Attentat de Boston : les informations concernant les frères Djokhar et Tamerlan Tsarnaev se multiplient et révèlent les failles de la bureaucratie gouvernementale en charge de la sécurité.
Par Stéphane Montabert.
Dans sa première allocution immédiatement après l'attentat de Boston, le président Barack Obama réussit à commenter la situation sans employer une seule fois le mot "terrorisme". Pour le chef d’État américain, la déflagration simultanée de deux engins explosifs au milieu de la foule à l'arrivée d'un marathon n'était sans doute pas suffisante pour mériter un tel qualificatif. À moins qu'il n'ait cherché à ne stigmatiser personne. D'authentiques terroristes auraient pu s'indigner.
À l'époque, on ne savait pas encore que les explosions s'étaient déclenchées à partir de cocottes-minute piégées ; la méconnaissance de ce détail nous épargna peut-être l'évocation d'un "dramatique accident de cuisine" par le responsable de la Maison Blanche.
Aussi ridicule soit-il, le déni est une réaction humaine. Admettre que l'attentat de Boston soit la première offensive terroriste exécutée sur le sol américain depuis les attentats du 11 septembre n'a rien de facile. C'est pourtant la stricte et douloureuse vérité. En voilà une autre : dans sa tâche de protéger le peuple américain, Barack Obama a fait moins bien que son prédécesseur George W. Bush. Et il ne peut même pas se retrancher derrière l'excuse de l'effet de surprise.
Si le déni est problématique pour un individu, il devient dangereux lorsqu'il affecte des pans entiers de la société, que ce soit les médias ou les services gouvernementaux chargés de la défendre.
Pendant l'étrange phase "Où est Charlie" où des milliers de fonctionnaires et d'internautes épluchaient les images des caméras et les prises de téléphone portable au moment des faits pour tenter de trouver des suspects (sans qu'aucun militant ne manifeste plus contre l'ignoble empiètement de la vidéosurveillance sur la vie privée), les éditorialistes se faisaient un devoir d'examiner les pistes. Au menu figuraient à peu près tous leurs fantasmes, livrés en vrac : nationalistes anti-gouvernement, miliciens pro-NRAA en rogne contre Obama, extrémistes chrétiens, agents secrets de Corée du Nord... Ou l'inévitable Mossad, comme d'habitude.
En même temps, comme si un petit sentiment taraudait la conscience en sourdine, il fallait se couvrir : le petit peuple évoquant bruyamment la piste islamiste sur Twitter, on expliqua alors que, dans l'hypothèse proprement invraisemblable d'un terroriste musulman, cela ne pourrait être que le fait d'un "loup solitaire", un illuminé, un Homegrown Terrorist agissant de son propre chef à base de vidéos de propagande et de construction de bombes vues sur Youtube.
Bref, un individu non fiché, surgi de nulle part, et contre lequel il est impossible de se prémunir.
Toutes ces idées fausses volèrent en éclat (métaphoriquement, pour une fois) avec la découverte des frères Tsarnaev. Deux musulmans d'origine Tchétchène, accueillis comme réfugiés politiques par les États-Unis, fichés depuis longtemps, travaillant de concert pour massacrer un maximum de civils du pays qui avait eu l'audace de leur offrir la nationalité et un avenir.
Depuis, les révélations se suivent et se ressemblent : faisceaux d'indices guère suivis, manque de coordination avec des services étrangers (notamment russes), bureaucratie incapable de maintenir ses fichiers à jour, perte de leur trace à cause de fautes d'orthographe, toute la ribambelle consternante des fautes de services gouvernementaux en charge de la sécurité...
Les deux frères quant à eux, loin de se contenter de vidéos islamistes, accomplirent une carrière terroriste tout à fait classique : sensibilité à la cause, endoctrinement – vraisemblablement à l'étranger, les mosquées américaines étant trop molles – puis voyage de l'aîné dans un Disneyland islamiste pour parfaire la formation de poseur de bombe, ici le Daguestan et la Tchétchénie, en janvier 2012.
Autant pour le Homegrown Terrorism.
Il est de bon ton de pointer du doigt les erreurs de Washington, mais la capitale américaine n'est pas la seule à refuser d'aborder le problème. L'histoire des frères Tsarnaev résonne dans bien des pays occidentaux – que ce soit Mohammed Merah en France, Magd Najjar en Suisse ou Taimour Abdulwahab en Suède. Combien de paumés se laissent progressivement endoctriner par des prêches extrémistes ? Combien d'apprentis-terroristes viennent quérir une formation au cours d'un voyage "touristique" dans une zone tribale ? Combien d'étrangers sans aucun attrait pour leur pays d'accueil ou ses habitants se retrouvent gratifiés de sa nationalité ? Combien crachent leur haine pour l'Occident dans l'indifférence générale ?
L'idée d'islamistes mus par la pauvreté et les inégalités n'a jamais été que l'expression des fantasmes de la gauche, sans le moindre lien avec la réalité. Ceux qui s'accrochent désespérément à la vision de terroristes forcément étrangers et aisément identifiables sont aussi en retard d'un attentat ; les frères Tsarnaev ne portaient même pas de barbe.
Aiguillonnés par la tuerie de Boston, les services de sécurité occidentaux se réveillent. On arrête des membres d'al-Qaeda en Espagne. Le Canada se découvre une filière de talents islamistes, avec projets d'attentat clef en main. Quant à la France, elle ne sait trop de quelle façon elle récoltera les fruits du printemps arabe. Sans remise en question des politiques d'accueil et d'intégration, comment croire que ces opérations récentes suffiront à juguler la menace ?
Certains élus, dont l'inénarrable John McCain, proposèrent de qualifier les terroristes de "combattants étrangers", pour mieux les dissocier du peuple américain. Sachant que Dzhokhar et Tamerlan Tsarnaev vécurent plus de dix ans sur le territoire des États-Unis et que le plus jeune reçut même la nationalité américaine, la proposition est pour le moins osée.
Mais acceptons la suggestion pour ce qu'elle vaut et suivons l'hypothèse jusqu'au bout : si Dzhokhar et Tamerlan Tsarnaev sont effectivement des combattants étrangers, la ligne de front est à revoir.
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