N'allez pas penser que je vous snobe, que je vous ai relégué au second plan, que je vous ai largué pour un autre jules, un quelconque joueur d'orgue débutant.
N'imaginez pas non plus que votre poésie m'ennuie, que votre prose se nécrose, que votre spleen, votre langueur et votre jeune mort m'ont répugné, qu'un autre poète rigoureusement optimiste m'aura séduite sous des airs proprets et des vers arithmétiques.
J'aime vos douces complaintes, votre teint de lune, votre cœur de Pierrot qui prête sa plume à la nuit. Je vous imagine accoudé au balcon de votre appartement, observer un jeune homme courir, cherche-t-il quelque chose ?
Est-il en fuite, ou simplement en retard qui l'attend, est-ce que quelqu'un l'attend.. Je vous vois patienter d'un œil tendre alors qu'un camion poubelle bloque la rue, dans le coin de l’autre œil un homme mûr à la fenêtre de son salon, une femme en tablier à celle de la cuisine. Oui, je vous imagine allant consoler ce vendeur de bibles pas très catholiques, fleurir la tombe d'une épouse défunte, et poser la main sur l'épaule d'Alphonse.
N'allez pas vous torticoliser dans votre modeste demeure boisée, à l'orée d'un monde méconnu. Comment pourrais-je vous oublier, Jules, vous que l'on vous fête quand on célèbre ma naissance ? Mais le mois d'avril est plein de boutons prêts à en découdre, de fils à retrouver, labyrinthe gastronomique, route des anniversaires plus printaniers que légers. Alors les jours ont passé, et je les ai regardé faire, impuissante, inquiète, et heureuse à la fois.
Je tiens à me faire pardonner, M'sieur Laforgue, et pour ce faire, je vous invite à l'unique représentation du Concile Féerique qui se joue à guichets fermés, un huis clos universel, l'écho des cœurs d'une dame et d'un monsieur qu'on reprend tous en chœur, un drame gourmand comme un pot-au-feu, les cinq ressorts à l'honneur, juillet dégainant ses nymphes chorégraphiées pour le plaisir des touristes à l'ordinaire blasé, la lune danse avec un oiseau bleu comme l'infini , les rainettes se sanglotent et réveillent les paons endormis dans le cuir des hôtels boueux.
Jetez l'ivraie de vos nerfs aux orties glissez vous dans le velours du jour amoureux de la nuit respirez le pollen des étoiles, enchantez les muqueuses de votre cœur et profitez du bonheur autochtone.
En voici un avant-goût :
LE CONCILE FEERIQUE
DRAMATIS PERSONÆ:
LE MONSIEUR.
LA DAME.
LE CHŒUR.
UN ÉCHO.
LA DAME
Oh! quelle nuit d'étoiles ! quelles saturnales !
Oh ! mais des galas inconnus
Dans les annales
Sidérales !
LE CHŒUR.
Bref, un ciel absolument nu.
LE MONSIEUR
Ô Loi du rythme sans appel,
Le moindre astre te certifie,
Par son humble chorégraphie !
Mais, nul Spectateur éternel.....
Ah ! la terre humanitaire
N'en est pas moins terre-à-terre !
Au contraire.
LE CHŒUR
La terre, elle est ronde
Comme un pot-au-feu;
C'est un bien pauv' monde
Dans l'infini bleu.
LE MONSIEUR
Cinq sens seulement, cinq ressorts pour nos essors,
Ah ! ce n'est pas un sort !
Quand donc nos cœurs s'en iront-ils en huit-ressorts ?
Oh, le jour ! quelle turne...
J'en suis tout taciturne.
LA DAME
Oh ! ces nuits sur les toits !
Je finirai bien par y prendre froid....
LE MONSIEUR
Tiens, la Terre,
Va te faire
Très lanlaire.
Bien à vous,
C.
P.S. : le personnage de la Dame est un hommage rendu à une femme de la rue qui chantait son avenir sur les toits, une femme de nuit anonyme et du jour inconnue.