Revenons sur la figure mythique qui sera présentée à la vente de Sotheby's de mai prochain à New York (lot 42).
Celle-ci provient de la Baie de l'Astrolabe. Cette dernière, située sur la côte sud de la province de Madang en Papouasie-Nouvelle-Guinée, est célèbre pour l'ancienneté des oeuvres d'art qui y furent collectées mais aussi pour le séjour en 1870 d'un personnage singulier que fut l'explorateur russe Nicholas Miklouho Maclay.
Ces images monumentales d'ancêtres, appelées telum, constituaient des éléments très importants de la vie cultuelle. On pense qu'elles sont antérieures aux réalisations du Golfe Huon et de nombreuses oeuvres des régions du Sepik et qu'elles ont probablement influencé ces arts.
Pour preuve le rapprochement stylistique possible avec des bouchons de flûte Biwat ou de manière encore plus frappante avec les masques du Golfe Huon (cf. resp. images ci-dessous) :
L'explorateur allemand Hugo Zöller qui collecta cette statue en 1889, en collecta une seconde qui se trouve actuellement au De Young Museum, préalalablement acquise par J. & M. Friede.
Cette dernière, une représentation masculine un peu plus petite, suggère une oeuvre de la même main !(cf. Photo ci-dessous)
Seules 5 sculptures de ce type existent dans les collections : ces deux statues, une conservée au musée de Leyde au Pays-Bas, une en Allemagne (Vereinigte Evangelische Mission, Wuppertal) et une cinquième au musée ethnographique de Budapest.
La sculpture du musée de Leyde est aussi passionnante d'une part pour son histoire puisque Nikolai Mikloucho-Maclay l'a observée in-situ dans une maison du village de Bongu en 1877, l'a décrite et dessinée (ci-dessous). Le Dr. Otto Finsch (qui fut probablement le premier Européen à remonter le Sepik), a remarqué cette statue lors de son expédition en Papouasie de 1884-85 et était certain que celle-ci existait depuis des générations.
Plus tard, dans les années 1890, Kubary, un administrateur de la Deutsche Neuguinea-Kompagnie, s’empara de cette sculpture et l’envoya en Europe, où la statue fut acquise en 1895 par le Rijksmuseum voor Volkenkunde de Leyde et s'y trouve de nos jours.
Mais examinons de près cette effigie comme celle de la vente Sotheby's :
Les coiffes sont identiques avec des défenses de porcs sur les côtés et les lobes des oreilles sont importants pour laisser place à des pendants.
Toutes les deux portent un ornement de bouche arboré lors de danse ou comme parure de guerre.
Il s'agit de fibres tressées ornées de défenses de porcs ou de coquillages et qui symbolisent la tête d'un ennemi tué.
Habituellement porté sur la poitrine, cet accessoire devient ornement de bouche apte à provoquer un effet saisissant vis-à-vis des adversaires.
Quant à la fonction des telum, elle est mal connue. Ni Zöller, ni Mikloucho-Maclay n'ont bien documenté ces figures.
Elles représentent certainement des ancêtres mythiques importants (masculin ou féminin) et ont joué un rôle central dans les rituels d'initiation et la circoncision rituelle des garçons.
Photo 1 © de l'auteure, Sotheby's Paris, avril 2013.
Photo 2 : © Bernhard Hagen, Unter den Papuas Beobachtungen und studien über land und leute, 1889.
Photo 3 : Détail d'un bouchon de flûte Biwat, vente Sotheby's mai 2010.
Photo 4 : Masque Golfe Huon, île de Tami,
Photo 5 : Telum de la collection John et Marcia Friede, © De Young Museum.
Photos 6 et 7 : Telum du © Rijksmuseum voor Volkenkunde de Leyde et celui de la vente Sotheby's. Photos 8 et 9 : Détails des Telum du © Rijksmuseum voor Volkenkunde de Leyde (photo 2009, © Rob Koopman) et de la vente Sotheby's (photo de l'auteure, avril 2013)