Le cancer laisse des traces psychologiques indélébiles lorsqu’il nous épargne … psychologiques mais pas que ! C’est ce que certains revendiquent en arborant fièrement sur une page Facebook (Why we ink) leurs tatouages portés en souvenir d’un être cher ou comme preuve de leur victoire sur la maladie.
Signe des temps, la victoire s’affiche sur les réseaux sociaux et pas seulement pour cacher ses cicatrices mais pour revendiquer le fait d’être bien vivant.
Les tatouages sont beaux mais c’est surtout les commentaires qui accompagnent chaque photo postée que je trouve particulièrement émouvants. Chaque histoire raconte la douleur, la souffrance, vécues par ces hommes et ces femmes à cause du cancer.
Le besoin d’ancrer (sic) cette épreuve dans sa chair, de souffrir encore sous les aiguilles du tatoueur afin de ne jamais oublier, s’apparente pour moi, au choix de mon grand père de ne pas effacer le numéro que j’ai découvert petite, fortuitement, hérité du camp d’Auchwitz.
Ces quelques chiffres encrés (re-sic) sur son avant bras, signes de l’horreur, témoins d’un temps passé qu’il n’a jamais pu oublier nous interpellaient. A nos questions « mais qu’est-ce que c’est Papy ? », il répondait avec un petit sourire en coin : « je perds la mémoire, alors j’ai noté mon numéro de téléphone. »
A l’instar de ces rescapés de l’enfer, les survivants du cancer disent leur souffrance et, pour certains d’entre eux, le bonheur et la fierté d’en avoir réchappé. Pour autant je ne crois pas que mon grand – père était fier. Les déportés portaient en eux l’immense peine d’avoir laissé les leurs dans les fours crématoires, la honte même d’en être revenus… Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je ici alors que ma fille, ma mère, mon ami sont restés là-bas ? Et les vivants ont pleuré leurs morts en silence pendant des décennies. Il n’a jamais pu nous raconter, seules quelques bribes d’une histoire personnelle étrangement mêlée à la grande Histoire sont parvenues jusqu’à moi.
Cet héritage, si lourd à porter parfois, m’a accompagné pendant la maladie. Je vivais ma guerre personnelle comme lui, comme eux. Et mon numéro à moi est incarné par cette cicatrice qui balafre mon sein. Comme lui qui cachait aux autres son tatouage sous les manches toujours longues de ses chemises, je n’éprouve pas le besoin de montrer les stigmates de ce cancer.
Mais finalement, en y réfléchissant bien ce blog joue le rôle des tatouages sur Facebook. Un blog que j’ai choisi d’écrire sous mon nom, dans lequel j’ai raconté mon histoire pour ces autres femmes qui traversent ce chemin mais aussi pour mes enfants. Pour laisser une trace, pour que ma fille, mon fils, ne regrettent pas un jour de ne rien savoir de cet accident de vie. Pour qu’ils sachent, pour ne pas les laisser dans ce flou dans lequel je reste depuis la mort de mon grand-père. Pour ne pas laisser l’imagination prendre le dessus et que mon histoire soit un peu la leur.
A-t-il refusé d’effacer le chiffre pour que nous n’oublions jamais nous non plus ou l’a-t-il fait pour lui, je ne le saurais jamais. Ce qui est certain c’est qu’il fait partie des gens que j’admire profondément et que son héritage, à travers ses silences, sa grande dignité d’homme blessé, m’ont certainement montré la voie et aidé à surmonter les épreuves ….
Je relis mon article … quel drôle de cheminement et pourtant je vais le publier tel que, sans conclusion juste en hommage à tous : les survivants, les perdants et toi grand – père …. Je suis fière de porter ton nom !
Catherine Chayenko Cerisey