Après trois albums, le groupe danois est revenu fin 2012 avec un quatrième opus Piramida dont l’histoire de la création mérite plusieurs minutes d’attention. Après la sortie de ce dernier, Efterklang a également dévoilé un documentaire The Ghost of Piramida, dans lequel le réalisateur Andreas Koefoed suit le groupe dans une ville minière abandonnée de Russie, à travers sa quête de sons pour la création de Piramida. Dans ce film, le trio part à la chasse de centaines de sons à enregistrer tandis qu’Alexander, ancien habitant de cette ville minière, nous raconte la vie des mineurs russes et de leur famille qui vivaient dans cette « société parallèle » loin de la réalité soviétique. Plus de 1000 sons ont été enregistrés dans cette ville minière et ont contribué à faire de cet album un chef-d’oeuvre.
A travers cette entrevue, Casper Clausen nous parle notamment de l’expérience du groupe dans ce coin russe retranché, de l’aventure Piramida, d’ours polaire ou encore de Rødgrød med fløde… (Tu te demandes ce que c’est hein?)
Pourriez-vous me dire où a commencé l’aventure Piramida ?
En 2010, nous sommes allés sur une île où nous avons grandi et nous avons passé 3 jours là-bas, à faire de la musique. On a passé 3 jours à réaliser ce projet, à collecter des sons et à jouer notre musique à différents endroits de l’île, et nous avons été vraiment fascinés par l’idée d’aller quelque part, de collecter des sons et d’en faire de la musique. Je crois que l’une des premières scènes du film An Island est celle où on va dans cette grange abandonnée, on fait des bruits, et de là naît de la musique. C’est de là qu’en quelques sortes le projet Piramida est né.
Qui a eu l’idée en premier de retourner sur cette île pour le film An Island ?
Bonne question. Je ne me souviens pas vraiment. Je me souviens juste que nous avions rencontré Vincent Moon plusieurs fois, un an ou un an et demi avant d’aller sur cette île. Il nous avait filmés pour des concerts à emporter (ndlr. La Blogothèque) et nous avions évoqué l’idée de faire plus qu’un concert à emporter, un plus grand projet.
Attends 2 secondes, je dois parler à mon assistant, il a quelques informations. (Il parle à Rasmus)
Ok, donc maintenant je sais ce qu’il s’est passé. On a fait un projet avec Vincent Moon et plusieurs autres groupes danois, de Copenhague en 2009. Nous étions 8 groupes dans un seul et même appartement. Vincent Moon filmait chaque groupe. Tout était tourné en un seul film, d’une demi-heure ou un truc dans le genre. Un groupe commençait à jouer et Vincent Moon le filmait puis le groupe passait le relai à un autre groupe qui jouait une chanson et Vincent Moon le filmait, puis ce groupe passait le relai à un autre groupe, etc. Et lorsqu’on a travaillé avec lui à ce moment-là, on a commencé à parler de faire plus de projets comme celui-là. Vincent Moon était vraiment intéressé par l’idée de faire plus de films documentaires ou de films du genre art et essai. Je pense que c’est de là que ça a commencé. On avait une opportunité, on voulait faire quelque chose ensemble et ensuite je ne me souviens plus qui a évoqué l’idée d’aller sur cette île mais nous savions juste que nous devions faire un film… Mais nous savions aussi que nous n’étions pas acteurs. On savait même que nous étions plutôt mauvais acteurs en fait. Alors on a pensé qu’on devrait faire quelque chose qu’on connaît très bien et qu’on devrait aller à un endroit que l’on connaît très bien pour que cet endroit devienne plus acteur que nous en quelques sortes. Nous avons pensé que l’endroit que nous connaissions le mieux était l’endroit où nous avons grandi, alors on s’est dit « Let’s go there ! ». Et Vincent Moon a aimé l’idée.
À propos de Piramida, cette ville minière en plein arctique était habitée autrefois. Qu’est-ce qui était le plus impressionnant là-bas ?
Je crois que ce qui m’a le plus impressionné là-bas, c’est la nature et cet endroit qui est juste abandonné. On se rend compte comment la nature transforme tout. C’est un endroit vraiment déserté et oublié. Je crois que c’est la première chose qui m’a frappé quand nous sommes arrivés là-bas, lorsque j’enfilais ma grosse combinaison pour aller sur le bateau et naviguer sur cette eau glaciale. Nous étions assis, là, sur ce bateau, avec tout notre équipement et il y avait des vagues immenses tout autour et là on s’est dit « Wow, c’est dingue ! Mais qu’est-ce qu’on va foutre là-bas ? ». Et je pense que le fait de se demander « Qu’est-ce qu’on va foutre là-bas ? » traduit notre première impression. Quand on voit tout ça on se demande vraiment ce que ces Russes faisaient dans cette ville. C’est tellement étrange de construire une ville dans un environnement aussi rude.
Quelle a été votre première impression lorsque vous avez rencontré Alexander?
Nous l’avons à peine rencontré à vrai dire. Le jour où il est arrivé, il est arrivé le cinquième jour, nous avons été informés que cet homme qui avait vécu dans cette ville allait arriver. Rasmus et le réalisateur, Andreas, sont donc allés le saluer et ensuite Alexander a fait un tour de la ville avec Andreas. Puis il est parti. Nous étions en train d’enregistrer des sons lorsqu’Alexander était en ville et je ne l’ai personnellement pas rencontré.
Étiez-vous vraiment effrayés à l’idée de tomber nez-à-nez avec un ours polaire ?
Nous étions morts de peur. Une semaine avant que nous arrivions à Piramida, un écolier anglais a été tué par un ours polaire, à 20kms de la ville. Nous avions tous lu à ce sujet dans le journal, alors quand nous sommes arrivés nous étions vraiment terrifiés. Nous voulions un garde pour nous protéger, alors nous en avons engagé un (ndlr. Vadim), mais ce n’était probablement pas le meilleur garde, il était un peu fainéant. C’est le type qui nous montre comment nous servir d’un fusil dans le film. C’est lui, c’est notre garde !
Il habite là, n’est-ce pas?
Oui, il habite là !
J’ai une question un peu bizarre. Auriez-vous enregistré un son provenant d’un ours polaire si vous en aviez rencontré un ?
Euuuuh (rires). C’est une question fun. Euuuh. Si j’avais rencontré un ours polaire et que j’avais eu un microphone avec moi, j’aurais probablement appuyé sur le bouton d’enregistrement… Mais trouver l’enregistreur n’est probablement pas la première chose que je ferais… Tu vois… Tu vois ce que je veux dire ?
Oui, je vois ce que tu veux dire. Je crois qu’on ne sait jamais ce qu’on est capable de faire dans ce genre de situation, on ne peut pas savoir si on aura la force et le courage d’appuyer sur le bouton…
Oui c’est vrai. Et les meilleurs enregistrements, parfois, lorsqu’on enregistre des voix par exemple, sont ceux où on est un peu effrayé, ou ceux où on ne sait pas qu’on est enregistré, ou ceux où il y a quelque chose qui nous tient à cœur qui se passe. Donc peut-être que ce serait cool de faire un enregistrement vocal avec un ours polaire !
C’est une idée! Je dirais que la citation du film où tu dis “It’s an absurd church but even bigger” résume bien votre album, car je pense que cet album est beaucoup plus léger et atmosphérique que vos précédents. J’aimerais savoir si vous aviez pensé faire un album plus aérien avant d’enregistrer des sons ou si c’est le résultat des sons que vous avez enregistrés ?
Ce n’est pas quelque chose dont on a vraiment parlé. En fait, chaque fois que nous faisons un nouvel album, on pense à quelque chose de nouveau. En fait, je ne sais pas vraiment comment répondre à cette question.
Ooh, attends une minute, je peux demander à Rasmus, peut-être qu’il a une réponse intéressante (Il demande à Rasmus).
Ok, Rasmus a répondu la même chose… Mais ça me fait réfléchir, alors merci pour cette question !
Vous avez récemment joué un nouveau titre Danish Design. Est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus car vous avez choisi de ne pas l’inclure dans l’album…
C’est intéressant car c’est une chanson très spéciale pour nous. C’est d’ailleurs une chanson un peu trop spéciale pour être présente sur l’album. Parfois sur un album, plusieurs chansons se parlent entre elles et cette chanson ne parlait pas vraiment aux autres. C’est une chanson très sombre. Nous ne l’avons jouée que quelques fois : une fois à Copenhague, à Koncerthuset, et ça sonnait plutôt bien avec le piano. Dans cette salle de concert, il y avait un piano qui s’appelle Red October et certains disent que c’est le piano le plus au Nord du monde. En jouant Danish Design on a vraiment l’impression de retourner dans cette salle de concert. On a pensé essayer de la jouer pendant nos concerts, de l’inclure dans la setlist et voir comment ça se passe. Peut-être que cette chanson fera soudainement partie de nos concerts. C’est une chanson intéressante.
Quand vous avez terminé d’enregistrer l’album, est-ce que vous avez eu l’impression que c’était la fin de l’aventure ou le début de celle-ci?
Euuuh… (blanc). Je réfléchis, je réfléchis.
Je pense que c’est un peu des deux car quand on a fini d’enregistrer l’album Piramida, on a commencé à le jouer. Quand on a fini de mixer Piramida, on a organisé une avant-première à l’Opéra de Sydney et d’une certaine manière, tout à coup, c’était un nouveau projet qui commençait. Celui de prendre ces chansons, de les jouer dans un nouvel environnement et de voir comment elles fonctionnent en présence de personnes. C’était vraiment intéressant de passer soudainement d’une ville abandonnée à une salle de concert en présence de 1500 personnes. C’est ce que nous avons essayé de développer après les enregistrements à Piramida. Nous avons essayé de voir comment nous pouvions utiliser ce matériel de manière différente, le recycler un peu et faire des chansons avec tous ces sons. Enregistrer Piramida nous a beaucoup appris, pas uniquement musicalement mais aussi comment faire un album et ce qui est important quand on fait un album. Donc je pense que ça nous a beaucoup appris et beaucoup inspirés, surtout à regarder vers le futur et voir comment se servir des choses que l’on a apprises de ce voyage.
Ça doit être un contraste vraiment intéressant pour vous.
Je pense que oui. C’est aussi ce contraste que l’on aime. On aime s’isoler quand on fait de la musique. Quand on s’isole on peut vraiment se concentrer sur une chose ou sur la pièce qu’on observe pour créer. Et d’un coup, quand on joue un concert, on doit communiquer ce qu’on fait et là, c’est complètement différent.
Ce que tu viens de dire mène justement à ma prochaine question : comment représentez-vous tous ces sons et cette aventure une fois sur scène ?
Je pense que quand on joue en live, ça n’a plus grand chose à voir avec les sons de Piramida. C’est plus le fait de jouer de la musique ensemble, en tant que groupe et ce sont des sons différents qui émergent. La musique a été créée à partir des sons enregistrés mais quand on joue en live, on a des musiciens avec nous et on joue uniquement de la musique ensemble, en groupe et on essaie de faire en sorte que ça fonctionne. Les sons sont moins pertinents quand on joue en live que lorsqu’on a enregistré l’album.
C’est bien ce que je pensais, c’est le genre de réponse que j’attendais.
Ok, super, donc j’ai répondu correctement (rires).
(Rires) Oui exactement. En fait, lorsque j’ai visionné votre session live pour NPR, j’ai remarqué ce que tu viens juste de dire. Est-ce que vous avez des nouvelles idées d’expérimentation ?
(Il réfléchit) Oui, en fait on a un peu trop d’idées en ce moment. C’est dur de dire exactement ce que sera le prochain projet mais on a beaucoup d’opportunités. On a chacun d’autres projets, on a des idées de films… La vraie bonne idée n’est pas encore vraiment apparue. Mais ça va venir bientôt, je le sens !
Question bonus : quelle est votre plat danois préféré?
(Rires) Quand j’étais gamin, j’allais toujours chez ma grand-mère. Elle habitait loin donc je n’y allais pas si souvent que ça mais elle préparait beaucoup de plats traditionnels danois, très simples, qui n’ont rien à voir avec la cuisine française, à base de boulettes de viandes, de pommes de terre ou encore de choux. Ensuite, pour le dessert, elle préparait quelque chose à base de fraises, je ne sais pas… (Il demande aux autres, débattant sur le fait que ce dessert soit fait à base de fraises ou plutôt à base de groseilles) : donc en fait c’est un dessert avec des groseilles, c’est du porridge avec des groseilles et il y a de la crème sur le dessus. Un porridge aux groseilles. Ça me rappelle toujours lorsqu’on allait dans sa véranda, on s’asseyait et on mangeait là en été. Voilà, donc c’est ça mon plat préféré. Je ne sais pas si tout le monde peut l’aimer de la même manière que moi sans ses souvenirs…
Rasmus aime le « open-sandwich ». Tu sais ce que c’est ?
Non, peux-tu me décrire ce que c’est?
On appelle ça le smørebrød. C’est comme du pain de seigle.
Donc les deux plats sont des bons plats. Le premier s’appelle rødgrød med fløde. C’est drôle car c’est une phrase qu’on donne toujours aux étrangers pour qu’ils la prononcent. Peut-être que tu devrais essayer de le dire !
Comment tu prononces ça ?
Euuuh. Rødgrød med fløde (reudgreu meud fleue).
Reudgreu meud fleue…
Oui ! Très bien !
Super, merci, maintenant je peux avoir une partie recette sur le blog.
Oui, c’est parfait !
Vous avez des plans pour le futur proche?
En ce moment, on est en tournée en Europe et ensuite, en été, on va jouer plusieurs festivals. Puis quand on arrivera à l’automne, on aura d’autres side-projects, et c’est très excitant. Ce sera quelque chose qui n’aura pas grand-chose à voir avec jouer de la musique. On ne sait pas exactement ce qui va se passer, mais on espère que ce sera quelque chose de bien !
Et je vous le souhaite !
EFTERKLANG sera en concert :
le 24 avril @ Le Cargo, Caen le 25 avril @ Festival du Printemps de Bourges le 26 avril @ Le Trabendo, Paris le 16 août @ Festival La Route du Rock, St MaloEfterklang on Facebook
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