Le 4 avril 2013, l'International Consortium for Investigative Journalism (ICIJ) annonce sur son site Internet la publication de l’affaire « Offshore Leaks », promettant de révéler les secrets opaques de l’évasion fiscale, dans la continuité de l’affaire « Wikileaks » qui avait révélé des câbles diplomatiques. Cette annonce a été reprise simultanément par 36 journaux internationaux, à grands renforts de titres sensationnels, de teasers calibrés, de Google Adwords et de « Search Engine Optimization », rappelant les techniques de marketing utilisées par Apple pour lancer un nouveau produit.
Comme dans l’affaire « Wikileaks », l’information a ensuite été distillée au compte-gouttes par des journaux partenaires soigneusement sélectionnés – selon des critères inconnus – à l’avance : Le Monde pour la France (Mediapart et Rue89 ont été des candidats écartés), Le Matin Dimanche et la SonntagsZeitung pour la Suisse (Le Temps et la NZZ, partenaire en 2010 de « Wikileaks », n’ont cette fois pas été retenus). Le lancement de « Offshore Leaks » est donc le résultat d’une opération de communication complexe, planifiée dans le temps et concertée mondialement, tenue secrète pendant plus de une année, bien qu’impliquant 86 journalistes internationaux. Ceci démontre une maîtrise professionnelle des techniques de communication et d’influence, et donc d’une volonté de maîtriser l’information pour atteindre un objectif précis.
Une officine quasi inconnue à la manœuvre
L’ICIJ lui-même était une officine quasi inconnue avant cette affaire qui lui a procuré une exposition internationale exceptionnelle. Ce consortium est une émanation du Center for Public Integrity (CPI), une ONG américaine regroupant des journalistes d’investigations, très majoritairement de gauche libérale, qui n’hésitent pas à collaborer avec des organisations partisanes comme Greenpeace. Son directeur, Gerad Ryle, est un journaliste d’investigation qui a révélé l’affaire Firepower, et qui a fait carrière en Australie, comme Julian Assange, le fondateur de Wikileaks. Le CPI est financé – entre autre – par l’ « Open Society Institute » du financier philanthrope George Soros (qui détient lui-même de nombreuses sociétés offshores) et du « Schumann Center for Media and Democracy », la fondation de l’héritière IBM Florence Ford. L’ICIJ est donc de fait un acteur fortuné et partisan, mais qui n’hésite pas à se présenter sur l’échiquier « Offshore Leaks » comme un acteur neutre paré des meilleures intentions.
Des sources non vérifiables
Quant aux données elles-mêmes, le ICIJ ne révèle pas sa source primaire, mais précise qu’il s’agit d’information noire : le consortium aurait reçu un disque dur de données volées, envoyé par la poste dans un paquet anonyme, il y a plus d’une année. Pourquoi avoir attendu si longtemps avant de le révéler ? A-t-il fallu retravailler les données (2.5 millions de documents, pour plus de 260 giga-octets de données) ? Quelles sont les motivations de ce(s) délateur(s) anonyme(s) ? Les sources et ces données sont-elles fiables ? Sont-elles interprétables ? Si oui, selon quels critères et quel processus ? Autant de questions sans réponses, qui n’ont pas empêché l’immense majorité des journaux partenaires de reprendre les informations fournies clé-en-main par l’ICIJ, ignorant au passage la différence fondamentale entre information et renseignement.
Les Etats-Unis épargnés par l’enquête ?
Ce qui est certain, c’est que sur les 122 000 sociétés offshores dévoilées (servant parfois à des activités tout à fait légales), l’opération a pour l’instant largement épargné les Etats-Unis, qui comptent pourtant pour plus de 20% du volume mondial des services financiers offshores. Les paradis fiscaux du Nevada, du Wyoming et du Delaware (un Etat dans lequel on peut ouvrir une société-écran anonymement en moins de 15 minutes) comptent à eux seuls plus de 700 000 sociétés offshores. On peut également noter une coïncidence temporelle entre l’affaire « Offshore Leaks » et la réunion commune à Washington du G20, du FMI, et de la Banque Mondiale du 19 et 20 avril 2013, dont le but était justement de soumettre les Etats désignés par l’OCDE comme « paradis fiscal» à l’échange automatique d’informations, sur le modèle du système américain FATCA. Une norme fiscale déjà en place, qui permet aux Etas-Unis de dicter leurs règles et d’obtenir des informations fiscales d’Etats-tiers, tout en restant discret sur les étrangers investissant dans leur juridiction.
En conclusion, il est difficile de déterminer, deux semaines après le début de l’affaire, à qui profite réellement « Offshore Leaks ». A ce jour, les grands médias n’ont relayé que des secrets de polichinelles, très loin des scoops promis par les effets d’annonces du 4 avril 2013. Ce qui est certain, c’est que l’ICIJ, dont le but affiché est de rendre la société plus ouverte et transparente, mène pour le moment une opération très opaque, dont la neutralité affichée peut facilement être remise en cause.