Pour la nourriture, seule « substance » parmi les substances à être aussi et surtout une nécessité biologique, la question peut se poser. Le modèle de la dépendance, connu pour d’autres substances, et qui sert de cadre à la prise en charge clinique, à la prévention ou encore au soutien, peut-il être appliqué à la nourriture et aux troubles du comportement alimentaires ? Cette édition spéciale de la revue Biological Psychiatry consacrée aux relations entre alimentation et addiction fait le point sur l’état de la science et la gravité de l’enjeu. En synthèse, l’obésité pourrait-elle dans certains cas être considérée comme le résultat d’une dépendance à la nourriture ?
Car la dépendance est définie comme l’usage continu ou compulsif d’une substance, malgré ses conséquences négatives et / ou nuisibles. Si la notion a évolué pour accueillir de nouveaux types de comportements liés à un nombre de substances toujours plus élargi, le terme décrit globalement aujourd’hui les troubles liés à l’alcool, la nicotine, la drogue, le jeu, le sexe et l’utilisation d’Internet. Alors que les « grandes » dépendances, comme l’alcoolisme et la toxicomanie sont maintenant largement caractérisées, d’autres, comme la dépendance au jeu et à l’internet, sont moins bien comprises, ont moins d’antériorité et nécessiteront de nouvelles études.
La nourriture est à part, car elle est avant tout une nécessité biologique ce qui en fait une substance différente de toutes les autres substances retenues dans les troubles de la dépendance. Ses symptômes se distinguent aussi des symptômes typiques de la dépendance à une substance car ils n’incluent pas la tolérance avec l’usage, ou ici la consommation. Cependant, des similitudes entre l’apport alimentaire et la toxicomanie ont été mises en lumière par de nombreuses études et sont en quelque sorte officialisées avec l’inclusion de l’hyperphagie boulimique ou le Binge eating disorder dans la nouvelle version du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5).
Mais ce sont les mêmes régions du cerveau qui « sont en jeu » dans l’excès alimentaire et l’abus de drogues. Les différences et les similitudes dans l’activation des circuits de récompense du cerveau ou dans le rôle joué par la dopamine, un neurotransmetteur impliqué dans le plaisir et la récompense, en cas d’obésité ou de toxicomanie, peuvent aider à comprendre ces différents troubles, mais, quoiqu’il en soit, l’identification de circuits neuronaux en commun, ne prouve pas que la nourriture puisse être addictive.
L’adoption du modèle de dépendance à la nourriture peut se tenir, expliquent les auteurs dans un premier article, lorsque la dépendance alimentaire existe et que, bien que moins puissante que des drogues addictives, on retrouve avec la nourriture le caractère compulsif ou le manque de contrôle, comme dans les crises de boulimie par exemple. Une autre étude va juger, en revanche, la notion de dépendance alimentaire problématique et ses ressemblances ou liens avec la toxicomanie exagérés. Cependant, il commence à se dessiner un léger consensus sur le fait que l’hyperphagie boulimique puisse représenter le sous-type d’obésité le plus étroitement lié à la toxicomanie.
Pour les auteurs d’une méta-analyse de la littérature qui dressent à l’occasion de cette édition un état des connaissances sur le sujet, s’il est intéressant de comprendre la façon dont les circuits neuronaux de la récompense et de la maîtrise de soi peuvent jouer un rôle dans la suralimentation et l’épidémie d’obésité, adopter à tort le cadre clinique de la dépendance pour orienter la recherche et la pratique clinique sur les troubles alimentaires aurait des conséquences critiques pour la prise en charge de ces maladies.
Enfin, la question est posée d’appliquer ou non le cadre de dépendance aux prochaines orientations politiques sur les questions de l’alimentation, de la nutrition et de la prévention de l’obésité. Car l’épidémie, elle-aussi, devient incontrôlable.
Source: Biological PsychiatryVolume 73, Issue 9 (2013)Food Addiction?
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