A l'Oeuvre, Michel Fau s'empare d'un drame quelque peu oublié d'Henry de Montherlant ("La Reine Morte", "La Ville dont le Prince est un Enfant", "Le Cardinal d'Espagne"...) mettant en scène un couple et son enfant à la veille de la Libération. Usant du ton emphatique qu'on lui connaît, maîtrisant comme personne l'art du décalage, L'acteur révèle merveilleusement toute l'acidité d'une plume par ailleurs pleine de grâce qui dresse un portrait complexe, pas vraiment reluisant, de l'être humain, et nous permet de pénétrer au plus profond de l'âme névrosée des personnages. Le résultat est à la fois irrésistiblement drôle, grinçant, noir, intense et tragique.
Juin 1944. Dans leur salon, un homme et une femme qui ne s'aiment plus. Ils se le disent ouvertement, violemment, cyniquement. Lui ne cache pas l'indifférence qu'il éprouve pour leur fils de 17 ans. L'amour presque incestueux qu'elle porte à sa progéniture la plonge pour sa part dans des états extrêmes. Le garçon souhaite intégrer la Résistance. Après réflexion, son père, avocat au patriotisme relatif ayant défendu un allemand durant la guerre, autorisera le projet, voyant là une opportunité de se racheter une conduite, la Libération s'annonçant. Ce faisant il condamnera le jeune homme...
Au coeur d'un somptueux et oppressant écrin 1930, le teint flatté par un éclairage sépia rétro à souhait, les trois interprètes nous baladent donc du vaudeville à la tragédie grecque, sans jamais oublier la vérité de ceux qu'ils incarnent, tendant régulièrement un miroir au spectateur. Michel Fau campe avec délice un homme infect, froid, ambigu, égoïste, lâche, misogyne et misanthrope (n'en jetez plus). Léa Drucker dévoile une femme et une mère dont les souffrances l'envoient dans un monde parallèle. Elle assume et contrôle remarquablement le jeu excessif qui lui est demandé. Un travail sculpté avec précision. Bravo. Entre les deux Loïc Mobihan est un fils modèle, pugnace et droit. Cet acteur débutant à la présence certaine convainc par sa sincérité et sa diction impeccable. Nous suivrons son parcours de près.
N'hésitez pas.
"Demain il fera jour". Jusqu'à fin juin au Théâtre de l'Oeuvre.
Photo : Marcel Hartmann