Mourir au champ d’honneur ne devrait pas être un but, mais juste un effet indésirable d’un combat pour une grande cause.
Par DoM P.
À la suite de mon article que Contrepoints a publié le 18 avril dernier, j’ai assez souvent entendu dire que quitter la France pour les raisons mentionnées pouvait être lâche et qu’il fallait au contraire rester et se battre. Cette double affirmation m’a semblé doublement fallacieuse et voici pourquoi.
Tout d’abord quitter un pays en perdition n’a rien de lâche. Si l’on estime que rien de ce qui pourrait être fait de l’intérieur pour redresser la situation ne peut également l’être de l’extérieur, alors l’exil consiste simplement à se mettre à l’abri, et n’est pas moins lâche que de refuser de sauter du pont dès que quelqu’un vous lance "Chiche !". Tout le monde n’a pas la trempe du capitaine du Titanic ni, surtout, ne partage sa responsabilité dans le naufrage à venir.
Il faut bien comprendre que, depuis 40 ans, la situation empire régulièrement. Pire encore : Chaque président fut plus mauvais que le précédent :
Président
Déficit annuel moyen de l’État* en euro constant
Déficit annuel moyen de l’État en pourcentage de PIB
Pourcentage d'augmentation par rapport au Président précédent
Giscard
9,61 M€
1,91%
∞
Mitterrand
29,88 M€
1,94%
210,77%
Chirac
37,27 M€
0,73%
24,73%
Sarkozy
101,42 M€
4,29%
172,15%
Données compilées à partir des chiffres INSEE
* L’État seul, hors collectivités
Pompidou a légué à Giscard des finances saines. Celui-ci, après avoir tout de même fait face à deux chocs pétroliers, a entamé la valse de la dette. Mitterrand, placé devant cette boîte de Pandore, s’y est jeté à corps perdu. Chirac a certes fait la fine bouche, mais poursuivit néanmoins sur le même chemin. Surtout, Sarkozy, qui avait annoncé qu’il ne serait pas le président de la république qui augmenterait les impôts, en a non seulement créé un nombre impressionnant en cinq ans, mais a également accru la dette comme personne ne l’avait fait auparavant. Et maintenant, Hollande le Simple, va normalement faire pire. En tout cas, il s’y prépare avec ardeur.
Derrière ces chiffres inquiétants se trouve une réalité encore plus dure : au fur et à mesure que la situation se dégrade, les moyens économiques des opposants se réduisent comme peau de chagrin.
Rester en France, dans cette perspective, c’est se garantir une situation économique – et –donc matérielle – qui empirera mois après mois. C’est, pour justement parler en termes économiques, un mauvais investissement…
… À moins que la seconde partie de la critique n’apporte quelque espoir de réussite. Il s’agirait alors de se battre. Mais c’est là que le bât blesse.
Tout d’abord, lorsqu’on me dit qu’il vaut mieux rester et se battre, on accepte généralement le diagnostic que j’ai posé dans mon article précédent, à savoir que la France va très mal, que la situation va empirer, et que l’on risque fort d’y voir les émeutes, les vols, et les violences prospérer à mesure que l’économie s’écroule. Il s’agit là de circonstances périlleuses, dont il faut mesurer l’ampleur avant de dire qu’il faut se battre. Je ne pense pas, en effet, qu’il suffise qu’une des issues d’un combat soit souhaitée pour qu’il vaille la peine d’être mené. Les coûts doivent être mis face aux gains et, bien sûr, à la mesure des moyens et des risques de chacun.
Or, mon article s’adresse à tout le monde. Les jeunes et les vieux, les vaillants et les faibles, les riches et les pauvres… Il va de soi qu’une partie non négligeable de la population courrait un grand risque à se battre, alors que sa plus-value au combat serait minime. Parmi ceux capables de se battre (sur place, s’entend), bon nombre ont par ailleurs la responsabilité d’une famille qui, elle, se doit d’être protégée. Charles Bronson est un célibataire endurci, au passé par ailleurs un peu louche… Une fois, donc, éliminée de la liste des combattants toute cette population par nature inadaptée – pour ne pas dire inapte au combat – il ne reste plus grand-monde.
Alors, rester et se battre, oui. Mais aux côtés de qui ? Des libéraux, bien sûr ! Ah ? Combien de divisions [1] ? Parce qu’en face, il va y avoir du grabuge : Les nostalgiques du Grand Soir vont très probablement se battre pour leur révolution d’octobre [2], les voyous des mauvais quartiers pour soutirer aux plus faibles tout ce qu’ils pourront ou tout simplement s’amuser à faire peur et à détruire (on se souviendra des émeutes de 2005, qui ne sont probablement qu’un avant-goût de ce qui nous attend), les nationalistes de tout poil, quant à eux, pour donner plus de pouvoir à l’État France au lieu de l’État Europe, des islamistes en profiteront peut-être aussi pour tenter d’y imposer leurs vues [3], et l’armée ira peut-être aussi se jeter dans la bataille pour ramener de l’ordre et un peu plus d’État à l’État. Parlons donc de notre combat, sur place. Les libéraux étant généralement des gens honnêtes, peu auront bafoué la loi en s’armant. Les communistes seront eux armés via les caches de la CGT ou autres syndicats, les voyous le sont déjà, tout comme les islamistes, et par les mêmes filières d’ailleurs, et les nationalistes, installés depuis des décennies dans leur rhétorique victimaire se sont probablement également armés voilà longtemps. Et puis l’armée, avec ses chars. Les libéraux ? Combien de divisions ?
Rester et se battre, oui. Mais pour quoi ? Quels sont les buts à atteindre, les jalons à franchir ? L’État est obèse, et va s’écrouler sous son propre poids. Que peuvent y faire les libéraux, concrètement ? Et surtout, puisque c’est ici l’objet de cet article, que peuvent-ils faire de l’intérieur qu’ils ne pourraient faire au moins aussi bien de l’étranger ? J’ai beau chercher, je ne vois pas… Les survivationnistes auront d’autant plus d’effet qu’ils seront hors du territoire, ceux qui tenteront d’étouffer l’État en faisant la grève du fisc auront une efficacité démultipliée depuis l’étranger, les propagandistes auront d’autant plus de moyens qu’ils seront mis hors de portée des doigts crochus du fisc… On peine à se trouver des buts atteignables, tandis que le destin d’une France moribonde se déroule péniblement devant nous.
Rester et se battre, oui. Mais comment ? Quels sont les outils à la disposition des libéraux ? J’entends par là des mesures ayant une chance raisonnable d’avoir un effet positif. Sachant que le libéralisme, déformé, caricaturé, falsifié, travesti à longueur d’article de journal et d’émission de télé ou de radio, ne peut servir d’étendard unificateur aux forces existantes favorables au droit et à la justice. Bien évidemment, il est hors de question pour des libéraux, non violents par nature, d’imaginer prendre les armes et mitrailler les membres de la classe politique. La capacité d’action des libéraux de France semble donc minime. Ils ne peuvent ni ne veulent bloquer les moyens de production ou de distribution comme le feront certainement les khmers de toutes couleurs [4], n’enflammeront pas des villes entières pour faire plier le gouvernement – les syndicalistes et les délinquants ne s’en priveront pas – ne saisiront pas les rênes de l’État par force pour imposer à tous leur propre vision de l’ordre, tel que le ferait l’armée… Que feront-ils donc, ces libéraux, de l’intérieur ? J’invite ceux qui auraient des idées concrétisables à les partager via les commentaires.Rester et se battre, donc… Sans idée précise des moyens et des buts, ça ressemble à une lâcheté qui se déguise en courage. Parce que c’est dur, de partir. De quitter son emploi, sa maison, ses amis, sa famille, sa région, sa langue, ses habitudes, et sa culture. C’est tellement dur qu’on préfère la douce et lente agonie de la grenouille ébouillantée à l’effort de s’extirper des funestes bras d’une Morphée étatisée.
Et pourquoi ne pas, en revanche, partir – et – se battre ? C’est une autre approche, qui cumule de nombreux avantages, à commencer par celui de sauvegarder sa vie, qui est le principe premier dans une bataille. S’il est mort ou moribond, le libéral aura certes préservé son honneur, mais sans autre effet que celui-là.
Or, la bataille qui nous attend n’est pas conventionnelle. Elle risque fort d’allier la violence extrême des guerres civiles à quelque chose de complètement différent : l’interprétation des causes de la crise. Ce sera le domaine de la propagande à tout-va.
Mais les libéraux sont, historiquement, moins aptes que beaucoup d’autres, comme les marxistes, à faire valoir leurs points de vue. Ils rechignent à la violence tandis que leurs adversaires s’y complaisent, et expliquent pendant que les autres scandent. Il est tellement plus facile, en effet, de pointer du doigt le bouc émissaire que de tenter de comprendre la complexité de la réalité [5].
Cependant, ce sera, demain, d’une importance vitale que de faire comprendre aux gens que leur malheur ne vient pas d’un excès de libéralisme – comme ils l’entendent répéter depuis des années – mais d’un excès d’État. Malheureusement, comme le note Pascal Avot dans son article du 22 avril dernier, peu nombreuses seront les oreilles à la fois attentives et en état de comprendre le message.
Pour ces combats, la présence physique, sur place, n’est pas de grande utilité. Il est même plus aisé d’agir de l’étranger, à l’abri des effets délétères des mesures prises dans l’urgence par un gouvernement tentant de sauver les meubles.
Les réseaux de libéraux de par le monde se forment, petit à petit. Des contacts se prennent, des coups de main s’échangent. J’espère que nous seront prêts, lorsque le jour viendra, à reprendre le flambeau de la main agonisante de l’État pour le rendre à la Liberté.
Sera-ce suffisant ? Je ne sais. Mais je sais que mourir au champ d’honneur ne devrait pas être un but, mais juste un effet indésirable d’un combat pour une grande cause.
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Notes :
- Référence à Staline à propos de la "force de frappe" du Vatican. ↩
- Voici le discours des révolutionnaires de gauche d’aujourd’hui : "Le capitalisme n'a plus la marge pour, sous la pression de luttes déterminées, lâcher des améliorations durables des conditions de vie des travailleurs. Pour s'en prendre au pouvoir des capitalistes, ceux qui défendent le camp des travailleurs doivent se battre ensemble pour l’expropriation et la nationalisation des principaux secteurs de l’économie sous le contrôle des travailleurs." À voir ici. Ce n’est pas une citation extraite d’un quelconque ouvrage de Karl Marx, et ce n’est pas non plus le programme politique de Lénine. C’est ici, aujourd’hui, en France. Ce genre de programme ne se met pas en place sans violences, naturellement, les propriétaires étant réticents à abandonner le fruit de leurs efforts… ↩
- Si tous les musulmans n’ont certainement pas l’intention de transformer l’Europe en république islamique, certains exemples laissent songeur et font craindre qu’en période de troubles, les plus radicaux ne tentent de saisir l’opportunité d’imposer la charia sur les territoires les plus vastes possibles. ↩
- Référence aux khmers rouges, et, par extension, à d’autres extrémistes pour qui tous les moyens sont envisageables. ↩
- Pour Tocqueville, une idée simple, précise et fausse vaincra toujours dans l'esprit du public une idée vraie et complexe. ↩