Aviophobie and co.

Par Laura Duhamel

« Nous sommes tous des réfugiés de notre enfance« . Cette jolie phrase me fait sourire. Elle est signée de Mohsin Hamid, un écrivain pakistanais.

J’ai suivi une session d’expression orale à l’école du barreau, il y a trois ans. Nous avons été réunis en petits groupes dans le but de parfaire nos qualités d’éloquence. J’étouffais depuis des mois au milieu de ces cours donnés par des avocats tous plus narcissiques les uns que les autres ; cette semaine résonnait donc comme une vraie délivrance.

Nous étions un peu timides, forcément. Peut-être aussi un peu paniqués par notre première plaidoirie à venir dans ce cours. Le prof était jeune, gentil, encourageant et se fichait pas mal du droit. Il lance dès le premier jour un concours d’improvisation.

Une fille se lève spontanément, sûre d’elle, enjouée, préparée. Elle parle avec conviction des droits de la défense.

Je commence à trembler et à compter le nombre de participants avant moi.

Sa copine la suit, toute aussi inspirée et confiante. Son sujet : le terrorisme.

Je transpire. Je n’ai rien, mais alors rien, rien, rien… à raconter d’intéressant, encore moins de juridique ou d’intellectuel.

Arrive une troisième, nulle.

Soupirs intérieurs de soulagement. Cette fois-ci, c’est à moi, c’est ma seule chance de passer inaperçue. Seul détail et non des moindres : je n’ai toujours pas d’idées.

Je me place tout de même au milieu de la pièce. Et reste silencieuse. Trois longues minutes. Mon inconscient vient heureusement à ma rescousse et me fait parler toute seule, sans m’arrêter. Mais il ne me demande pas mon avis pour le sujet. Danger terrible à l’horizon.

« Oui alors moi, je vais vous parler de ma peur de l’avion« .

Et le reste suit dans la foulée : un vol simple pour Moscou où j’ai joué à me faire peur pour rire. Le développement fulgurant de la phobie à 16 ans. Mes vérifications pendant des nuits entières de chaque compagnie aérienne. Mon organisation draconienne avant chaque vol : les bas de contention pour éviter les éventuelles thromboses qui parait-il tuent des dizaines de personnes chaque année, la prière du voyage récitée en phonétique, la lecture imposée dans un ordre précis de chaque page des consignes de sécurité, l’exigence de la place-couloir pour être la première à sortir en cas de crash, l’obsession des sorties de secours et des sourires des hôtesses de l’air (car tout est là : si l hôtesse de l’air ne sourit plus, l’avion a forcément un problème), l’interdiction faite à mes proches de se lever en plein vol à cause des trous d’air…Il fallait faire pipi avant.

Mon voyage en Algérie où à la question posée au minimum dix fois : « Mais… tu n’as pas peur d’aller là-bas?« , je réponds naturellement « Ben si, mais le bateau est complet, je n’ai pas le choix« .

Je parle, je parle, je parle…Je vais jusqu’à mimer ma position lors du décollage : pieds en l’air pour ne pas sentir les vibrations, boules quiès pour ne pas entendre le bruit des réacteurs et ceinture vérifiée exactement trois fois, pas une de plus ou de moins.

Les consultations chez un psy où je ressors avec pour seul conseil, après le regard bienveillant de rigueur, d’allier des calmants à du whisky.

Je parle, je parle, je parle, sans respirer. J’entends des rires au loin…

Je lève enfin la tête et regarde mon auditoire. Mon inconscient m’abandonne brutalement pour me livrer à la réalité : je viens d’exposer en dix minutes ma pire phobie, l’avion, au milieu d’un cours de l’école du barreau de Paris.

Une fille se lève aussitôt. Elle a peur des insectes. Une autre lui emboîte le pas : elle ne s’entend pas avec son grand frère et explique minutieusement que ses parents y sont toujours insensibles…après 25 ans. La dernière me fait presque pleurer avec ses tocs et son Coran de poche qui ne la quitte jamais.

Le prof est ravi, les nullités procédurales reléguées au placard.

C’était il y a trois ans…Depuis j’ai fait partie d’une troupe de théâtre, et je n’ai plus peur de l’avion. Je continue cependant le whisky au décollage et je voyage toujours en baskets, prête à courir de ma place-couloir…

Mohsin Hamid a raison, nous sommes tous des réfugiés de notre enfance…Mais ce drame, aussi désespéré puisse-t-il être, garde toujours en lui une once d’espoir, une once de ridicule.

Ouf.