Dossiers « noirs »

Omerta, vendetta, complot apocalyptique.
C’est un éternel recommencement : faut-il donner de la visibilité ŕ un ouvrage de mauvaise foi, faire la publicité d’un auteur qui s’en prend au Ťsystčmeť, qui s’autoproclame courageux redresseur de torts ? Ou tout au contraire l’ignorer, éviter soigneusement de faire connaître sa prose ? Nous voici ŕ nouveau dans l’obligation de poser la question au moment oů s’installe en tęte de gondole le nouvel opus de François Nénin, ŤCes Avions qui nous font peurť (1). C’est l’ouvrage d’un récidiviste, qui se dit journaliste d’investigation, spécialiste du transport aérien, et se consacre avec un bel entętement aux pratiques réputées douteuses des compagnies aériennes. Il consacre plus de 300 pages aux dérives d’un secteur qui, affirme-t-il, est en pleine crise, peuplé de pilotes épuisés, mettant en œuvre des avions mal entretenus, un milieu oů l’on trouve drogue et alcool et des dérapages qui peuvent ŕ tout moment virer au cauchemar.
L’acte d’accusation est violent, apocalyptique. Plus grave encore, la sécurité aérienne resterait un sujet tabou, royaume d’une implacable omerta mâtinée de vendetta, terrain d’action de passeurs d’influence et d’une omniprésente raison d’Etat. D’oů la volonté de dénoncer une situation intolérable, en pointant du doigt ses principaux responsables, par exemple le BEA ou encore des acteurs de premier plan comme la DGAC, Air France, l’AESA ou encore les agissements coupables, notamment, de Michael O’Leary et de quelques-uns de ses acolytes. Grâce ŕ Nénin, nous retrouvons dans ces pages quelques valeurs sűres du genre comme Norbert Jacquet, Michel Asseline, Christian Roger ou encore la députée Odile Saugues, pleine de volonté mais qui choisit mal ses amis. Ce sont quelque 300 pages écrites ŕ charge, de bout en bout, qui témoignent d’un art raffiné dans la maîtrise de la théorie du complot, quitte ŕ multiplier ŕ l’infini de grands poncifs.
Nénin a massacré un sujet qui mériterait pourtant de retenir l’attention. Quoi qu’il prétende, en effet, la sécurité aérienne a atteint son niveau le plus élevé depuis Clément Ader et les frčres Wright mais, en y regardant de plus prčs, nous assistons sans doute ŕ l’apparition d’un transport aérien ŕ deux vitesses. En effet, de toute évidence, des zones d’ombre et des points faibles subsistent, par exemple en Afrique ou encore au sein de compagnies de seconde zone qui utilisent encore des avions conçus en d’autres temps en ex-URSS.
Par ailleurs, il est trop facile de prendre pour argent comptant les extravagances de Michael O’Leary et de laisser entendre que l’équipage Ťŕ unť est pour demain, le deuxičme pilote étant supprimé pour diminuer davantage les coűts, quitte ŕ le remplacer …par une hôtesse de l’air. Nénin ne pratique visiblement pas le second degré et témoigne d’un grand talent pour faire naître de nouvelles craintes susceptibles de rendre insomniaques les 3 milliards de passagers annuels du transport aérien. Dans le męme esprit, Ťdénoncerť le manque de professionnalisme des autorités n’a pas de sens si les manquements, lŕ oů ils sont avérés, ne sont pas replacés dans leur juste contexte. On rejoint, lŕ encore, l’hypothčse d’une aviation commerciale ŕ deux vitesses qui ferait cohabiter de grandes maisons trčs sérieuses, suivies et contrôlées avec rigueur par une tutelle solide, et des compagnies manquant singuličrement de rigueur.
Ces derničres existent et il convient de les remettre dans le droit chemin. Mais, quoi qu’en dise notre journaliste d’investigation, chacun s’y emploie, de la Federal Aviation Administration ŕ l’Agence européenne pour la sécurité aérienne. Et, au cœur de l’Hexagone, chacun participe ŕ cet effort collectif, et cela certainement sans intention d’occulter de supposées vérités dérangeantes ayant pour l’objectif caché de protéger des intéręts industriels. L’argument, au demeurant usé, est tout simplement irrecevable. En revanche, des accidents récents montrent clairement qu’il reste ŕ faire pour enfin tendre vers la notion dite Ťzéro accidentť qui n’est plus tout ŕ fait une chimčre.
Si Nénin avait fait l’effort de mesurer un tant soit peu ses propos et les équilibrer, s’il avait formulé des commentaires plus réalistes sur Ťle lobby de l’aérienť, s’il s’était abstenu d’affirmer que la sécurité aérienne est un trompe-l’œil et qu’elle n’est que tricheries et corruption, il aurait peut-ętre pu écrire un bon bouquin. Mais celui-ci, pour reprendre un terme qu’il affectionne, est lui-męme une belle duperie.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(1) ŤCes avions qui nous font peur, les dossiers noirs du transport aérienť, par François Nénin, Flammarion Enquęte.