Sur le modèle allemand, les dernières caricatures françaises.

Publié le 29 avril 2013 par Juan

Encore un moment d'excitation, mais pas une diversion. Plutôt une caricature de débat, comme pour éviter de se poser les vraies questions. Il a suffit d'une interview de Claude Bartolone, la semaine dernière dans le Monde, pour que la pression monte d'un coup. Voici que les accusations de germanophobie fusent de partout et surtout de droite. Car qui a dit que le modèle allemand était... un modèle ?
Alors, c'est la guerre ?
Le président de l'Assemblée nationale souhaite un "nouveau moment", c'est-à-dire un changement de cap. Mais ce qui a le plus effrayé était cet autre "conseil", la "confrontation" avec l'Allemagne.
"Lui appelle cela la "tension amicale" ; pour moi c'est la tension tout court et, s'il le faut, la confrontation." Claude Bartolone, 24 avril 2013.
Deux jours après, quelques socialistes préparent une motion pour leur bureau national. La chancelière allemande est clairement visée: "Le projet communautaire est meurtri par une alliance de circonstance entre les accents thatchériens de l'actuel premier ministre britannique et l'intransigeance égoïste de la chancelière Merkel." écrivent-ils. "Nous sortons enfin du Merkozy!" s'exclame l'un des leaders de la Gauche Populaire.
Matignon intervient pour faire supprimer la formule. Sur le fond, cela ne change pas grand chose, mais le mal est fait.
A droite et chez quelques éditocrates, on s'emballe évidemment: "le PS déclare la guerre à l'Allemagne !"titre le Figaro. Le Monde ajoute que nos voisins seraient "découragés" par l'attitude gauloise. "Désormais, il sera difficile de maitriser l'incendie entre l'Élysée et la chancellerie" complète le correspondant à Berlin du même canard. Pour un peu, voici la IIIème guerre mondiale au coeur de l'Europe. A l'UMP, Alain Juppé répond dans les mêmes colonnes du Monde: "la France est totalement isolée." Et il récuse l'idée d'un front contre l'Allemagne pour desserrer l'étau budgétaire. Bruno Le Maire qualifie l'argument socialiste de germanophobe.
Certaines attaques françaises contre Angela #Merkel sont insensées.
— Michel Barnier (@MBarnierEU) 27 avril 2013
Comme si l'inquiétude devenait générale, quelques journalistes fustigent aussi la salve. C'est la guerre !
Cambadélis, auteur de l'offensive tactique anti-Merkel, jette aux orties le meilleur de Strauss-Kahn: comprendre, négocier et convaincre.
— claude askolovitch (@askolovitchC) 27 avril 2013

À t on vu depuis 1945 un gouvernement français revendiquer une politique de tension avec l 'Allemagne?
— Leparmentier Arnaud (@ArLeparmentier) 26 avril 2013
Samedi, Jean-Marc Ayrault réagit modestement sur Twitter, en Français et en Allemand: 
L'amitié franco-allemande est indispensable pour redonner un nouvel élan au projet européen et trouver les voies du retour de la croissance
— Jean-Marc Ayrault (@jeanmarcayrault) 27 avril 2013
Cette réaction rapide suffit à maintenir l'illusion qu'il y a le feu au lac. Dimanche, deux ministres, Manuel Valls et Michel Sapin, corrigent le tir. Le premier dans les colonnes du Parisien, est brutal. Il tombe à bras raccourcis sur ces "camarades" du PS: "Ces propos sont irresponsables, démagogiques et nocifs. " Le second complète en taclant le président de l'Assemblée nationale: "Il ne s'agit pas de se confronter avec un pays, il s'agit encore moins de se confronter avec une personne, [la chancelière] Angela Merkel."

Quelles caricatures !
Disons-le simplement: ces exagérations ne servent pas le débat.
Primo, personne n'a déclaré la guerre à l'Allemagne, fut-elle politique ou économique. Ce sont les politiques conservatrices à l'oeuvre en Europe, impulsées par le gouvernement conservateur allemand qui sont en cause. Nulle germanophobie dans tout cela. Martine Orange, dans Mediapart, nous prédit un krach: " les discours de la chancelière allemande, destinés à son électorat, débordent les frontières et inquiètent de plus en plus. Même les Européens les plus convaincus finissent par s’en émouvoir : l’Allemagne parle trop fort, selon eux." Le constat est juste.
Secundo, personne ne tient Angela Merkel pour responsable de nos déficits accumulés, ni du désastreux bilan des équipes précédents, pas davantage de la Grande Crise. Mais il est évident que l'action politique d'Angela Merkel est loin d'être neutre dans la dégradation économique actuelle. La chancelière, fort du poids économique de son pays, bloque toute relance même modeste à l'échelle européenne. L'Europe est tellement en panne généralisée qu'elle inquiète plus largement que les peuples qui la composent. Etats-Unis et Chine s'agacent de ce boulet. Même le néo-libéral José-Manuel Barroso, président de la Commission, a infléchi sa position rigoriste ces jours derniers.

Où est le modèle allemand ?
Enfin, on peut et on doit s'interroger sur le fameux modèle allemand. Nicolas Sarkozy ne cessait de nous le vanter quand il était aux commandes. C'était un raccourci facile qui englobait une réalité plus grise et ambivalente. Notons qu'il tient aussi parce que le reste de l'Europe est un débouché pour deux tiers de ses exportations.
En termes macro-économiques, l'Allemagne fait envie avec son (léger) excédent budgétaire(+0,2% du PIB en 2012) et une croissance mollassonne mais positive prévue pour 2013 (+0,5%).
Le modèle allemand a ses limites, ses travers, ses horreurs. La campagne présidentielle de 2012 fut l'occasion d'en rappeler les principaux: il n'y a pas de salaire minimum. Environ 4 millions d'Allemands travaillent pour moins de 7 euros de l'heure. Les lois Hartz suivie de 8 années de "Merkelisme" ont achevé une flexibilisation du travail si efficace que les travailleurs pauvres sont légions.
La durée du temps du travail n'est pas plus élevée en Allemagne qu'en France. Le "plein emploi" outre-rhin se paye au prix d'un large travail partiel (22% en 2010, contre 13% en France), en hausse de 30% depuis 10 ans.
L'Allemagne compte davantage de pauvres que la France, soit 16% de sa population. Le niveau de vie moyen y est plus bas qu'en France.
Finalement, qu'importe le modèle allemand. Il n'est pas exportable en France. Le jeu est à somme nulle. L'Allemagne s'en sort parce que ces voisins perdent.
Qui donc peut penser qu'il faille être germanophobe pour écrire cela ?



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