[La version originale de ce billet a été rédigée et pré-publiée pour le blog du Festival SeriesMania.]
Israël était encore une fois très représentée au Festival Séries Mania cette année, avec pas moins de quatre séries proposées en projection. Si je n’ai pas eu l’occasion de voir les deux comédies, les séries dramatiques, extrêmement différentes, se sont révélées marquantes à leur manière. Sous ses allures de voyage initiatique en Inde, Ananda est restée dans les esprits pour sa vitalité communicative qui envoûte le téléspectateur et demeurera sans doute le coup de coeur israélien de ce Festival. Il est bien difficile de se la délaisser une fois les épisodes lancés. Vendredi dans l’après-midi, c’est une fiction plus difficile d’accès qui était projetée : 6 dollars per hour, une série de 8 épisodes de 35 minutes dont les trois premiers étaient proposés au public. Cette dernière a remporté en 2012 le prix de la meilleure série israélienne.
Série beaucoup plus dure, empreinte d’une certaine forme de désespoir, 6 dollars per hour se présente comme une plongée réaliste, dans le quotidien de femmes de ménage. Plus précisément, il s’agit de nous relater leur lutte constante pour joindre les deux bouts, pour conserver une place au sein de la société et auprès de leurs proches. Parmi ces trois protagonistes principales, les origines sont diverses, les histoires passées également : on y trouve une émigrée ukrainienne qui tente d’économiser pour sa fille restée au pays, une jeune femme arabe qui s’est isolée des siens, ainsi qu’une israélienne qui a besoin d’argent pour payer l’avocat de sa fille emprisonnée. Chacune a donc ses propres préoccupations. Elles évoluent en parallèle, individualistes et solitaires dans leur misère. Mais lorsque l’entreprise qui les emploie les licencie, elles vont découvrir que l’union est parfois la réponse qui convient.
6 dollars par hour se veut à la fois comme une chronique sociale et intime. Sociale, parce que sa première ambition est d’interpeler le téléspectateur en soulevant le voile sur les conditions de travail et le statut extrêmement précaire de toute une frange de la population du pays, ces intérimaires qui, sans droit, sont corvéables à merci, sans aucune garantie de lendemain pour un salaire très bas. Signe que la série a touché une corde sensible, elle s’est même invitée lors de sa diffusion dans les débats parlementaires israéliens, sans pour autant parvenir à un quelconque changement législatif. Mais pour évoquer ce thème, 6 dollars per hour suit un prisme avant tout personnel. C’est par une suite d’instantanés, avec une narration éclatée, presque minimaliste, qu’elle nous glisse dans le quotidien des trois femmes au centre du récit, toutes éprouvées par la vie à différents degrés.
L’approche choisie peut dérouter : la série adopte un rythme très lent. Se voulant réaliste, elle fait sien un quotidien rempli d’anecdotique, sans rien édulcorer, seulement marqué à l’occasion par quelques éclats et confrontations qui viennent révéler les blessures et les difficultés. Ce refus clair de romancer ces journées fait de la série une fiction abrasive, dure, mais difficile d’accès aussi quand on connaît encore si peu chaque protagoniste. La série rejoint ici un peu l'approche qui était celle de l'irlandaise Prosperity. Ce ressenti est accentué par une réalisation qui opte pour une approche très particulière : celle du plan fixe centré sur un personnage. La plupart du temps, la caméra n’essaie pas de rendre compte de toute une scène, mais seulement d’éclairer une figure particulière en son sein, s’attardant sur un regard, un sourire… et s’efforçant de capturer toutes les nuances d’expression qui passent sur un visage, de la joie à ces moments passagers d’abandon et de désespoir.
En privilégiant ainsi l’ordinaire, la série entend nous glisser peu à peu dans les vies de chaque protagoniste. Car si leur quotidien seul peut révolter, c’est seulement en apprenant à les connaître que le téléspectateur pourra vraiment s’impliquer. C’est par petites touches, avec beaucoup de parcimonie, que 6 dollars per hour dessine les portraits de ses personnages, s’humanisant à mesure qu’elle progresse sur cette voie. Du fait de cette construction, la série semble se prêter plus à un visionnage rapide, presqu’à la suite, qu’au rythme hebdomadaire épisode par épisode. En effet, c’est seulement lorsque le passé et les préoccupations de chacune apparaissent suffisamment constituées sous nos yeux que va naître l’empathie attendue, logique dans une telle fiction. Ce n’est donc pas au terme du pilote, mais bien au fil des épisodes, que la vision adoptée par la série acquiert sa légitimité. Ainsi, au cours des 3 premiers épisodes, 6 dollars per hour ne cesse de gagner en force.
Bilan : 6 dollars per hour est une série sombre, mettant en scène une détresse humaine avec une sobriété recherchée, sans chercher à rien édulcorer. Avec son rythme lent, cette narration minimaliste où l’anecdotique l’emporte, ce n’est que progressivement qu’elle atteint toute sa dimension. Pour en prendre la portée, il faut donc lui laisser le temps de s’installer sur plusieurs épisodes. Une fois cela réalisé, le téléspectateur ressort marqué par cette noirceur d’ensemble d’une chronique certes sociale, mais surtout humaine et intime qui touche.
NOTE : 6,75/10
Pour un aperçu, le premier épisode (non sous-titré) en commençant par le générique :