L’ANI, un accord illégitime?
19 mars 2013 Par Gabriel Colletis Source : MediapartPar un étrange retournement de vocabulaire, les procédures que l’on appelait autrefois « plans de licenciements » se sont muées en plans dits « sociaux » puis, depuis 2002, en « plans de sauvegarde de l’emploi ». L’Accord national interprofessionnel (ANI) de « sécurisation de l’emploi » procède du même retournement sémantique. L’accord signé par la CFDT, la CFTC et la CGC (et non pas FO comme écrit initialement par erreur), plutôt que de favoriser la sécurisation des emplois, « libère » le patronat de nombre de ses obligations légales et rend possible une flexibilité jusque-là inconnue.
Pour résumer une perspective curieusement désignée comme « sécurisant l’emploi », les entreprises gagnent en flexibilité interne (mobilité géographique et professionnelle obligatoires, baisse des salaires ou variation du temps de travail en période de conjoncture basse, CDI « intermittents ») et externe (simplification des procédures de licenciement collectif) tout en voyant leurs risques juridiques reculer (les salariés n’auront plus que deux ans pour saisir les prud’hommes contre cinq actuellement ; l’intervention des juges en cas de licenciement sera très limitée).
La contrepartie pour les salariés est une sécurisation individuelle constituée par des droits « rechargeables » (un salarié qui reprendrait un emploi temporaire ne perdrait plus ses droits antérieurs ; un compte personnel de formation est créé).
Selon les termes que nous venons de résumer, il paraît difficile de considérer l’accord comme équilibré et on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé certaines centrales syndicales à accepter de le signer. Nous pensons que l’entrée d’un ou deux représentants des salariés au Conseil d’administration des entreprises de plus de 5 000 salariés ou la refonte annoncée des procédures de consultation ne sont pas de nature à rééquilibrer les termes d’un accord qui profite principalement au patronat et qui s’inscrit dans une conception du travail comme un coût ou une contrainte.
Mais il y a peut-être plus grave encore du point de vue du respect de la démocratie. La signature de l’accord a été présentée par le gouvernement comme l’expression même d’un dialogue social devant servir à produire la future loi.
Comme le rappelait récemment sur Mediapart un ancien conseiller à la Cour de cassation (http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-laure-morin/160113/le-patronat-et-le-dialogue-social-une-approche-etriquee), en fonction de la loi du 20 août 2008, les syndicats signataires d’un accord doivent être « représentatifs ». Pour être qualifiés ainsi, les syndicats concernés doivent avoir réuni au moins 30% des suffrages exprimés par les salariés lors des élections professionnelles. Leurs opposants doivent, pour leur part, ne pas atteindre la barre de 50% de ces mêmes suffrages.
Or les résultats des élections professionnelles, pourtant connus, restent sous le coude du ministre du Travail. La question que nous posons ici est simple : pourquoi ?
Il y a tout lieu de penser que la réponse est évidente : les syndicats signataires de l’accord n’ont pas réuni les 30% de suffrages nécessaires et ne sont donc pas représentatifs.
L’accord, dans ce cas, serait illégitime et ne pourrait en aucun cas être transposé dans une loi.
Si tel n’est pas le cas et que cette hypothèse est erronée, le ministre a un moyen simple de le démontrer et un seul : publier enfin, tout de suite, les résultats des élections professionnelles !
S’il ne le fait pas, la suspicion ne pourra que se transformer en certitude : le gouvernement triche et le soi-disant dialogue social est une fable destinée à faire croire en la légitimité d’un accord qui sous-tendrait sa légalité.
Une question annexe pour conclure : comment se fait-il que la question que nous avons posée, celle du motif de la non-publication des résultats des élections professionnelles, n’ait pas fait l’objet de davantage de commentaires de la part des medias (hors Mediapart ou le Canard Enchaîné) ou de protestations du côté des syndicats non-signataires de l’accord ?
Source : Mediapart