François Jacob, Prix Nobel de médecine, s’est éteint vendredi 19 avril, à l'âge de 92 ans. "Avec François Jacob disparaît une grande figure scientifique qui aura honoré la France", a salué le président de la République.
Scientifique brillant, François Jacob a inspiré de nombreux chercheurs et n’a jamais hésité à défendre, au péril de sa vie, les valeurs cardinales de la Démocratie et de la Liberté. Le texte ci-dessous a été rédigé par Michel Morange, ancien élève de François Jacob, biologiste et historien des sciences.
Avec François Jacob disparaît l’un des derniers grands acteurs de la « révolution moléculaire » qui donna aux sciences du vivant la place majeure qu’elles ont aujourd’hui dans le paysage scientifique.
La vocation de François Jacob fut tardive. Se destinant à la chirurgie, son destin bascula en Juin 1940 lorsqu’il refusa la capitulation, et rejoignit le Général de Gaulle à Londres. Il combattit pendant quatre ans avec les Forces Françaises Libres en Afrique, puis en France où il fut grièvement blessé à l’été 1944. François Jacob était Compagnon de la Libération, et il fut Chancelier de l’Ordre.
Le métier de chirurgien lui étant désormais interdit, il participa après la guerre à plusieurs projets, dont la production d’antibiotiques, avant d’entendre parler de cette révolution scientifique alors en cours au carrefour de la physique, de la génétique et de la microbiologie, et de décider d’y participer.
C’est André Lwoff, l’un des rares chercheurs français engagé dans cette révolution de la biologie, qui lui ouvrit les portes de son laboratoire à l’Institut Pasteur à Paris, et lui permit une ascension scientifique fulgurante.
Quinze années plus tard, il recevait avec André Lwoff et Jacques Monod le Prix Nobel de Physiologie ou de Médecine pour avoir élaboré le « modèle de l’opéron », premier modèle décrivant les mécanismes par lesquels l’activité (l’expression) des gènes est contrôlée. Entre-temps, il avait contribué à décrire l’interaction complexe entre une bactérie et son virus, le bactériophage, et proposé, avec Elie Wollman, les mécanismes par lesquels les bactéries échangent une partie de leur information génétique. Dans tous ces travaux, l’art de François
Jacob avait été de substituer à des observations complexes et des schémas abstraits, des mécanismes moléculaires précis.
L’élégance des expériences combinées de biochimie et de génétique qui avaient conduit à l’élaboration du modèle de l’opéron, et le fait que ce modèle apportait une réponse à une question posée par les généticiens depuis plus de trente ans expliquent son impact majeur sur toute la biologie, et que le Comité Nobel n’ait attendu que quatre années pour en reconnaître l’importance.
A la fin des années 1960, comme beaucoup d’autres biologistes moléculaires, François Jacob abandonna la bactérie qui avait été jusqu’alors son système d’étude pour un organisme plus complexe. Il choisit la souris pour sa proximité avec l’homme, et l’intérêt que son étude avait pour l’Institut
Pasteur auquel il fut toujours profondément attaché. Les débuts furent difficiles car il fallut du temps pour construire les outils adaptés à l’étude des organismes complexes et de leur développement embryonnaire. Mais le choix était bon : la souris est devenue l’organisme privilégié pour la reproduction et l’étude des maladies humaines. Le système cellulaire choisi par François Jacob pour faciliter l’étude du développement embryonnaire de la souris eût aussi un bel avenir : les cellules de tératocarcinome étudiées dans le laboratoire de François Jacob sont les ancêtres des cellules souches cultivées aujourd’hui dans des centaines de laboratoires à travers le monde.
L’autorité scientifique de François Jacob marqua profondément tous ceux qui eurent la chance de travailler avec lui. Ses compétences scientifiques alliées à l’expérience de sa vie donnèrent à son engagement constant contre le racisme et toutes les utilisations abusives des résultats de la génétique un poids considérable.
François Jacob fut aussi l’analyste des transformations scientifiques auxquelles il avait contribué. Dans son ouvrage La logique du vivant, il replace l’essor de la biologie moléculaire dans l’histoire général des sciences de la vie. Dans plusieurs autres ouvrages, tel Le jeu des possibles, il a décrit les caractéristiques particulières de la connaissance scientifique pour la distinguer des autres formes de connaissance. Tous ces ouvrages sont profondément originaux par leur style et leur contenu, comme l’est aussi son autobiographie La statue intérieure.
La mort de François Jacob signe la fin d’un âge d’or de la biologie, et laisse un grand vide.