches et terriblement exotiques. Des photographies en couleurs des premières années du siècle (dernier). En voici deux qui me plaisent, mais allez visiter les Jardins Albert Kahn, la saison doit y être propice à des rencontres charmantes.

Rue Montparnasse et Rue de Seine, deux endroits qui me son familiers
et me semblent là totalement exotiques.
Quel dommage de ne pouvoir, comme dans certain film de Woody Allen
vivre à ces époques simples.

J'aime beaucoup ces photos qui me rassurent sur la couleur de mes rêves, ni très vivid comme disent les anglais, ni très noirs. Un peu passées, comme le passé. La dernière fois, j'ai fait un appel aux commentaires, car depuis quelque temps, je me sens un peu seul sur les pavés. Comme si la pluie avait délavé la chaussée. Je ne renouvelle pas, j'ai eu un très gentil message, d'un lecteur égaré sans doute.
Je vais essayer de trouver un titre, de publier et de dîner.

Je vous souhaite plein de bonnes choses.