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Le reflet de l'identité dans le cyberespace par Ph Davadie

Publié le 24 avril 2013 par Egea
  • Auteur invité
  • Cyber
  • Identité

Retour sur la question d'identité dans le cyber, dont nous avions déjà parlé sur égéa, avec un passionnant débat de commentateurs (voir aussi ici et ici). L'un d'eux, Philippe Davadie, a prolongé sa réflexion. Merci à lui.

Le reflet de l'identité dans le cyberespace par Ph Davadie
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O. Kempf

Le reflet de l'identité dans le cyberespace

Avec la cyberdélinquance, la question de l'identité numérique est une des plus débattues au sein du microcosme cybernétique. Sa prégnance est renforcée par le fait qu'elle est même, par un de ses aspects (le vol d'identité numérique), constitutive de la cyberdélinquance.

Mais la véritable question qui agite le cyber-landerneau est celle de sa preuve et, ipso facto, celle de son usurpation, sa définition étant survolée alors même qu'elle devrait susciter des débats de fond, puisqu'un sujet bien posé est en partie résolu.

Or l'unanimité n'existe pas lorsqu'on parle d'identité numérique. Un billet publié sur le blog egea -1 récapitule quelques questions relatives à ce sujet et qui restent à trancher. « Toute l'individualité de l'homme s'inscrit dans son corps -2 » selon la philosophe Aline Lizotte. Comment peut-on alors définir une identité dans un monde a-corporel comme l'est le cyberespace ? Certains auteurs estiment que les traces laissées dans le cyberespace sont un élément de la cyberidentité. Mais l'a-corporalité du cyberespace ne doit pas pousser à des raisonnements extrêmes : des traces ne peuvent être constitutives d'une identité. Dans le monde réel, l'identité d'un homme peut-elle se résumer aux traces que ses chaussures laissent sur un sol quelconque ?

De même, les identifiants utilisés pour se connecter à l'un ou l'autre site internet visité ne peuvent non plus être assimilés, même partiellement, à l'identité d'une personne. Dans le monde réel, un trousseau de clés constitue-t-il ne serait-ce qu'une part de l'identité ?

Dans cette recherche modérée, certains auteurs vont encore plus loin en estimant que ce qui est dit, transcrit ou interprété d'une personne et publié sur l'internet constituerait une part, voire toute son identité. Cependant, pousser ce raisonnement jusqu'au bout signifierait que n'importe qui pourrait définir son semblable, puisque l'identité serait ce que l'un dit de l'autre.

On voit bien que ces tentatives de définition d'une cyberidentité, par leur partialité même, ne satisfont personne. Comment pourrait-il en être autrement lorsqu'on connaît la complexité d'un être humain ? L'immédiateté de l'internet et le temps nécessaire à la construction de l'être humain (« deviens ce que tu es » disait Saint Augustin -3), ne peuvent que s'affronter.

Peut-on sortir de ce qui ressemble fortement à une impasse et définir une cyberidentité ? Et, si on ne peut trouver de cyberidentité dans le cyberespace, qu'y trouve-t-on ?

Ce qui est publié sur une personne dans le cyberespace, ses identifiants (souvent constitués à partir d'éléments personnels) et les traces laissées peuvent, au mieux, constituer sa réputation virtuelle (la e-réputation) mais il est souhaitable de continuer à distinguer réputation et être.

Une personne se résume-t-elle à ce qu'on en dit ou à ce qu'on la voit faire ? Ces éléments suffisent-ils à en avoir une connaissance complète ou partielle ? Dans son livre « et pourquoi pas -4 ? » François Michelin évoque son grand-père et la méthode en cinq points qu'il institua pour résoudre les questions épineuses. Le deuxième point vise à éviter le biais de la vision partielle d'une question : « si vous voyez la Cathédrale de la rue des Gras, vous lui voyez deux flèches. De l'intérieur vous ne les voyez plus mais voyez la nef. » L'observateur extérieur et l'observateur intérieur fixent bien la même cathédrale, mais la vue qu'ils en ont est totalement différente. Aucun d'eux n'a tort, mais aucun d'eux ne peut prétendre en avoir une vue exhaustive.

Ce qui est vrai de la Cathédrale de la rue des Gras est aussi vrai pour une personne.

Lorsque les entreprises parlent de leur activité sur l'internet, elles évoquent, avec prudence, leur e-réputation, pas leur identité. Pour quelles raisons faudrait-il être plus rigoureux, voire plus sévère avec une personne physique qu'avec une personne morale ?

Les éléments relatifs à une personne trouvés via l'internet ne peuvent donc pas la définir entièrement, et pourtant, tous ne sont pas faux. À titre d'exemple quelle est la probabilité qu'un administrateur de base de données mentionne sur son CV en ligne qu'il est également poète ?

Le cyberespace est un miroir moderne que chacun éclaire comme il le souhaite au gré de ses recherches. On ne trouvera donc pas les mêmes éléments sur une personne selon qu'on consulte son profil via un réseau social amical ou professionnel, ou que l'on lance une recherche ciblée.

Par conséquent, le cyberespace ne nous fournit que des visions partielles, des reflets de la personne considérée. Ne serait-il pas alors plus sage, et surtout plus juste, de cesser de parler de cyberidentité ou d'identité numérique et de se contenter d'évoquer un reflet numérique ?

  1. Cyberidentité, questions en suspens.
  2. Aline Lizotte in La personne humaine.
  3. 354 – 430, évêque d'Hippone, père et docteur de l'Église.
  4. Entretiens avec Ivan Levaï et Yves Messarovitch, Grasset, 1998.

Philippe Davadie


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