Dans la langue de Goethe, Jean-Marc Ayrault a ouvert le bal, soulignant que l’amitié franco-allemande était «indispensable». Hier, Michel Sapin et Manuel Valls ont poursuivi la valse au pas cadencé. Pour le premier, l’expression «confrontation» est un «contre-sens». Pour le second, c’est «irresponsable», «démagogique» et «nocif». Bref, nous pouvons parler de fraternité (et heureusement) mais surtout pas des perspectives sociales! Circulez, plus rien à dire! Le 17 avril, Angela Merkel félicitait le premier ministre français d’avoir déclaré qu’il n’y avait «pas d’alternative à (notre) politique» et souhaitait à la France le «succès» pour réduire ses déficits. Et il faudrait applaudir? À ce propos: vous avez voté Hollande ou Merkel au second tour de la présidentielle? L’hypocrisie a assez duré. La question ne concerne évidemment pas l’amitié avec nos voisins – le mythe du modèle allemand ne résiste d’ailleurs pas à l’examen critique –, mais du rapport de forces, donc du devenir des citoyens de tout un continent enrôlés de force dans des politiques d’austérité qui conduisent à la catastrophe et pour lesquelles l’Allemagne a joué un rôle primordial. Le débat traverse désormais le PS ? Réjouissons-nous ! Mais sans naïveté. Il est en effet facile de critiquer Merkel, tout en appliquant les mêmes recettes…
La "une" du JDD, 28 avril 2013.
Et pendant ce temps-là? Non seulement nous sommes invités à ménager notre langage – autrement dit à fermer nos gueules – mais nous devrions, en plus, nous agenouiller devant la perspective d’une union nationale… Selon un sondage, les Français seraient «pour» à 78%. Mais ne cherchez pas l’erreur. Hier, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a «félicité chaleureusement» Enrico Letta, qui venait de prêter serment à la tête du nouveau gouvernement italien de coalition, dont le grand vainqueur n’est autre que le parti de Berlusconi. Voilà à quoi rêvent les libéraux : une union nationale avec François Bayrou à Matignon. Un hold-up démocratique assumé jusqu’au bout ; un vote de gauche avec des solutions de droite. Tant qu’on y est, supprimons les partis politiques, la gauche et la droite, remplaçons tout cela par des «techniciens» de la finance, qui – on leur accordera au moins cette qualité – savent piloter le train-fou de l’économie libéralo-globalisée…Franchement, il est plus que temps de dire stop au chômage de masse, à l’atomisation sociale et à l’impuissance caractérisée – donc coupable. Le 1er mai comme le 5 mai seront deux moments citoyens pour l’exprimer. Avec des mots: «Changeons de politique!» Mais aussi par des actes: «Changeons de pied!» Vite.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 29 avril 2013.]