Tragicomédie à la sauce romaine le week-end dernier : finalement, le
statu quo l’a emporté, y compris dans l’incertitude du prochain gouvernement qui sera peut-être dirigé par l’ancien ministre Enrico Letta.
Probablement.
Les élections générales des 24 et 25 février 2013, faisant suite à la dissolution du Parlement italien du 22
décembre 2012, ont plongé l’Italie dans une profonde crise politique. Aucun gouvernement n’a encore réussi à sortir de cette nouvelle configuration parlementaire.
Le gouvernement italien doit en effet recevoir le soutien à la fois des députés et des sénateurs, tous les
deux élus il y a quelques semaines. Le parti vainqueur, le PD (parti démocrate, équivalent du centre gauche) dirigé jusqu’à samedi dernier par Pier Luigi Bersani (61 ans), n’est en effet pas
parvenu à trouver un accord de gouvernement pour constituer une majorité au Sénat (il aurait eu la majorité à la chambre des députés).
La situation était d’autant plus inextricable que le Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, premier ex-communiste à avoir accédé le 15 mai 2006 à la magistrature suprême, n’avait pas le
droit de dissoudre l’assemblée car la Constitution l’interdit dans les six derniers mois de son mandat (qui se terminait en principe le 15 mai 2013).
Élection présidentielle italienne, mode d’emploi
L’élection d’un nouveau Président de la République italienne devait avoir lieu le 18 avril 2013. C’est un
poste honorifique mais qui, faute de majorité massive, a parfois nécessité seize tours de scrutin. Il est élu par les parlementaires (630 députés, 315 sénateurs et 4 sénateurs à vie) ainsi que 58
délégués des régions. L’appartenance politique importe peu puisque ce n’est pas lui qui dirige l’action du gouvernement. La classe politique cherche surtout une personnalité moralement
inattaquable. Pour les trois premiers tours, il faut obtenir la majorité de deux tiers (soit 672 voix) et ensuite, seulement la majorité absolue (504 voix).
On peut être candidat à un tour sans l’avoir été au tour précédent. Pour l’être, il faut avoir eu une
expérience politique et avoir plus de 50 ans. Dans la pratique, depuis trente-cinq ans, l’Italie a élu des vieillards au Palais du Quirinal, à l’exception de Francesco Cossiga (1928-2010) élu le
24 juin 1985 à seulement 56 ans : Sandro Pertini (1896-1990) avait 81 ans à son élection le 8 juillet 1978, Oscar Scalfaro (1918-2012) 73 ans le 25 mai 1992, Carlo Ciampi (92 ans) 79 ans le
13 mai 1999 et Giorgio Napolitano (87 ans) avait 80 ans le 10 mai 2006. Et il faut leur rajouter sept années à la fin de leur mandat.
C’est sans doute la raison pour laquelle aucun des Présidents de la République italienne n’a souhaité
solliciter un second mandat. Aucun, sauf… un, par nécessité.
État des lieux
Le rapport de force à l’origine provient donc essentiellement des élections législatives et sénatoriales du
mois de février 2013.
À la Chambre des
députés, la coalition de centre gauche dirigée par Pier Luigi Bersani a obtenu 345 sièges sur 630 :
297 pour le Parti démocrate (PD), 37 pour Gauche, écologie et liberté (SEL), 6 pour le Centre démocrate et 5 divers. Celle de centre droit dirigée par Silvio Berlusconi (76 ans) a eu 125
sièges : 98 pour le Peuple de la liberté (PdL), 18 pour la Ligue du Nord et 9 divers.
Face à ces deux grandes alliances, la coalition centriste dirigée par Mario Monti (70 ans), l’actuel
Président du Conseil démissionnaire depuis le 21 décembre 2012, a eu seulement 47 sièges tandis que le nouveau Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo (64 ans), fondé le 4 octobre 2009, a raflé 109
sièges avec un choix très judicieux de ses candidats (des personnalités très qualifiées et moralement irréprochables, avocats, juges, journalistes, médecins, etc.).
Au Sénat, la répartition est un peu différente parce que le mode de scrutin prévu par la loi n°270 du 21 décembre 2005 ne donne pas de prime
majoritaire nationale à la coalition arrivée en tête, mais des primes majoritaires régionales, ce qui est beaucoup moins prévisible. Ainsi, la coalition de Bersani n’a obtenu que 113 sièges sur
315, celle de Berlusconi 116 (plus que Bersani !), celle de Monti 21 et le mouvement de Beppe Grillo 53.
Il faut rajouter aussi les 4 sénateurs à vie qui sont Carlo Ciampi (ancien Président de la République), les
deux anciens Présidents du Conseil, Giulio Andreotti (94 ans) et Emilio Colombo (93 ans), qui fut le prédécesseur de Simone Veil à la Présidence du Parlement Européen, et l’actuel Président du Conseil sortant, Mario Monti. Une cinquième sénatrice à vie a disparu il y a quelques mois ; la
célèbre neurologue Rita Levi-Montalcini, devenue en 1986 prix Nobel de Médecine (comme François Jacob, Luc Montagnier et Robert Edwards), s’est en effet éteinte à 103 ans le 30 décembre 2012.
Victoires et échecs de Bersani
Le leader du centre gauche Pier Luigi Bersani avait gagné la première manche le 16 mars 2013, la bataille des
perchoirs, en réussissant à faire élire les candidats de sa coalition, des candidats qui n’étaient pas parlementaires deux mois avant. Le procureur anti-mafia Pietro Grasso (68 ans), du PD, a
ainsi été élu Président du Sénat italien avec 137 voix contre 117 au président sortant Renato Schifani (62 ans), du PdL. La journaliste Laura Boldrini (51 ans), de SEL, a été élue Présidente de
la Chambre des députés au quatrième tour avec 327 voix contre 108 à Roberto Fico (38 ans), le candidat du Mouvement 5 étoiles.
Ce fut donc Laura Boldrini, en tant que Présidente de la Chambre des députés, qui a présidé les différentes
séances du collège électoral pour élire le Président de la République du 18 au 20 avril 2013.
Malgré ces deux batailles gagnées, Pier Luigi Bersani n’a pas réussi l’essentiel, à savoir, former un
gouvernement stable. Chargé par le Président Giorgio Napolitano le 22 mars 2013 de vérifier s’il pouvait obtenir une majorité parlementaire, Bersani a dû y renoncer le 28 mars, faut de soutien au
Sénat.
Le 30 mars 2013, le Président Napolitano a alors nommé deux groupes de travail chargés de réfléchir sur des
réformes à proposer au pays : un sur les institutions pour rendre plus efficace la formation d’un gouvernement stable, un autre sur les réformes économiques et sociales. Ces deux groupes de
travail lui ont rendu leurs conclusions le 12 avril 2013, mais les perspectives de l’élection présidentielle a laissé en attente ces propositions.
Berluscombines d'avant-élection
Le climat avant l’élection présidentielle était donc assez mauvais, celui d’une incapacité à dégager une
majorité.
La coalition de Bersani pouvait compter sur au moins 458 voix sur les 1 007 du collège, celle de
Berlusconi sur 241 voix, celle de Beppe Grillo sur 162 voix et celle de Monti sur 68. Dans tous les cas, aucune coalition ne pouvait détenir la majorité absolue du collège électoral.
Berlusconi et Bersani se sont alors mis d’accord avant l’élection pour présenter un seul candidat,
susceptible d’obtenir 699 voix, soit bien plus que la majorité des deux tiers.
Au lieu de soutenir un proche, Gianni Letta (78 ans), déjà candidat berlusconiste à l’élection présidentielle
précédente (en mai 2006), Berlusconi a proposé en effet à Bersani une liste de candidats du centre gauche qui seraient berlusco-compatibles. En clair, un futur Président de la République qui
pourrait, le cas judiciaire échéant, le protéger. Parmi ceux proposés par Bersani, Berlusconi aurait sélectionné : des deux anciens Présidents du Conseil, Giuliano Amato (75 ans) et Massimo
d’Alema (64 ans), ainsi que Franco Marini (80 ans), l’ancien Président du Sénat du 29 avril 2006 au 28 avril 2008. L’occasion, pour Beppe Grillo, qui a fait toute sa campagne contre les affaires
politico-financières, de dénoncer ces combines : « Ces noms sont des garanties judiciaires et non des garanties
institutionnelles ! ».
Finalement, Bersani annonça le 17 avril 2013, à la veille de l’élection, qu’il soutiendrait la candidature de
Franco Marini. Sur le papier, il devait donc être élu rapidement, d’autant plus qu’il bénéficiait non seulement du soutien du PdL mais aussi de Monti.
Premier tour du 18 avril 2013
Le choix de Bersani a cependant été fortement contesté au sein même de sa coalition. Par contraste, le
Mouvement 5 étoiles avait choisi de consulter ses sympathisants sur Internet pour désigner son propre candidat. Après le désistement de la journaliste Milena Gabanelli (58 ans), qui ne se sentait
pas assez compétente pour la fonction, et du chirurgien Gino Strada (65 ans), c’est le constitutionnaliste Stefano Rodota (79 ans), ancien vice-Président de la Chambre des députés, qui fut
officiellement désigné candidat de ce singulier parti.
Stefano Rodota, ancien député indépendant, est entré dans cette bataille avec une possibilité non négligeable
de l’emporter car il pourrait être apprécié aussi du centre gauche, notamment avec ce type de discours : « Il y a une colère justifiée, née de
la disparition de l’éthique publique qui a érodé les bases de la démocratie. Je pense qu’il faut que l’on soit ferme sur la réactualisation d’une morale publique. ».
Le premier tour du scrutin a placé Franco Marini en tête avec 521 voix, plus que la majorité absolue (504)
mais pas assez pour être élu aux trois premiers tours (672). Cet échec a confirmé l’opposition au sein de la gauche de cette candidature considérée comme la dernière manipulation de
Berlusconi.
Stefano Rodota, lui, s’en est très bien tiré. Il a accédé à la deuxième place avec 240 voix, soit bien plus
que les seules voix du Mouvement 5 étoiles. Il a réussi à convaincre des délégués du centre gauche. En troisième position, avec 41 voix, l’ancien maire de Turin, Sergio Chiamparino (65 ans), issu
du PD.
Parmi les autres personnalités qui ont reçu quelques voix dispersées, trois femmes, anciennes ministres, dont
la candidature aurait pu être sérieusement soutenue : Emma Bonino (65 ans), Anna Finocchiaro (58 ans) et Anna Maria Cancellieri (70 ans), qui est la Ministre de l’Intérieur depuis le 16
novembre 2011.
Le centre gauche qui contestait le choix de Franco Marini a cependant réagi essentiellement par le vote blanc
(104).
Deuxième tour du 18 avril 2013
L’élection tourna donc au cauchemar. Contesté, Franco Marini a retiré sa candidature. La coalition
majoritaire (dirigée par Bersani) a donc surtout voté blanc. Beaucoup aussi du centre droit a voté blanc. Au total, 418 votes blancs, ce qui a paralysé l’élection.
Stefano Rodota s’est donc retrouvé mécaniquement en tête avec 230 voix, Sergio Chiamparino en deuxième avec
90 voix et Massimo d’Alema est arrivé en troisième avec 38 voix. Massimo d’Alema avait été pressenti à devenir le candidat officiel de la gauche le 8 mai 2006, mais Romano Prodi avait préféré le
prendre dans son gouvernement.
La pratique des votes blancs pour le deuxième et troisième tour est très fréquente : au premier tour,
les délégués testent une candidature de consensus. Si elle échoue, ils attendent le quatrième tour pour proposer un candidat capable d’obtenir seulement la majorité absolue.
Cela peut parfois devenir fantaisiste dans les voix qui se perdent. Ainsi, à ce deuxième tour, la
petite-fille du Duce, Alessandra Mussolini (60 ans), qui a été plusieurs fois élue députée et s’est fait élire sénatrice en février 2013, a recueilli 15 suffrages. Même Bersani a recueilli 4
voix !
Troisième tour du 19 avril 2013
Il y a eu pour ce troisième tour 465 votes blancs, laissant Stefano Rodota en tête avec 250 voix, puis en
deuxième et troisième places, Massimo d’Alema (34 voix) et Romano Prodi (22 voix).
Quatrième tour du 19 avril 2013
La majorité des deux tiers n’était plus indispensable, Bersani a annoncé sa décision de présenter la
candidature de Romano Prodi (73 ans), ancien Président du Conseil et ancien Président de la Commission européenne. Il est l’un des adversaires les plus détestés de Silvio Berlusconi.
Bien que "outsider", les chances de Romano Prodi auraient pu être donc très élevées. Mais c’était sans
compter la contestation dans les rangs de la coalition de gauche.
En effet, Romano Prodi n’a pu recueillir que 395 voix, ce qui fut très loin des 504 nécessaires. Stefano
Rodota est arrivé deuxième avec 213 voix, suivi par Anna Maria Cancellieri (78 voix) et Massimo d’Alema (15 voix).
La coalition de droite de Berlusconi n’a même pas pris pas au vote (seulement 732 votants sur 1007).
La crise a été donc ce vendredi à son comble : aucun candidat ne semblait capable de recueillir une
majorité absolue.
Cinquième tour du 20 avril 2013
La situation est devenue ubuesque. La coalition de droite n’a toujours pas repris part au vote (seulement 742
votants), la coalition de gauche a voté blanc en grande majorité (445 votes blancs). Du coup, Stefano Rodota s’est retrouvé une nouvelle fois en tête avec 210 suffrages.
Sixième et dernier tour du 20 avril 2013
Parce qu’il n’y a plus de gouvernement, parce qu’il n’y a pas de majorité au parlement, parce qu’il n’y a
même plus de Président de la République pour dissoudre le parlement, il a bien fallu trouver une solution provisoire. Elle a été trouvée dans la reconduite de Giorgio Napolitano.
Celui-ci, qui va avoir 88 ans dans deux mois, très vivement sollicité par Pier Luigi Bersani, Silvio
Berlusconi, Mario Monti, Roberto Maroni (58 ans), le successeur d’Umberto Bossi (71 ans) à la tête de la Ligue du Nord, a effectivement accepté d’être de nouveau candidat mais a largement laissé
entendre qu’il démissionnerait avant la fin de ce second mandat (il aurait alors 94 ans !) et qu’il le faisait uniquement pour dénouer la crise.
C’est donc dans un beau consensus, avec 738 voix, que Giorgio Napolitano a été réélu Président de la
République italienne. C’est la première fois qu’un Président a été élu deux fois dans l’histoire italienne.
Stefano Rodota a imperturbablement reçu 217 voix et il y a eu seulement 10 votes blancs et 10 absents au
scrutin.
Pas de De Gaulle italien à l’horizon
Le drame s’est donc terminé le samedi soir. Alors que tout le monde s’est senti soulagé de ce dénouement,
tant en Italie qu’à l’étranger, Beppe Grillo a été très critiqué quand il a parlé de "coup d’État" pour décrire cette réélection.
Enfin, le drame présidentiel est terminé mais tout n’est pas réglé. Giorgio Napolitano n’a pas voulu attendre
le 15 mai 2013 (le début officiel de son second mandat) pour avoir le droit de dissoudre les deux assemblées du parlement. Il a donc démissionné de son premier mandat le 22 avril 2013 et a pu
ainsi prêter serment devant le collège électoral dès ce jour-là, en évoquant des lois inefficaces contre la corruption et en concluant ainsi : « Je suis prêt, s’il le faut, à mettre mes forces à dures épreuves. ».
Un ton qui pourrait être rapproché des propos du Président de la République française René Coty pour sortir
la France de l’enlisement politique en 1958, un Président lui aussi très laborieusement élu (au bout de treize tours)… à cela près qu’il n’existe pas de De Gaulle dans l’Italie de 2013.
Matteo Renzi, le jeune espoir ?
Quant à Pier Luigi Bersani, le Jean-Pierre Bacri de la politique italienne, il a démissionné dès le 20
avril 2013 de la direction du Parti démocrate italien, à la suite de l’échec des deux candidatures (Marini et Prodi). Il a suivi d’un jour la présidente du PD, Rosy Bindi (62 ans), elle aussi
démissionnaire.
Bersani restera, sauf surprise, comme l’un des leaders de centre gauche qui ont raté la direction du
gouvernement, ce qui fut le cas deux anciens maires de Rome Francesco Rutelli (58 ans), qui a fondé le 16 avril 2004 avec François Bayrou le Parti
démocrate européen (PDE), et Walter Veltroni (57 ans).
Cependant, le PD pourrait se trouver très rapidement un leader de remplacement en la personne du jeune maire
de Florence, Matteo Renzi (38 ans).
Élu président de la province de Florence le 13 juin 2004 (il n’avait que 29 ans) puis maire de Florence le 29
mai 2008, Matteo Renzi, publicitaire, était arrivé deuxième avec plus d’un million de voix (35,5%) au premier tour de la primaire du 25 novembre pour prendre la tête de la coalition de centre
gauche face Pier Luigi Bersani (44,9%) et au second tour du 2 décembre 2012, il avait réalisé un score honorable (39,1%).
Matteo Renzi avait particulièrement critiqué la mauvaise stratégie de Bersani qui consistait à faire un deal
avec Berlusconi pour soutenir la candidature de Franco Marini. Nul doute qu’il aura, dans les années à venir, un rôle de plus en plus déterminant dans la vie politique italienne.
Enrico Letta
Mais pour l’heure, c’est à l’ancien ministre Enrico Letta (46 ans) que le Président Napolitano a demandé ce
mercredi 24 avril 2013 de former le futur gouvernement italien.
Secrétaire adjoint du PD (numéro deux) et ancien démocrate-chrétien, neveu de Gianni Letta (le proche de
Berlusconi évoqué plus haut), Enrico Letta a été préféré à Giuliano Amato qui avait été parmi les prétendants possibles.
Si Enrico Letta réussissait là où Pier Luigi Bersani a échoué, il aurait cependant beaucoup de mal à
maintenir durablement une majorité parlementaire stable.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (24 avril
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L’élection du Président français René Coty en
1958.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/l-empereur-napolitano-et-le-134797