Au domaine des Murmures, on est sur le point de marier la jeune demoiselle Esclarmonde. Elle n’en a pas du tout envie. Elle souhaite vouer sa vie à Dieu. Mais personne ne l’écoute. Alors le jour de ses noces, au lieu de prononcer le “oui” attendu, elle dégaine un couteau, se tranche l’oreille et annonce devant l’assemblée sa volonté de se retirer dans une cellule murée, de disparaître du monde des vivants et de consacrer sa vie à la prière. Son père est furieux. Il ne lui adresse plus un regard. On commence la construction de la petite cellule, accolée à la chapelle du chateau, et Esclarmonde y prend place. Elle n’est reliée au monde que par une fenestrelle à barreaux qu’elle ferme par un volet. Elle fait pénitence, mange peu et s’oublie. Mais dehors, le bruit se répand vite de cette recluse dans sa cellule. On dit même qu’elle peut faire des miracles, qu’elle est une sorte de sainte, on défile pour lui demander conseil ou même absolution. Au premier rang de ses fidèles, ce fiancé qu’elle a refusé d’épouser et qui depuis se perd dans la poésie et la musique.
Quel superbe roman! Le destin de cette jeune fille de quinze ans prête à s’emmurer vivante pour fuir la volonté des hommes est tout à fait poignant. Au départ, sa voix m’a semblée un peu trop mature pour son âge, mais très vite, on se rend compte de l’évolution de ce ton, passant du détachement du monde à l’amour maternel total, de la sagesse à la folie. L’expérience de l’enfermement, loin de lui apporter la paix et le silence, l’amène au contraire à vivre les émotions les plus intenses, comme l'attente du regard d’un père, la haine que lui voue sa belle-mère ou le désir que le poète parvient à lui communiquer grâce à ses chants. Loin d’être oubliées des vivants, elle devient l’objet d’un véritable pèlerinage, ne demeurant morte que pour celui à qui elle a décidé de désobéir : son père.
Le thème de l’autorité m’a d’ailleurs beaucoup intriguée dans ce livre. C’est pour se soustraire à celle des hommes qu’Esclarmonde choisit celle de Dieu, la seule qui la surpasse dans son Moyen Age natal. Evidemment, le mariage prévu par son père était un accord, un passage à un autre homme qui lui, ne se gênait pas pour trousser toutes les servantes qui passaient à sa portée. Mais si son père vit aussi mal la décision de sa fille, c’est qu’il semblerait que Dieu lui ait déjà enlevé plusieurs membres de sa famille, que ce soit en les rappelant prématurément ou en les enfermant dans des monastères. La question est donc épineuse… Surtout que le pouvoir que sa condition de recluse donne à Esclarmonde est surprenant, et qu’elle en vient même à s’en amuser en donnant des consignes d’absolution complètement farfelues aux pénitents qui viennent la consulter, elle qui doit renoncer à voir son propre enfant. Je n’ai eu de cesse de me demander qui allait gagner de Dieu, des hommes, ou de ces fantoches que les hommes se donnent à suivre pour se rassurer.
La note de Mélu:
Un pur régal.
Un mot sur l’auteur: Carole Martinez (née en 1966) est une auteure française qui signe ici son deuxième roman, lauréat du Prix Goncourt des Lycéens 2011. D’autres de ses romans sur Ma Bouquinerie:
catégorie “lieu”