L’Italie a enfin un nouveau gouvernement. Enrico Letta est le nouvel homme
fort du pays, avec derrière lui, l’ensemble de la classe politique traditionnelle. Seul, le parti protestataire de Beppe Grillo a refusé ce gouvernement de consensus.
Sans commenter cet inquiétant attentat dont l’information est trop "fraîche" pour en comprendre les raisons,
revenons à la politique intérieure italienne. La veille, 27 avril 2013, au cours d’une conférence de presse, l’ancien ministre Enrico Letta (46 ans), numéro deux du parti démocrate italien (PD), avait annoncé qu’il avait réussi à constituer
une large majorité d’union nationale autour du gouvernement qu’il était chargé de former trois jours auparavant. Une majorité forte de 437 députés sur 630 et de 218 sénateurs sur 319, soit plus
des deux tiers des parlementaires, viendra à sa rescousse dans la semaine.
Il a ainsi réussi là où son collègue Pier Luigi Bersani (61 ans) avait échoué le 28 mars 2013. Cela clôt
ainsi la crise politique en Italie depuis le 8 décembre 2012 (la perte du soutien du parti de Silvio Berlusconi au gouvernement de Mario Monti), que les élections générales des 24 et 25 février
2013 n’avaient pas réussi à arrêter.
Enrico Letta, issu de la démocratie chrétienne italienne, est un petit prodige de la politique italienne
puisqu’il a été le ministre le plus jeune de l’histoire italienne, lorsqu’il fut nommé le 21 octobre 1998 (à 32 ans) Ministre pour les politiques communautaires (puis du 22 décembre 1999 au 11
juin 2001, Ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat, et du 17 mai 2006 au 8 mai 2008, le Secrétaire d’État à la Présidence du Conseil des ministres de Romano Prodi).
Il avait postulé la direction du PD au cours de la primaire du 24 juillet 2007 et s’était retrouvé
en troisième position derrière Walter Veltroni (qui avait largement gagné la primaire avec plus des trois quarts des voix) et Rosy Bindi. Lors de la primaire du 25 octobre 2009, il avait fait
équipe avec Bersani et ils l’avaient remportée dès le premier tour avec 53%.
Mission remplie également pour le vieux Président de la République italienne, Giorgio Napolitano (87 ans), qui a dû accepter à contre cœur sa réélection le 20 avril 2013, contrevenant à toutes les traditions historiques et surtout, à la raison liée à
l’âge, par la simple motivation qu’il était, lui aussi, le seul capable de réunir une majorité du collège électoral. Chose assez rare dans la politique italienne, c’est Giorgio Napolitano qui a
lui même esquissé les grandes lignes du gouvernement d’Enrico Letta.
Quel était le problème ? Essentiellement numérique : si le parti démocrate italien (PD) avait gagné
les élections, ce n’était pas suffisant pour avoir la majorité au Sénat, tandis que le PdL (Peuple de la Liberté), parti de Silvio Berlusconi, avait réussi à résister honorablement et que le
Mouvement 5 étoiles était entré massivement au Parlement italien. Or, ce mouvement nouveau, très différent des autres partis politiques, que je dirais essentiellement basé par cette mauvaise
expression de "société civile" (mais je n’ai pas trouvé d’autre expression pour la remplacer) avait refusé tout accord avec le PD, seule majorité susceptible d’éviter l’union nationale.
Conclusion, c’est un large accord avec la classe politique "classique" qui a eu lieu autour d’Enrico
Letta : le PD, le PdL et aussi la coalition menée par le chef du gouvernement sortant Mario Monti (70 ans). Il faut dire qu’Enrico Letta avait sans doute plus de facilité à obtenir un accord
PD-PdL que Pier Luigi Bersani dans la mesure où son oncle, Gianni Letta (78 ans), ancien ministre, reste l’un des plus proches de Silvio Berlusconi (et fut son candidat à l’élection
présidentielle de mai 2006).
La base de cette union nationale a deux volets : d’une part, une réforme des institutions pour éviter un
nouveau blocage comme celui que vient de connaître l’Italie depuis cinq mois ; d’autre part, la poursuite des réformes économiques pour tenter un redémarrage industriel et un assainissement
de la dette publique. Pour Enrico Letta, il est clair que l’austérité n’est pas la panacée : « La situation actuelle ne peut plus durer, en
Italie comme en Europe, car les politiques d’austérité ne suffisent plus. ».
Les vingt-deux autres ministres ont également prêté serment au Palais Chigi ce dimanche matin. Le numéro deux
du gouvernement est Angelino Alfano (42 ans), chef du PdL (depuis le 1er juillet 2011) et ancien Ministre de la Justice de Silvio Berlusconi du 8 mai 2008 au 27 juillet 2011, nommé
Vice-Président du Conseil et Ministre de l’Intérieur. Angelino Alfano fait figure de véritable dauphin politique de Silvio Berlusconi (76 ans).
Le directeur général de la Banque d’Italie depuis 2006, Fabrizio Saccomanni (70 ans), sans parti, a été nommé
Ministre de l’Économie et des Finances, le poste clef de ce gouvernement. L’ancienne commissaire européenne Emma Bonino (65 ans), qui était plus ou moins candidate potentielle à l’élection
présidentielle d’avril 2013, a été nommée Ministre des Affaires étrangères. La Ministre de l’Intérieur sortante, Anna Maria Cancellieri (70 ans), proche de Mario Monti, et également candidate
potentielle à l’élection présidentielle, a été nommée Ministre de la Justice.
Gaetano Quagliariello (53 ans), du PdL, est au stratégique poste des Réformes institutionnelles. Enfin, Mario
Mauro (51 ans), proche de Mario Monti (et ancien du PdL), Vice-Président du Parlement Européen depuis
juillet 2004, est nommé Ministre de la Défense. Mario Mauro et Gaetano Quagliariello avaient fait partie de la commission nommée par le Président Napolitano le 30 mars 2013 pour faire des
propositions de réformes institutionnelles.
C’est aussi un gouvernement sans précédent pour la "diversité" qui comprend sept femmes (un record bien que
cela ne représente qu’un petit tiers), dont une ministre originaire du Zaïre, l’ophtalmologue Cécile Kyenge (48 ans), du PD, chargée de l’Intégration, nouvellement élue députée en février
dernier.
Pour Enrico Letta, ce gouvernement n’est pas un gouvernement "technocrate" comme ce fut le cas pour le
précédent dirigé par l’économiste Mario Monti, mais bien un gouvernement politique qui veut avancer dans les réformes.
Il en ressort cependant qu’il sera très difficile à Enrico Letta de conserver durablement cette majorité très
large lorsqu’il viendra au fond de ses projets de réformes, dans le concret. C’était en tout cas la seule manière de contrer le Mouvement 5 étoiles, refusant obstinément de se prêter à une
coalition, qui pourrait sans doute bénéficier d’un accroissement d’audience dans les années à venir si la situation économique ne venait pas à s’embellir.
Et en France, serait-il pertinent d’imaginer une union nationale pour impliquer toute la classe politique dans les réformes structurelles qu’il sera nécessaire
d’engager ? Certains y ont déjà pensé, et j’aurai sans doute l’occasion de l’évoquer prochainement…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (28 avril
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La réélection de Giorgio Napolitano.
L’union nationale en France ?