Nicolas Sarkozy refait surface pour une conférence grassement rémunérée quelque part au Canada, sur son avis d'ancien président français. Jean-François Copé est frappé par la lumière et abandonne son métier d'avocat d'affaires.
Hasard merveilleux du calendrier, ce mercredi, le projet de loi de transparence de la vie politique déboule sur la table du Conseil des ministres.
1. L'affaire Cahuzac aura eu ce mérite, comme toutes les précédentes affaires - sauf celles affectant la mandature Sarkozy - de forcer une (relative) mise à niveau de notre vieille démocratie aux standards européens. Parmi les mêmes qui s'offusquaient, à juste titre, de la "déflagration Cahuzac", certains osèrent ensuite critiquer qu'Hollande réagisse "sous le coup de l'émotion". On croit rêver... ou cauchemarder.
La critique que nous portions contre le sarkozysme émotif visait (1) son systématisme, et (2) ses thèmes de prédilection - souvent des faits divers (meutres, vandalisme, etc) qui justement ne méritaient souvent pas de loi sur mesure. En matière de moralisation politique, il y a urgence à nettoyer les écuries d'Augias, si elles existent. Et le corps politique ne fonctionne en la matière que sous le choc et la pression, quel que soit son bord politique.
2. On rappellera au passage combien l'ancien régime fut particulièrement résilient face à l'avalanche d'affaires qu'il dut subir. Florence Woerth chez Bettencourt ? Sarkozy créé une commission pour pondre un rapport sur les conflits d'intérêt qui ne débouchera rien. Karachigate ? Le clan Sarkozy balance une loi pour étendre le secret défense à l'ensemble des bâtiments militaires ! Et que penser de Jean-François Copé, président de groupe UMP à l'Assemblée et ancien ministre du budget qui devient avocat d'affaires ?
3. Il faut aussi s'amuser, ou pleurer, en entendant Jean-François Copé, sur RTL, confirmer qu'il cesse ses activités d'avocat, une décision qu'il qualifie de "personnelle", prétendument sans rapport avec le projet de loi, "pour se consacrer exclusivement" à sa famille politique et au pays. Quel dévouement tardif ! Le gars nous prend pour des quiches.
A Montreal, un Sage du Conseil Constitutionnel dénommé Sarkozy, intervient ce jeudi 25 avril pour une conférence rémunérée à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Elle durera deux heures, sur « l’état de l’économie mondiale, les perspectives pour l’Europe, les nouveaux équilibres qui caractérisent la gouvernance mondiale ainsi que l’amitié entre la France et le Québec, et entre la France et le Canada », pour 600 euros la place.
Nous sommes curieux de savoir si la liste des hautes fonctions politiques visées par la future loi comprendra les membres du Conseil Constitutionnel.
On aimerait donc que tous ceux qui se sont moqués sous des avalanches de commentaires ineffables de la publication des patrimoines des ministres il y a 10 jours exercent leur agilité à commenter puis suivre les débats parlementaires sur ce morceau de choix. La véritable transparence nécessite un dispositif législatif plus complet. Le voici soumis à notre jugement collectif.
- Il y a d'abord l'arbre qui cache la forêt, la mesure qui attire les commentaires blasés, les critiques virulentes ou les inquiétudes: la publication des déclarations de patrimoine et d’intérêts des membres du gouvernement, des parlementaires nationaux et des principaux responsables exécutifs locaux, "dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat". On est à peine surpris que la chose heurte. Certains réclament davantage de transparence encore, l'inclusion des revenus. La loi ne renforcera pas les contrôles des cigales mais celui des fourmis, celles dont les revenus se placent et s'accumulent en patrimoine.
- Les principaux responsables politiques et administratifs, y compris les membres du gouvernement, devront transmettre à une nouvelle Haute autorité, "qui sera indépendante", une "déclaration de patrimoine et une déclaration d’intérêts"." Jusqu'à lors, ces déclarations d'intérêt n'étaient pas vérifiées. Le dispositif devra prévoir un renforcement des sanctions pénales en cas de non transmission ou de déclaration mensongère, "jusqu’à 5 ans d’emprisonnement".
- La Haute autorité est un nouveau machin administratif visiblement nécessaire: qui donc pour contrôler nos élus et même l'exécutif ? Elle aura quelques moyens pour veiller au contrôle: auto-saisine, recours aux services fiscaux, pouvoir d’injonction, saisine du parquet ou des bureaux parlementaires, ou publications des manquements. Les grincheux diront qu'on pourra toujours planquer son argent en Suisse ou à Singapour.
- La loi interdira le cumul d’un mandat de parlementaire avec l’exercice de certaines fonctions: consultant, mais aussi toute fonction "au sein de sociétés et d’entreprises dont une part substantielle (et non plus principale) de l’activité commerciale est entretenue avec l’administration". Les fonctionnaires élus au Parlement devront se placés en disponibilité (et non plus de détachement), pendant la durée de leur mandat. Le gouvernement propose aussi que les collaborateurs parlementaires ne puissent cumuler cette fonction "avec toute activité professionnelle rémunérée de lobbying ou de conseil."
- Les indemnités de "licenciement" des anciens ministres seront réduites à un mois, et refusée en cas de manquement de l’intéressé à ses obligations de déclaration auprès de la Haute autorité. La loi prévoira aussi une inéligibilité de dix ans, voire définitive, pour "certaines infractions commises par les plus hauts responsables publics." cette mesure est la moindre des choses pour les ministres qui sont députés. Grâce à la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy (juillet 2008), non remise en cause par ce texte (et pour cause), ces anciens ministres récupèrent leur mandat au bout de ... 30 jours.
Le second volet du dispositif concerne la "lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière". On applaudit à l'élargissement du champ de compétence de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale "au blanchiment de fraude fiscale"; au durcissement des sanctions (7 ans d’emprisonnement et 2 millions d’euros d’amende) pour les cas de fraude fiscale commise en bande organisée, ou le recours à des comptes bancaires ou des entités détenues à l’étranger; élargissement des moyens d'enquêtes (surveillance, infiltration, garde à vue de quatre jours); alignement des peines des personnes morales sur celles applicables aux personnes physiques; renforcement de quelques capacités de contrôle de l’administration fiscale et des moyens de lutte contre la fraude (régime des saisies et confiscations d’avoirs criminels, etc); création d’un parquet spécialisé ayant une compétence nationale.
On s'attarde sur un point qui réjouit Anticor: "pour garantir la vigilance en matière de lutte contre la corruption et les trafics d’influence, la réforme proposée ouvre aux associations de lutte contre la corruption la faculté d’exercer les droits de la partie civile auprès des juridictions compétentes."
Plus important, la transparence des banques est renforcée: elles devront publier chaque année la liste de "toutes leurs filiales, la nature de leur activité, ainsi que, pour chaque pays, leur chiffre d’affaires, leurs effectifs, leurs résultats, les impôts payés et les aides publiques reçues".
Le gouvernement renforce les effectifs de la justice: 50 magistrats, 50 enquêteurs, et 50 agents du fisc pour lutter contre la fraude fiscale et le blanchiment.
C'est peu.
C'est même, pour nous, la seule véritable lacune d'un dispositif par ailleurs décisif.
Lire l'intégralité du dispositif (publié sur le site d'Anticor):
- Description Loi organique
- Projet de Loi organique
- Description Loi Transparence
- Projet de Loi Transparence
- Description Loi Fraude
- Projet Loi Fraude