New History Warfare Vol. 3: To See More Light
Constellation
Montréal – Canada
Note: 8/10
L’usage du saxophone n’est pas réservé uniquement au jazz classique et c’est ce que Colin Stetson, artiste natif du Michigan vivant maintenant à Montréal, démontre une fois de plus avec son troisième album solo. Grâce à sa maîtrise de la respiration circulaire, la capacité d’inspirer tout en expirant grâce à l’utilisation de la gorge, de la bouche et des joues comme réserves d’air, technique utilisée principalement dans le free jazz, Stetson parvient à faire de son saxophone baryton littéralement un orchestre.
Tout mélomane devrait écouter un album de Colin Stetson, puisque l’artiste, qui a travaillé avec Arcade Fire, Bon Iver, Tom Waits, David Byrne, The National, Feist, TV on the Radio, entre autres, offre ce que les passionnés recherchent tous : un son qu’ils n’ont jamais entendu ailleurs, qui n’a même pas été emprunté d’une autre époque. Un son original et unique. Stetson lui-même ne définit pas sa musique, pour vous dire à quel point celle-ci est singulière. Dès les premières notes, le néophyte croira à la supercherie : « c’est pas du sax ça, c’est certain ». Bienvenue dans l’univers envoûtant de Colin Stetson.
Impressionnant était le terme qui venait en tête en écoutant le disque précédant de Colin Stetson, New Hisory Warfare Volume 2: Judges, qui avait été en liste pour le prix Polaris 2011. Œuvre accomplie sont les mots appropriés pour New History Warfare Volume 3: To See More Light. Enregistré live, en quelques prises, sans loops ni overdub, avec chants simultanés, au retour de sa tournée avec Bon Iver, l’album ne fait aucune concession quant aux ambitions et aux désirs de son créateur.
Certaines pièces durent moins de deux minutes, d’autres 15. Les structures des chansons ne sont pas uniformes. Durant quelques pistes, l’auditeur a l’impression d’écouter un groupe de métal ou d’électro, même le head banging est approprié sur certaines pièces (Brute), mais tous ces sons sont bel et bien produits par celui qui doit effectuer une heure de pratique par jour ainsi qu’une heure de jogging pour arriver à effectuer ses concerts. L’album est tout sauf homogène. L’angoisse et la mélancolie sont ressenties par moment à l’écoute des notes parfois stridentes émises par Stetson. Mais l’espoir aussi y est, notamment sur la superbe To See More Light, pièce titre de l’album, totalisant 15 minutes. Même si la technique est lourde, celle-ci fait place à la mélodie par moment (This Bed of Shattered Bone). L’album n’est toutefois pas une écoute facile, voire un défi et par chance, sur quatre pièces, la voix de Justin Vernon (Bon Iver) vient nuancer le tout.
Non seulement l’album est renversant au niveau de la technique, mais l’atmosphère qui en émane est tout autant bouleversante. À la limite de la souffrance sur certaines pièces, Stetson interprète aussi un titre très accessible avec What They are Doing in Heaven Today, reprise du chanteur gospel Washington Phillips, démontrant ainsi sa virtuosité et ses pulsions expérimentales.
Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, la singularité de l’album offre des aventures auditives et imaginaires qui ne peuvent laisser personne indifférent. D’ailleurs, raconter des histoires et créer des scènes musicales, c’est le principal apprentissage que Tom Waits a légué à Stetson, selon le saxophoniste lui-même. Ce dernier chapitre de la trilogie New History Warfare sera probablement, d’ici quelques années, considéré comme un chef-d’œuvre de la musique contemporaine.