L’éditeur et agent littéraire au Masque d’Or, Thierry Rollet, nous fait part à son tour de son expérience avec la problématique du système d’office et du dépôt-vente de livres dans les différentes librairies. Encore une fois, ce commentaire fait suite aux deux articles que nous avons récemment publié sur notre blogue officiel, intitulé : « La vente des livres en librairies, une réalité souvent difficile« . Nous vous souhaitons une bonne lecture :
Bien que j’aie souvent évoqué ces cas précis dans diverses communications, on me demande encore pourquoi les éditions du Masque d’Or n’effectuent pas de dépôts-ventes, d’offices ou envois de livres aux libraires avec possibilité de retour.
Je peux répondre d’emblée que c’est pour votre bien, auteurs, que je me montre ferme dans cette politique de distribution qui en vaut tout à fait une autre, vu qu’elle permet de vendre elle aussi, sans pertes ni gaspillage d’exemplaires.
En effet, pour faire de la diffusion en librairie, il faut tout d’abord avoir un diffuseur. Or, ceux-ci connaissent une réputation des plus déplorables auprès des éditeurs car ils vont jusqu’à leur prendre entre 55 et 60% de leur chiffre d’affaires lors de chaque vente de livre. C’est inadmissible économiquement, c’est pourquoi même les plus grands éditeurs – le grand Galligrasseuil – effectuent depuis longtemps leur diffusion eux-mêmes, avec des moyens qui sont certes plus importants que ceux du Masque d’Or, étant donné que ces éditeurs peuvent s’offrir des librairies entières, auxquelles ils interdisent bien évidemment d’accepter d’autres offices que les leurs.
En outre, pour effectuer des offices[1], il faut avoir des stocks, de même que pour intéresser un diffuseur, qui ne considèrera que les éditeurs disposant de stocks de 1500 à 2000 exemplaires par livre, mais refusera ceux qui, comme le Masque d’Or – qui n’est pas l’inventeur de ce système – ne font imprimer que selon les commandes reçues.
Lorsque j’ai commencé mon activité éditoriale, deux solutions se présentaient à moi : la première, effectuer des stocks, ce qui ne m’aurait permis que de publier 3 ou 4 nouveaux livres par an – question de moyens ! La seconde, celle que j’ai choisie, consiste à baser les réimpressions sur les commandes reçues, donc à ne pas faire de stocks et ainsi à permettre à au moins 10 nouveaux livres de voir le jour chaque année. C’est à cette politique que je me tiendrai.
Je ne répèterai jamais assez qu’un livre n’est qu’un produit sur le marché et qu’il ne se vendra que si le public le prise, malgré toute la publicité que l’on pourrait lui faire. J’ai publié plus de 120 livres à l’heure actuelle, avec des fortunes diverses pour chacun d’eux : ventes par paquets de 10 ou 20 exemplaires… ou ventes au compte-gouttes. Mes propres ouvrages ont eux-mêmes subi ces sorts totalement imprévisibles.
Plusieurs auteurs m’ont fait part de leur inquiétude bien légitime : « Si on ne difffuse pas, on ne vend pas. » J’ai répondu : « Autrement non plus », pour la raison précitée : nul ne peut supputer les ventes d’un livre. Même le grand Galligrasseuil le sait, lui qui met chaque année les 2/3 de sa production au pilon !
C’est pour cette raison que les dépôts-ventes, que j’ai pourtant pratiqués autrefois dans des librairies régionales et même parisiennes, sont devenus rapidement ingérables : déposer 4 exemplaires – les libraires en veulent rarement plus – d’un livre qui ne se vend pas lui est préjudiciable, les libraires étant souvent peu soigneux. J’ai dû bien des fois me fâcher lorsque l’un d’eux voulait me rendre des exemplaires abîmés ou qu’il prétendait les avoir « perdus » : il a fallu parfois aller jusqu’à l’huissier pour en exiger le paiement ou le remboursement. Par ailleurs, les libraires sont de plus en plus réticents à accepter des dépôts-ventes, noyés qu’ils sont par les offices des grands éditeurs – dont certains cartons repartent fréquemment sans avoir été ouverts ! Quant aux envois d’offices, inutile d’en parler : si l’invasion des grands éditeurs dans ce domaine indispose les libraires, que peut-il en être des offices des petits éditeurs, dites-moi ?
Le Masque d’Or n’est pourtant pas à plaindre – et ses auteurs non plus, de ce fait : il reçoit régulièrement des commandes, y compris de la part de libraires avec lesquels il lie connaissance. D’autres sont devenus des clients réguliers qui lui font des commandes fermes, tels Alizés SFL et Chapitre.com. Cependant, répétons-le encore, il y aura toujours des livres qui se vendront moins que les autres, sans que nul ne sache pourquoi. Ce cycle affecte tous les produits du marché et résume à lui seul la loi du marché, y compris pour le livre.
Thierry ROLLET, éditeur au Masque d’Or
[1] Rappel de la définition : on appelle ainsi les envois systématiques que fait un éditeur de ses nouvelles parutions à différents libraires inscrits sur ses tablettes. Certains de ces envois se font amicalement, par convention entre l’éditeur et le libraire, d’autres de manière autoritaire, surtout de la part des grandes maisons d’édition parisiennes. Les libraires attendent généralement 3 mois avant de réexpédier les invendus et de régler la facture (avec 30 à 40% de remise) correspondant au nombre d’exemplaires effectivement vendus. (extrait de « Les Faux Amis des Écrits Vains » de Thierry Rollet, Éditions Dédicaces : www.dedicaces.ca).
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