Sentir le fagot

Par Arielle

1. Être mécréant, avoir des idées trop libres en matière de religion (donc être promis au bûcher)


2. Plus généralement, s'applique à toute personne, opinion ou oeuvre générant un scandale ou inspirant de la méfiance, car susceptible d'être condamnable
Lorsqu'on s'attelle au barbecue destiné à nourrir la palanquée d'invités de la fête jardinière (garden party, en anglais), on sent rapidement le charbon de bois puis, peu après, la chipolata ou la merguez, voire les deux.
À une lointaine époque, au lieu des saucisses, c'étaient des hommes et même des femmes que l'on brûlait. C'est pourquoi le Cauchon qui fit une flambée de Jeanne d'Arc devait probablement sentir la pucelle grillée.


Pourquoi les brûlait-on, me direz-vous ? Eh bien en l'absence de guillotine ou de chaise électrique, il fallait bien trouver un moyen, extrêmement douloureux si possible, de trucider celui qui était condamné à mort[1]. Or, si aujourd'hui, dans certaines contrées modernistes, le moyen de se débarrasser de femmes adultères, donc méritant la mort, peut être la lapidation, autrefois la justice, plus ou moins juste, pouvait envoyer sur le bûcher les sorcières, les hérétiques et autres personnes auxquelles, à tort ou à raison, on faisait de si gros reproches qu'on considérait devoir les éliminer de la planète.
Et ces grands feux de joie étaient constitués de bûches entourées de fagots de petit bois savamment entassés de manière à démarrer le feu et le propager aux bûches placées autour du poteau où, attaché, le condamné devait vivre ses derniers instants, victime d'un gros coup de chaleur.
De ce fait, les personnes ainsi traitées, peu avant de passer de vie à trépas, sentaient inévitablement le fagot brûlé, sans passer par la case chipolata.
C'est de cette joyeuse pratique, très appliquée aux hérétiques, que notre métaphore est née au XVIe siècle, d'abord utilisée pour les personnes considérées comme mécréantes (et Dieu sait si, au cours de guerres de religions, les uns sont les mécréants des autres, et inversement, ce qui donne de la matière à carboniser !) avant de s'étendre à tout ce qui est considéré comme subversif ou pouvant conduire devant la justice.
[1] Mais notez bien que la cruauté n'était la seule raison d'utiliser le bûcher pour éliminer les sorcières et autres hérétiques. En effet, à cette époque, la raison la plus importante venait du fait que les gens étaient persuadés qu'en les brûlant, leur résurrection serait impossible, l'âme étant autant carbonisée que le corps (ce qui explique d'ailleurs aussi que, jusqu'en 1963, l'Église refusait catégoriquement la crémation qui n'est plus maintenant que tolérée, sous certaines conditions).


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