« On écrit à la
pulsion, on coupe à l'oreille.
La coupe, c'est la main levée, le coup de ciseau artiste, l'appel de
l'attaque suivante, obtenue franchement, utilisée comme un butoir, un appui,
l'occasion d'un départ nouveau : starting block pour cette
compétition inouïe, d'un vers l'autre, sur la cendrée des pages.
Un poète, c'est une oreille, des poumons, un pas. À le lire, on entend comme il
respire, comme il marche. Ce qu'il y a, toujours, d'unique à un souffle
concret, à une oreille concrète lui donne sa cadence caractéristique, le grain
de sa langue, sa pulpe charnelle ; ses ressources, toutes plastiques, de
déformation lui font cette incomparable matière, immédiatement reconnaissable.
La pulpe, la cadence, la coupe : un vers. – Une particulière
mécanique de l'élan et de la chute.
La marche, cette chute indéfiniment différée, cette mise en déséquilibre du
corps entier récupéré in-extremis pourrait être une métaphore dynamique
de la mécanique du chant. – La régularité d'un pas, d'une respiration plus ou
moins profonde, comme d'un cœur (je parle de l'organe thoracique concret) qui
bat plus ou moins vite sous l'effet d'une émotion plus forte, d'une surprise,
d'une précipitation de la course – jusqu'à ce que la respiration puisse,
parfois, sembler venir comme à manquer – ou, au contraire, les inspirations
profondes (je parle de l'acte physique de l'animal terrestre muni de poumons),
ces longues goulées désirables de l'air frais des premières heures du jour, qui
pourront nourrir des proférations soutenues, des vers de dix-huit, vingt,
vingt-et-un pieds.
Écrire : régler des accélérations, des silences. Choisir des chutes. Nous
soit-il donné de les conduire à la baguette ! Quand plutôt nous les
connaissons notre maître, et la dernière Loi. »
Jean-Paul Michel, Bonté seconde, « Coup de dés », cahier
dirigé par Tristan Hordé, Joseph K., 2002, p. 31-32.
[choix de Matthieu Gosztola]