3 août 1908. Les frères Bouyssonie explorent hardiment la grotte de la Bouffia Bonneval située dans la vallée de la Sourdoire en Corrèze. Ils y exhument les restes d’un être manifestement hominidé. En dépit ou à cause de son crâne volumineux, il ne présente guère les traits raffinés d’un intellectuel bon teint, fut-il de Gauche. Une enquête est ouverte. Le paléoanthropologue Marcelin Boule ausculte méticuleusement le squelette de l’infortuné qui dormait jusqu’alors bien tranquillement dans sa tombe. Selon lui, l’individu aurait pu voir le jour aux environs d’un premier avril, quarante cinq mille ans avant Jésus Christ. Faute d’état civil fiable pour une époque aussi reculée, (on pense que les fonctionnaires n’existaient pas encore) on le nomme fort arbitrairement Neandertal. Dans les années qui suivent, plusieurs autres découvertes identiques se produisent dans cette belle région du Sud-ouest. On met ainsi à jour le squelette d’un vieillard qui gêne grandement la construction d’une route. L’imagination n’étant pas la première qualité des Ponts et Chaussées de l’époque, on l’appelle simplement du nom du lieu où il a été déterré : "Cro-Magnon". On pourrait multiplier les exemples si la place ne nous manquait pas. On aurait ainsi une longue liste digne d’un tableau de chasse de criminel en série. Nul doute que nos modernes experts identifieraient à coup sûr le point commun qui relie toutes ces dépouilles : la campagne.Nos lointains ancêtres vivaient et mouraient de préférence en milieu rural. (On n’a en effet jamais profané de sépulture aussi préhistorique place des Quinconces ou place des Vosges). Et c’est peut-être ce qui explique aujourd’hui l’incoercible sentiment de nostalgie qui s’empare des citadins dès que fleurissent les cerisiers. Le soleil daigne-t-il briller pendant quelques jours au milieu d’un ciel bleu d’azur qu’ils s’entassent fébrilement dans leurs automobiles et s’agglutinent en file indienne sur de longs rubans d’asphalte en direction des vertes prairies qu’ils devinent à l’horizon. Les vieux bougons qui y sont installés à demeure ronchonnent dans leur barbe grise devant cet afflux intempestif. C’est en effet sans vergogne aucune que les envahisseurs se baguenaudent à voix fortedans le moindre sentier laborieusement creusé par des générations de paysans. Ils s’extasient béatement à la vue des boutons d’or qui hantent les prés et des fleurs de pissenlit qui nargue le jardinier sur les pelouses des courtils les mieux entretenus. Ils tentent par tous les moyens de caresser le nez des vaches qui les observent d’un œil placide en ruminant leur bonne herbe grasse et odorante. Ils chevauchent les clôtures pour tâter la laine des moutons qui n’ont pas encore été tondus. Ils effraient les brebis retardataires qui s’apprêtent à mettre bas. Ils essuient une larme attendrie en entendant l’agneau appeler sa mère à l’heure de la tétée.Et le soir venu, après avoir frappé leurs bottes l’une contre l’autre pour en ôter la boue ou la poussière, ils regagnent bruyamment leurs pénates. Sans considération aucune pour la pauvre Déméter dont ils ont troublé la sieste. Il serait certes difficile, pour de multiples raisons que l’on conçoit facilement, de faire vivre ensemble rats des villes et rats des champs. Pourtant, la remarque de Tom Enders(*), l’actuel patron d’EADS, reste d’actualité : « Mon enfance dans un milieu très rural (son père était berger), m’a apporté le goût du travail, la ténacité, l’ambition et le sens du partage. »Toutes qualités qui ont mené les hommes jusqu’aux portes mêmes de leurs vastes cités. (*Interview à l’hebdomadaire L’express n° 3223 du 10 avril dernier)
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