Shawn Kemp a été l'un des joueurs les plus excitants de sa génération.
Au tournant des années 1990, un ovni débarque en NBA. Son nom, Shawn Kemp, 19 ans et des qualités physiques hors du commun. Pendant près d’une décennie, le « Reign Man » va faire le bonheur des fans de Seattle et des amateurs de highlights. Avant de connaître une descente aux enfers qui laissera à la carrière de ce joueur atypique un goût d’inachevé.
Les clichés de ses envolées ont habillé les murs de plus d’un gamin amoureux de basket. Shawn Kemp, phénomène révélé au début des nineties, a, durant son parcours, mit un point d’honneur à martyriser les cercles comme ses adversaires. Volcanique et électrisant, le joueur au maillot floqué du numéro 40 a forgé sa légende dans les rangs des regrettés Supersonics, une franchise au sein de laquelle il a formé un duo inoubliable avec Gary Payton.
Trop vite, trop haut, trop tôt ? Au cours d’une carrière en clair-obscur, l’explosif ailier, dont le potentiel laissait rêveur, a fini par se perdre en chemin. Malgré tout, son éphémère règne des raquettes a laissé un souvenir vivace dans les mémoire du côté de Seattle, ville où il a gagné ses galons d’icône. L’évocation du patronyme de Shawn Kemp invite aujourd’hui à un retour en arrière pour une courte mais intense escapade dans la stratosphère.
La NBA à 19 ans
Singulière, la trajectoire de Shawn Kemp l’est à plus d’un égard. Talent précoce, le natif d’Elkhart, petite ville du nord de l’Indiana, survole la concurrence dans les rangs de la Concord High School. Toutefois, le prodige connaît des moments difficiles. Il doit se confronter au racisme, des bananes étant jetées à son encontre lors d’une rencontre, avant de voir le titre de Mr Basketball 1988, récompensant le meilleur joueur de High School de l’Etat, lui échapper de manière incompréhensible au profit de Woody Austin. C’en est trop pour Kemp qui, attendu de pied ferme chez les Hoosiers (Université d’Indiana), décide de prendre son monde à contre-pied en rejoignant Kentucky.
A Lexington, les problèmes se poursuivent. Tout le board de l’équipe de basket se trouve plongé dans un scandale pour une campagne de recrutement monnayée et donc illégale. Peu impliqué dans son cursus, le joueur est accusé en novembre d’avoir volé deux chaînes en or à son coéquipier Sean Sutton, qui est également le fils de l’entraîneur. Il est finalement blanchi mais cette affaire sonne la fin de l’aventure à Kentucky. Kemp claque la porte et tente de rebondir du côté de Trinity Valley, au Texas, mais la saison est déjà entamée et il ne joue pas. Il se rend alors à Los Angeles où il espère convaincre les Lakers de le mettre à l’essai mais la tâche se révèle bien plus compliquée qu’il n’y paraît. Voyant les portes se fermer une à une, Shawn Kemp décide finalement de faire le grand saut et de se déclarer éligible pour la Draft.
A l’époque, le tremplin de la High School vers les hautes sphères de la NBA est loin d’être démocratisé. Seuls trois joueurs (Moses Malone, Darryl Dawkins et Bill Willoughby) l’ont expérimenté au coeur des années 1970. Shawn Kemp enchaîne les practices et tape dans l’oeil de Bob Whitsitt, le GM de Seattle, qui flaire le bon coup. « Je me suis dit, s’il explose, et c’est un grand si, nous aurons une combinaison entre Charles Barkley et Dominique Wilkins », se souvient-t-il, dans des propos relayés par The News Tribune. « C’était un risque. Si j’avais su qu’il serait aussi fort, j’aurais bougé des montagnes pour le sélectionner plus haut. Mais je savais qu’il serait encore disponible quand viendrait notre tour de choisir. Ça, je le savais. » L’homme fort des Sonics prend alors un pari osé. Après avoir sélectionné Dana Barros au 16e rang, il jette son dévolu sur Kemp, qui devient le 17e choix de la Draft 1989. A 19 ans, il s’apprête ainsi à faire ses premiers pas dans la cour des grands.
La pluie et le beau temps
Après une première saison d’adaptation au cours de laquelle son temps de jeu est limité, Shawn Kemp va exploser avec l’arrivée d’un autre prodige, Gary Payton, sélectionné par la franchise de l’état de Washington au 2e rang de la Draft 1990. Les deux joueurs forment une paire 1-4 complémentaire et menaçante. Véritable pur-sang, Shawn Kemp est un energizer qui ne laisse pas indifférent. L’homme aime défier la gravité et il va faire de son style de jeu ultra-spectaculaire une marque de fabrique. S’ouvre alors l’âge d’or du « Reign Man », un surnom lui ayant été affublé par deux créateurs de posters de Seattle, John et Tock Costacos, puis popularisé par le speaker des Sonics, Kevin Calabro, clamant à l’envi ce nickname sur chaque éclair balancé par le surpuissant ailier fort. Ses dunks ravageurs embrasent le Coliseum, à l’image du mythique « Lister Blister ». Play-offs 1992. Les Sonics défient les redoutables Warriors emmenés par le trio « Run TMC » (Tim Hardaway, Chris Mullin et Mitch Richmond). Le combat est chaud entre Kemp et Alton Lister lors du match 2 et les deux hommes en viennent aux mains. Au cours de la troisième manche, l’ailier des Sonics s’empare du ballon en tête de raquette avant d’aller écraser un dunk venu d’ailleurs sur la tête de son ancien coéquipier. Seattle remporte la série (3-1) avant de chuter face à Utah au tour suivant (1-4).
Ce n’est que partie remise. Avec la venue de George Karl à la barre au début de la saison 1992-1993, Seattle passe un nouveau cap. La franchise atteint la finale de conférence, battue sur le fil par Phoenix (3-4). Les deux années suivantes, malgré des bilans flatteurs, la déception l’emporte avec des défaites au premier tour des séries face à Denver et aux Lakers. Il faut attendre 1996 pour voir les Sonics donner enfin leur pleine mesure. Shawn Kemp, titré entre-temps lors des Mondiaux 1994 avec le Team USA, All-Star confirmé et favori de la foule, est alors à l’apogée de sa carrière. Avec l’aide de ses compères Gary Payton, Detlef Schrempf, Hersey Hawkins, Sam Perkins et Nate McMillan, il conduit son équipe vers les sommets à l’Ouest avec un bilan record de 64 victoires. Les play-offs sont une formalité, ou presque, et la bande retrouve en finale les Chicago Bulls. Malgré les efforts répétés du « Reign Man » des deux côtés du terrain (23 points, 10 rebonds, 2 contres de moyenne) et l’énorme défense de Gary Payton sur Michael Jordan, les Sonics doivent rendre les armes face à la meilleure formation de l’histoire (4-2).
La chance vient de passer pour Shawn Kemp. Elle ne se représentera plus. L’année suivante, les Sonics subissent la loi des Houston Rockets en demi-finale de conférence (3-4). Prince des raquettes, le numéro 40 étend son règne à la nuit américaine. Reconnu pour avoir au moins sept enfants de femmes différentes, Kemp devient la cible de moqueries de la part des médias. Ses sorties répétées et ses retards à l’entraînement commencent à inquiéter le staff de Seattle, même si ses lignes statistiques ne pâtissent pas encore de ces écarts. Durant l’été 1998, la direction de l’équipe plonge dans l’absurde en offrant un contrat de 35 millions de dollars à Jim McIlvaine, pivot sans talent. Shawn Kemp, qui avait demandé une révision de son bail à la hausse lui ayant été refusée, sort de ses gonds et menace. Ses dirigeants le prennent au mot et l’expédient à Cleveland sans ménagement. Un trade marquant le début de la fin pour le « Reign Man ».
Karl : « Il a plongé plus vite que je ne l’aurais pensé »
Lors des ses deux premières saisons avec les Cavs, Shawn Kemp maintient l’illusion en étant une dernière fois sélectionné pour le All-Star Game tout affichant sa meilleure moyenne de points en carrière en 1999 (20,5). Pour autant, l’impression que l’ailier aérien a perdu de sa superbe se trouve rapidement confirmée.’En proie à de sérieux problèmes de poids, conséquence de ses penchants pour l’alcool et les drogues, il retrouve les terrains nanti d’une silhouette pachydermique à la suite du lock-out. A 30 ans, Shawn Kemp est fini pour le basket. Il termine son parcours dans l’anonymat à Portland et Orlando avant de multiplier les come-backs manqués à Denver, Chicago ou en Italie, du côté de Rome.
Adolescent ayant dû devenir homme trop tôt, le power forward ravageur s’est brûlé les ailes en succombant au star system et à ses dérives inhérentes. « J’avoue que nous avons évoqué ce qu’il s’est passé. Nous nous sommes dits qu’il avait peut-être commencé trop jeune et qu’il n’avait pas pris suffisamment soin de son corps, témoigne son ancien mentor, George Karl. Et, la façon dont il a maltraité son corps, nous la connaisson tous. Lorsqu’il s’est retrouvé confronté à la face descendante de la montagne, il a plongé bien plus vite que je ne l’aurais pensé. »
Tombé subitement de son piédestal, le « Reign Man » laisse derrière lui le souvenir d’un envol altier noyé dans la métaphore d’un règne tourmenté, imprégné d’une saveur de regret. Aujourd’hui, les photos ont jauni et ont disparu des murs des gamins alors que les fantômes de la balle orange hantent Seattle. Comme si ce magnifique voyage n’avait été qu’un mirage. L’ombre planante de Shawn Kemp reste malgré tout la plus belle relique d’une époque. Celle où le basket se jouait en haute altitude au cœur de la « Rain City ».
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