Les entretiens infinis : avec Jean-Pascal Dubost, 2

Par Florence Trocmé

FT, 18 janvier 2008
[À propos de ces entretiens infinis], tu dis drôle d'exercice, je sens que tu n'es pas forcément complètement à l'aise alors je vais te dire ce que moi je ressens.
Peut-être en faisant une suggestion, mais je ne suis pas sûre que cela te conviendra, donc tu la prends vraiment comme une proposition et tu en fais ce que tu sens : je pense que pour bien s'établir, il faudrait que les échanges soient un peu plus fréquents, et plus spontanés en quelque sorte [...] L'entretien infini est nourri de tout un arrière monde d'échanges spontanés qui permettent de donner vie à l'échange central, sur l'œuvre, sur la poésie, sur l'art, sur les lectures.

Jean Pascal Dubost, 19 janvier 2008/ Tac au tic
Chère Florence,
Alors du tac au tic sans toc je te réponds avant de me mettre au travail ce matin et plus particulièrement sur un texte bizarroïde qui est la récriture de mon " mémento " (que j'appelle ainsi au lieu de " journal ") en sautant du coq-à-l'âne, ça donne un récit aux allures fatrasiques, en tout cas je me régale là-dessus sans savoir si même c'est montrable, lisible ou publiable un jour ou l'autre ; fonce et fais, me dis-je, tu verras ensuite. Brèfle. Tu as raison, je ne suis pas assez détendu avec la formule de tes entretiens, parce que je crains, justement, plusieurs choses, comme t'envahir, comme l'anecdotique, comme le personnel, et le reste, pourtant pieu sait combien j'aime bien l'échange courriel pour ce qu'il a de plus spontané que la lettre manuscrite.
J'ai un peu tardé aussi parce que je me déplace beaucoup, (et je pars lundi pour 15 jours - résidence d'écriture une fois par mois d'octobre jusqu'en mars) et parce que la vie dans la forêt exige quelques tâches qui vous sortent dehors même les jours de tempête (ou leurs lendemains, ne serait-ce que pour en réparer les dégâts). Mercredi toute la journée je travaillais sur la programmation de la Maison de la Poésie de Nantes (nous préparons un festival l'an prochain sur trois jours) et jeudi je passais ma journée à couper du bois avec le paysan du coin, trop fourbu le soir pour courriéler, tout ça a l'air d'une revue des impossibilités. Mais les tâches de bûcheron ou de jardinier me font un grand bien, du bon air me passe dans la tête. Pour te dire, notre maison est en forêt de Paimpont. Pas de réverbères, de la vraie nuit, et du silence, fors la chouette, le faisan, toute l'oisellerie, " l'aboiement " du chevreuil, des bruits étranges la nuit, le frôlement du renard qui traverse le jardin, et parfois, le brame du cerf.
Mais j'obvie : en fait, je subis ce complexe qui parfois me fait plonger trente-six pieds sous terre, dans le doute, me disant : un entretien ? Moi ? Pequenot de chez plouc (mot breton) ! Couillon de chez couillon ! (Selon une terminologie réductrice, simpliste et discutable mise en application il n'y a guère sur un site voisin pour faire état (partial) du " terrain poétique actuel ".)
Je relève ton défi pour défendre une certaine idée du lyrisme, qui est loin d'être celle que défend Jean-Michel Maulpoix. Je défends une idée d'un lyrisme tendu, monstrueux, généreux, tourné vers l'avant et non pas vers nos arrières, et je défends surtout une certaine idée que nous sommes quelques-uns à partager d'une poésie ni lyrique, ni formaliste, ni littéraliste, mais qui, ayant assimilé les différents courants de ces dernières années, regroupe tout cela à la fois, en dépasse les esthétiques figées dans un pré carré.
Et voilà du coup tu vois, je suis vabard !
Allez, au travail Dubost !
Je t'embrasse (un troglodyte à l'instant se pose à ma fenêtre),
Jean-Pascal

FT, le 18 janvier 2008/Ping et pong
Je sens que là tu te lâches enfin, si tu me permets l'expression, avec ta langue à toi, qui est une merveille, que je découvre avec passion et bonheur et qui servira sûrement de base aux entretiens. Nos entretiens sont spécifiques, chacun entretien est particulier, c'est ça qui est formidable et pourtant j'y pensais cette nuit, je ne suis pas loin de penser qu'il y a des points de rencontre multiples entre vous trois....
Me disais aussi : une œuvre est un précipité en un point précis et très mystérieux, mais pas née de rien. Il y a l'écrivain tel qu'il naît (génétique, famille, ascendances), dans un lieu donné (géographie) à une époque déterminée et à mon sens ô combien déterminante (histoire et Histoire). Ensuite il y a les années de formation, les influences exercées sur un être malléable. Et puis l'éclosion de la conscience de soi et la construction de soi, contre ou avec tout ce qui précède.... tout ça dans l'éprouvette. Et la FIV alors ? Et bien c'est là que je porte mon regard, décidément rien à faire je ne sors pas de ma métaphore qui sans doute n'en est pas une sur " comment on fait les enfants "..... donc si je te questionne sur enfance, formation, lectures, ce n'est pas par curiosité déplacée (du moins j'espère et que tu ne le ressens pas ainsi) mais c'est parce que j'ai envie de regarder avec toi les substances mises dans l'éprouvette, comprendre un peu (je sais qu'on ne comprend pas vraiment, qu'on ne peut pas comprendre la création) l'alchimie qui fait que de toutes ces données disparates (pour une fois j'aime bien une parabole évangélique, celle des grains épars qui finissent par former le morceau de pain) va naître une œuvre à la fois singulière et avec quelque chose d'universel (sinon à mon sens ce n'est que solipsisme et pas une œuvre).....
J'aimerais bien t'entendre plus avant sur ce " mémento ", ta pratique de l'écriture régulière de notes, journal, etc.

Jean-Pascal Dubost, le 20 janvier 2008/Pouf, soulagé
Florence, je fus très titillé de l'orgueil lorsque je découvris ton iciel dans lequel tu me reprochais, fort justement, de ne pas me lâcher assez et de manquer de naturel, c'est pourquoi je me suis dit eh bien, flûtre de fichtre, jvas lui écrire comme je pense, à Florence de Bellefeuille, c'est-à-dire à coup de bouzigues et de copeaux, avec masques lupins pour camoufler-musser le nicet que suis, voilà voilà ce qui se passa hier matin que je te répondis. Tu évoquais Patrick et Auxeméry, ce qui pouvait nous point-communer... je crois qu'il y a cette grande grande différence, cependant, il me semble (n'ayant qu'un parcours de l'œuvre du second), cette grande différence que j'ai un rapport aux mots, à la langue, il me semble (bis), plus ludique, loup-phoque, grotesque, héroï-comic-strip, ébouriffé, rude (c'est mon côté Boeuf), et, surtout, carnavalesque (là, Villon), qu'eux, et re-surtout, moins savant et érudit que le leur (de rapport) (à la langue). Que t'en semble ? Donc, si je te lis bien, tu n'éteins pas ton ordinateur interne la nuit ?Et aussi, je me dis, encore te relisant, que tu cours après une saprée chimère en voulant remonter la source de l'acte créateur. Pour ce qui me concerne, la source s'appelle Complexe (d'infériorité) (combattu avec armes et langage). En gros, n'étant pas né avec une cueuillère en argent dans la bouche, mais avec une en bois, et les doigts de pied dans le nez, je me contorsionne et grimace.Je me permets de te reprendre sur ceci : " une œuvre à la fois singulière et avec quelque chose d'universel ", j'ai grand mal avec le mot " universel ", je l'ai dit dans mon " épisode enfance " ; je lui préfère celui de Christian Prigent à propos de Jean-Pierre Verheggen, l'inouïversel. J'ai lu certain(e)s poètes déclarer tendre à l'universel, quelle prétention ! Ça tourne à l'exhibition du bien-pensant poétique. Lisons, relisons Montaigne bon sang ! La mule qui pose sa tête pleine de boue sur mon épaule ou qui me fout un coup de tête pour me signifier quelque chose que je ne comprends pas, ou qui m'exaspère parce qu'elle refuse de glisser la tête dans le licol pour que je l'amène paître dans un autre pré, ça, c'est du m'universel (mon universel quotidien) ! Oui-da, je me méfie de la fausse générosité du poète camouflant Narcisse sous la déclaration des droits de l'universel. Cet après-midi je m'occupe du compost, j'adore ça, l'idée de fabriquer de la terre, de créer de la terre avec des déchets, je suis sûr que ça me vient de mes lectures rabelaisiennes (l'universel chemin de la merde ; la merde, ça c'est universel, Rabelais l'a génialement montré). Une couche de fumier, une couche de feuilles de chêne, saupoudrées de cendre de bois (la cheminée), déchets domestiques... J'adore quand je retourne le compost voir les vers de terre s'activer et leurs curticules enrichir le compost.Il me semble avoir été un peu long, et pour ne pas te soûler, je te parlerai dans le prochain iciel de ma passion du carnet (j'en ai plein la malle, qui sont remplis, et plein l'étagère, qui sont à remplir). (Connais-tu l'artiste Bruno di Rosa ? Depuis vingt ans il tient ce qu'il appelle un "carnet bleu", une page par jour, dans un carnet bleu, à l'encre bleue, reprenant le dernier mot de la veille pour commencer sa page - ce qui s'appelle une concaténation, c'est-à-dire une suite d'anadiploses -... il a un site ou un blog, ne sais plus, nous l'exposerons à Nantes en octobre prochain, car il fait tout un travail où écriture et art plastique se confondent ; un écrivain plastique ?)Bises vespérales, Jean-Pascal

FT, Le 20 janvier 2008/Loup-foc, bon vent pour le tour du bost
[...] Deux petites remarques au vol :
Génial, il est formidable, on va bien s'amuser (d'accord pour le côte ludique et loup-phoque) s'est dit la Flore de Bellefeuille et elle en rit toute seule d'aise..... et j'aime bien le contraste entre le grave et...l'aigu.
Et l'universel versant merde, ça me va très bien aussi, c'est rien de plus ; on serait plutôt du côté cerveau reptilien dont on parlait à table ce soir ; ma fille disait que voyant les gens, souvent elle pensait que ce qu'ils faisaient, ça avait à voir avec le fait qu'on avait tous été des animaux.... (elle ne voulait pas du tout dire quelque chose de négatif, du genre se conduisent comme des porcs, etc. Non, elle pointait très exactement cet universel-là qui nous vient de l'espèce et des mammifères plus particulièrement.....)
Sur ces entrefaites, je t'embrasse chaleureusement, consciente que les choses ci-dessus ne sont pas très bien dites mais tu les comprendras, j'en suis sûre.....
Florence Jolipage

Jean-Pascal Dubost, le 23 janvier 2008/Carnet, cahier, caha
Chère Florence, je commence de t'écrire mais ne sais quand je pourrai t'envoyer cet iciel, car je l'écris depuis mon lieu de résidence dans le pays segréen (49), et ne dispose d'un poste informatique qu'à 15 kms d'où je loge.
Oui, nous sommes d'universels animaux, des animaux historiques, des animaux intelligemment merdeux. Cette histoire du cycle de la merde m'avait passionné quand j'avais lu Rabelais pour la première fois (je m'apprête à relire tout encore et encore). Je m'étais régalé à la merde rabelaisienne, de ces descriptions grotesque nous donnant une vision généreuse des besoins naturels comme topographie corporelle, plaçant le corps comme plaque tournante de l'univers, transformant la merde en forme comique et joyeuse de la naissance et de la mort, permutant le bas et le haut, pardi, brenner et compisser relevaient du cosmique ! C'est merveilleux. " Appelez vous cecy foyre, bren, crottes, merde, fiant, dejection, matiere fecale, excrement, repaire, laisse, esmeut, fumée, estront, scybale, ou spyrathe ? ", écrit-il pour terminer le Quart Livre, passant du vulgaire au savant pour désigner la merde. Ce mouvement perpétuel du populaire et du savant pour joindre les deux bouts injoignables me travaille beaucoup quand je me penche sur l'acte du poème.

Il fallait que je te parlasse de l'écriture du carnet, dont je doute du grand intérêt, mais suivons le fil de tes questions-intuitives (parallèlement ça remet en question) : l'écriture du carnet, c'est en effet la face cachée de l'iceberg, le jardin secret, la forêt derrière l'arbre, le versant non littéraire de mon activité d'écrire et une totalité inintéressante pour le lecteur autre que mézigue cependant une pratique addictive de l'écriture. Depuis longtemps je remplis des carnets de toutes sortes et de toutes sortes d'écritures ; quand je noircis, le sentiment d'une autre vie, intense, s'ouvre. Je fus fasciné dans les années 90 par la folie compulsionnelle d'écrire et de vivre (et de survécrire) de Jack Kerouac et par son incitation au carnet : " Remplis des carnets secrets et tape à la machine des pages frénétiques, pour ta seule joie " ; " carnets secrets ", " pages frénétiques ", " joie ", ces mots résonnent continuellement pour m'intensifier la vie d'écrire.
Alors sous l'emprise de cette fascination j'ouvris des carnets : de notes de lectures, de lexiques, de textes délirants, de recensement d'objets échappés, ferroviaires, de voyage, de résidence, horticole, anthologiques, de recopiages, etc. etc., et j'ouvris mon " mémento " (" souviens-toi " en latin) (ce qu'on appelle ailleurement " journal " (intime/extime/littéraire ?)), à la date précise du 01/01/00, je l'avais décidé dans les années 90, je le tiens chaque jour depuis cette date.
Excitant que l'achat d'un nouveau carnet ; c'est un objet de rêverie ; quoi va-t-on y écrire ? C'est vivre sa vie en rêvé, probablement l'illusion d'un pied de nez au temps, adresse au lecteur idéal : cet inconnu qui n'est peut-être pas encore au monde. Aussi cet étrange sentiment d'avancer dans le trou noir du temps en noircissant le blanc de signes. Je m'en procure plus vite que je ne les remplis, qu'importe, j'en dénombre 24 à noircir sur mon étagère...
Tout ceci n'est qu'accumulation de vies et rien de tout cela n'est destiné à publication ; ça n'a aucune valeur littéraire (certains peuvent éventuellement être le support à un texte intentionnellement littéraire à écrire), ça ne fait pas œuvre, et donc allège de ce poids-là : " celui qui écrit l'œuvre est mis à part, celui qui l'a écrite est congédié " (Maurice Blanchot) : ainsi faisant, le congé est moindre, j'embrasse le vide avec le stylo.
Cependant, une autre fascination active la geste, celle pour le texte littéraire encyclopédique, macrocosmique et démesurément microcosmique, didascalique, gigantesque (du Bartas, d'Aubigné, Scève, Ronsard, Williams, Zukofsky...), et je songe encore qu'un jour il y aura chez le seigneur de Mézigue l'énergie nécessaire pour rassembler tous les carnets en une sorte de " carnet de geste ", en morceaux choisis et éparpillés sans autre logique que montrer l'histoire débridée d'une écriture et dire une certaine résistance du papier ; une vaste mosaïque. C'est tout kahi-kaha, cette pensée (mais je pense en fragments, rien de continu, que de l'illogique).
C'est enfin aussi une manière de boucher les trous d'un défaut de mémoire d'un homme de nulle rétention ; carnets remplissant, une mémoire se constitue.
Je ne terminerai pas sans évoquer Peau d'ours de Henri Calet, ce non-roman posthume composé des notes destinées à l'écriture d'un roman, cet objet littéraire involontaire, je le trouvai parfait. Un carnet-roman.
En attendant le déluge épicosmobiographique, ces carnets s'entassent dans une cantine militaire achetée dans un vide-grenier, et je ne sais pourquoi cet entassement cumulatif me comble.
Du fin fond austèrement rude du Segréen je t'envoie des bises de schistes et d'ardoise, (je regagne la forêt vendredi),
Jean-Pascal

FT, le 23 janvier 2008/Élucubres vespérales sur carnets et encyclopédie
J'aime beaucoup ce que tu écris sur les carnets et je voulais, mais l'ai-je fait à haute plume, je ne le sais plus ou alors tu l'as deviné, c'est encore mieux, t'interroger de façon plus détaillée sur la pratique du carnet. Tu anticipes...
Je note cependant que toutes proportions gardées c'est une pratique assez récente. Donc pas une pratique de toujours, pas une pratique née dans la toute jeunesse ou l'adolescence, à moins que tu aies été adolescent en 00, il faudrait que je regarde les dates (et hop, bio, non en 2000 tu n'avais pas quinze ans, le double et quelque, bon...) alors d'où ça t'est venu, cette idée et comment tu faisais avant surtout ?
Et encore le contenu des carnets, tu dis de tout, mais le tout du tout, des notes de lecture, des mots ramassés, des petits crobards, des engueulades, tu dis pas littéraire... pourquoi pas littéraire, parce que non élaboré, parce que brut de décoffrage, l'écriture d'un écrivain est-elle jamais tout à fait brute de décoffrage.....Et t'entendant parler ainsi de Kerouac et de sa façon de survécrire, je me demande si tu penses que tu tiens debout (pas en tant que sujet psy fragile mais en tant qu'humain, carcasse, squelette, homo sapiens même si pas sapiens du tout, enfin pas primate à quatre pattes) par l'écrire. Si vivre n'est possible qu'en l'écrivant, le vivre et tant pis si c'est pour soi seul. Et qu'est-ce que ça a à voir in fine avec la pulsion de faire œuvre. Sont-ce vraiment deux pulsions distinctes, cette compulsion d'écrire ( des pages frénétiques pour ta seule joie, oh, comme je souscris, et quelle force dans ces mots) et le désir de faire livre ?
... Parce que parce que, ce que je note aussi, c'est la visée encyclopédique, l'œuvre ville, l'œuvre monde, Paterson & Maximus en somme, alors que tu travailles aujourd'hui plutôt dans les briques, tu fa-briques des blocs de prose, brefs en général dont certains sont un monde en eux-mêmes certes, mais un monde restreint.
Et justement je me disais, pourquoi travaille-t-il surtout comme ça, avec ces blocs de prose, est-ce qu'il aurait le goût, l'envie d'une œuvre plus longue, fut-elle, tu commences à le dire, il me semble faite d'un grand assemblage de briques.....
Ca me fait un peu penser au merz de Schwitters aussi ton idée de " carnet de geste ", en morceaux choisis, l'histoire débridée d'une écriture, la résistance du papier, la pensée-fragments, le texte fragment", mais qui peut-être in fine (ce serait une visée ?) ira faire merzbau, kekpart ? Ramasser la vie qui va, qui se jette, qui s'oublie, l'apparent déchet du temps, de son temps, de sa vie et la fourrer dans un tout. On retrouve l'aspect sentinelle, des mots, du monde.... non ? En fait je rapproche les deux thèmes principaux de ta lettre, le carnet qui recueille tant du tout et la visée encyclopédique, l'œuvre maxime, le grand Foutoir prolifique et fascinant, où l'on fait entrer le tout, ou le peu du tout qu'on a retenu... et ça fait déjà pas mal.....
sur ces élucubres vespérales, j'embrasse le Seigneur de Mézigue
Florence
On reviendra sur les œuvres fleuves, je pense pour ma part au Zibaldone de Leopardi, ou à Joubert que je connais peu, ou à Valéry en ses Cahiers...

Jean-Pascal Dubost, le 27 janvier 2008/Crahiers, crarnets, suite
Boujou Florence,
(en Normandie, on se boujoute, ou se béchouette)
(oui, dans iciel précédent tu m'avais demandé de m'exprimer sur l'écriture régulière de notes etc.)
(a.s. (ante scriptum) : tu proposes tant de pistes que plutôt que de me disperser, j'emprunterai une piste par iciel, et ainsi, plusieurs iciels vont se suivre avec chacun sa piste)
Donc : je voudrais poser un addendum correctificatif en préalable : ma pratique addictive du carnet date des années 90, non pas des années 00. Aussitôt dès lors que des secousses intérieures menèrent ma personne à l' écrire, le carnet (ou cahier), quern ou du quaer, en tant comme objet devant consigner les aléas ou les formes définitives d'un texte s'imposa (depuis, j'ai offert la majeure partie d'iceux à la poubelle) ; puis vint le temps où je bricolivais dans cet objet des brimborions superfétatoires de basse farine (poubelle itou) (j'en ai conservé quelques-uns) ; mais depuis quelques années, je conserve tout. Date de 2000 ma pratique diariste quotidienne, de chroniqueur of myself extime etc. Cette pratique est une injonction contre l'oubli : memento !
Maintenant, je ne crois guère en cette idée de l'écrivain dont même les involontés d'écriture s'inscriraient dans l'œuvre (avec un grand Œuf). Je ne participe pas de cette mythification. Il n'y a que ce qui est posé là, proposé au regard et jugement de l'autre, et qui a été bossé. Je crois qu'il n'y a œuvre que volontaire, intentionnelle, et consciente (anthume ou posthume, peut chaut), asçavoir, l'écriture considérée comme œuvre d'art est le fruit d'un travail volontaire, de l'intention de marquer le temps présent dans une perspective future, et de la conscience de la tâche à accomplir. " La poésie est de se destiner à la poésie. Cette destination est mouvement - ce mouvement est vie ", écrit Marc Cholodenko. (Il y a certes quelques exceptions, mais elles ne font pas la règle.) Notes et autres gribouillis carnétaux forment et montrent (c'est la raison pour quoi ça ne se montre pas) toute la part mièvre mienne, fleur plus-que-bleue, gentille, rude-rustre, paisanne, friche, brouillonne, enfantillageuse, cueuillère de bois, bobosse débile, et surtout, sans relief, ennuyeuse et paresseuse de la personne intérieure qui signe par ailleurs Jean-Pascal Dubost des escripts contrefaits (Jodelle) ; nul travail, rien qu'un flux et un flot qui suivent les défauts et vices et failles de l'instant relâché. Mais ces relâchements sont devenus nécessaires, sans doutes échauffements tels qu'un sportif les pratique avant la compétition. Du brut de décoffrage, oui, complètement. Je ne crois pas non plus que faire œuvre soit, comme tu dis, une pulsion. Cela tient de la réflexion, du ruminé, de la projection volontaire (j'y reviens) dans le temps et d'un sentiment flou de perfection qu'on cherche toujours à netteter (impossiblement, bien entendu... l'œuvre ne faisant que rendre encore plus visibles les imperfections de l'homme).
Mais leur principale fonction, à ces carnets, oui, c'est la compensation par laquelle je me console devant une impossibilité à fabriquer une œuvre encyclopédique et monumentale qui ferait le tour de ces imperfections humaines. (Dans notre civilisation chrétienne, le " la " n'a-t-il pas été donné par la Bible, la Bible - " Biblia " : les livres -, le Livre, or, dans un iciel précédent je faisais allusion à des empêchements dus une éducation un peu austère-rigide de ce côté-là, ce n'est pas sans liens : répulsion et attraction = tiraillements = empêchement.) (La Bible ne trace-t-elle pas le chemin de nos imperfections ?)
Je remarque que d'une certaine manière et de manière certaine, ton Poezibao participe de cette volonté intentionnelle consciente d'encyclopédisme, je dirais, sans forfanterie, que tu fais œuvre encyclopédique du poétique contemporain.
J'ai commencé de te répondre ce matin dimanche, quand tout était blanc de gel, entre temps, suis allé au marché avec ma dame, j'ai encore brouetté du fumier et de l'humus, j'ai constaté que sous le paillis de feuilles mortes pointaient les tulipes, déjà, et ce soir, après avoir rêvassé devant le feu de cheminée et entamé une relecture de l'Anthologie de la poésie baroque française de Jean Rousset, je termine, je corrige, et hop, je t'envoie !
Je repars demain pour la semaine à Segré, poursuivre ma résidence d'écriture, mais il est deux ou trois points que j'ai oublié et deux ou trois autres auxquels je voudrais répondre, j'essaierai de là-bas ; tu l'as dit, c'est infini, cette affaire,
Je t'embrasse,
Jean-Pascal

Entretien 1 avec Jean-Pascal Dubost

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