Je n'ai pas le talent de Gérard Filoche ni sa connaissance aigue du droit du travail. Mais je porte en moi le sentiment fort de devoir défendre un droit pour lequel des socialistes se sont battus tout au long du siècle dernier et à la fin du 19e. Ce sentiment je le ressent chez Gérard Filoche et sa détermination à défendre les salariés est convaincante. Alors je reprends une page essentielle, didactique, de son blog pour faire entendre Raison à ceux qui s'égarent en compagnons de route d'un medef conquérant. Je vais m'attirer les foudres de certains qui confondent lucidité sociale et leur intérêt particulier, qui sont par aveuglement et par anesthésie du sens critique les fourriers du medef ou les chantres d'un social libéralisme que je réfute.
Gérard FILOCHE, Membre du Bireau National du Parti Socialiste
Non, ca ne colle vraiment pas. Discuter cinq mois du mariage pour tous, peut-être. Mais passer en trois semaines, avec procédure d’urgence et vote bloqué, une loi essentielle très contestée sur le droit du travail, ça ne se justifie pas. Même pour ceux qui défendent cette loi, ce n’est pas glorieux : silence médiatique général, aucun débat contradictoire, obscurité organisée sur les 27 articles disparates de l’ ANI péniblement transformés en 18 articles similaires de loi, votes forcés, expéditifs, et à reculons, sous pression, des députés. On en arrive à une des lois les plus mal votées de l’histoire de la Ve République. Elle ne créera aucun emploi, ne supprimera aucun précaire.
Y a t il eu des changements substantiels entre l’ANI du 11 janvier, le projet de loi du conseil des ministres du 6 mars, et la « petite loi » du 9 avril…avant que tout ne soit scandaleusement bloqué au Sénat ? Réponse : NON ! Hélas !
Un élément essentiel d’appréciation : par cette loi (et la future constitutionnalisation de la primauté de la négociation sur la loi), les accords collectifs, fussent-ils signés par des syndicats non représentatifs et/ou sous le chantage à l’emploi, prennent force de loi. En dehors d’un rapport de forces favorable (comme en 36, 45 ou 68), le patronat ne les signe que s’ils lui sont favorables. Pour autant, l’expérience montre que, souvent, même ces accords-là ne sont pas respectés par les employeurs. (Ils n’avaient jamais respecté « leur » ANI du 30 octobre 1995 ou ils accordaient que les heures supplémentaires devaient être exceptionnelles et imprévisibles », et « limitées un contingent annuel de 91 heures »)
La logique (et le droit en vigueur) indique que la violation de ce qui fait force de loi devrait être sanctionné, notamment par le contrôle et les procès-verbaux de l’inspection du travail. Or, ici, il n’en est rien, ce qui achève la démonstration du recul qu’est l’ANI et sa traduction dans la loi.
Article 1 du projet de loi : Couverture complémentaire santé et prévoyance
L’amendement qui précise que, pour la couverture minimale, pour chaque risque (comme un de nos amendements le prévoyait), les garanties doivent être au moins aussi favorables que celles prévues par le nouvel article L.911-7 de la sécurité sociale, n’apporte rien car, contrairement à notre amendement sur cet article qui prévoyait que le minimum était la moyenne, pour chaque risque, des garanties des salariés déjà couverts, cet article se contente de renvoyer à un décret le montant minimal des prises en charges
L’amendement qui prévoit la participation de l’employeur illustre bien ce qui a guidé les amendements (ne pas toucher à l’essentiel pour le MEDEF) : l’ANI prévoyait 50 employeur/50 salarié (au lieu de 57/43 en moyenne actuellement), l’avant-projet de loi renvoyait à un décret la fixation d’un minimum pour la part de l’employeur, le projet de loi stipule que « L’employeur assure au minimum la moitié du financement de cette couverture » ; ce qui entérine, par la loi, le 50/50
Même chose pour le renvoi à un décret des modalités de la mise en concurrence des organismes pour l’attribution du marché. A cet égard, le compte rendu des débats sur ce point à l’Assemblée nationale le 9 avril montre bien que le texte entame peu la « liberté de choix » de l’organisme assureur par l’employeur : ainsi l’UDI se félicite de ce que « le Gouvernement a bien voulu apporter des précisions permettant de mieux faire valoir la liberté de l’employeur »
Article 2 : définition de la formation professionnelle
L’amendement consistant à ajouter à l’article L.6111-1 du code du travail, s’agissant de la formation professionnelle : « Elle constitue un élément déterminant de sécurisation des parcours professionnels et de la promotion des salariés. » est un amendement d’inspiration patronale : si vous ne trouvez pas de travail ou si vous n’obtenez pas de promotion, c’est votre faute… « jamais assez formés » est le leitmotiv permettant à la fois de culpabiliser les salariés et de camoufler les responsables du chômage.
Article 2 : compte personnel de formation
L’amendement précisant que « le compte est alimenté : 1° Chaque année dans les conditions prévues pour le droit individuel à la formation aux articles L. 6323-1 à L. 6323-5 », à défaut d’une avancée, permettra peut-être d’éviter l’interprétation possible de l’ANI (120 h pour 42 ans au lieu de pour 6 ans)
Il reste qu’une nouvelle disposition, non prévue par l’ANI et par l’avant-projet de loi (« Avant le 1er janvier 2014, les organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel procèdent aux adaptations nécessaires des dispositions conventionnelles interprofessionnelles en vigueur et le Gouvernement présente un rapport au Parlement sur les modalités de fonctionnement du compte personnel de formation et sur les modalités de sa substitution au droit individuel à la formation mentionné aux articles L. 6323-1 à L. 6323-5 du code du travail »), indique bien qu’il va y avoir une substitution au DIF et que les responsables syndicaux CGT du secteur de la formation ont alerté sur les risques qu’une substitution soit le paravent d’une disparition. Cela les inquiétait notamment car ils soulignaient que le DIF n’était pas financé a priori et l’amendement indiquant que « l’Etat ou la région » pourront faire des « abondements complémentaires » semble aller dans ce sens du désengagement patronal.
Article 3 : mobilité volontaire sécurisée
Pour cette mobilité externe, l’amendement de l’UMP rejeté montre bien qu’il s’agit non d’un droit supplémentaire mais d’un moyen supplémentaire pour les employeurs de se débarrasser de salariés. L’UMP demandait quel serait l’employeur responsable de la rupture du contrat de travail (l’ancien ou le nouveau) au cas où l’ancien refuserait de réintégrer le salarié…A cet égard, la réécriture de l’ANI (le salarié retrouve une rémunération « qui ne peut être inférieure à celle de son emploi antérieur ») par l’AN (le salarié retrouve une rémunération « au moins équivalente ») n’est pas une avancée : plus encore que l’ANI, elle laisse la voie ouverte à une latitude de l’employeur sur les heures (complémentaires ou supplémentaires) ou sur les primes
Article 4 : consultation du comité d’entreprise
Le principe de délais de consultation fixés par accord avec le comité d’entreprise reste. Ajouter à l’article L.2323-3 que ce délai d’examen doit être « suffisant » (en enlevant cette disposition qui figure actuellement à l’article L.2323-4) n’ajoute rien, pas plus que la mention qu’ils ne peuvent être « inférieurs à 15 jours » (ce qui est bien le moins). Il est indiqué qu’en l’absence d’informations suffisantes, le comité peut saisir le juge des référés, mais celui-ci a 8 jours seulement pour répondre et le délai préfix prévu n’est pas modifié (« Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. ») !
Article 4 : délai d’expertise
L’ANI, l’avant-projet de loi et maintenant le projet de loi instituent un délai fixe pour l’expertise, fixé par accord ou, à défaut, par décret. Le projet de loi a juste ajouté « raisonnable » pour ce délai…et il limite en plus le temps d’appréciation de l’expert puisqu’un décret va prévoir un délai (à l’intérieur du délai « raisonnable ») au-delà duquel il ne pourra plus demander « à l’employeur toutes les informations qu’il juge nécessaires à la réalisation de sa mission »
Article 4 : instance de coordination des CHSCT
Le nombre de représentants des CHSCT d’établissement à cette instance de coordination, non fixé par l’ANI, a été augmenté par rapport à l’avant-projet de loi, mais outre que cela concerne très peu d’entreprises, cela ne change rien à la question de la suppression de l’expertise pour chaque CHSCT.
A cette « simplification » pour l’employeur, l’avant-projet de loi avait ajouté la substitution de l’instance de coordination aux CHSCT pour plusieurs consultations obligatoires. Là aussi, on doit apprécier à sa juste valeur la pédagogie de la vaseline : alors que l’avant-projet de loi écrivait : « Cette consultation se substitue aux consultations prévues aux articles L. 4612-8, L. 4612-9, L.4612-10 et L. 4612-13. », le projet de loi stipule que l’instance de coordination « peut rendre un avis au titre des articles L. 4612-8, L. 4612-9, L. 4612-10 et L. 4612-13 »
D’autant que, tant sur le nombre que sur le fonctionnement, un nouvel article L.4616-5 du code du travail prévoit en outre qu’ « un accord d’entreprise peut prévoir des modalités particulières de composition et de fonctionnement de l’instance de coordination »
Article 5 : représentants des salariés dans les CA et Conseils de surveillance de très grandes entreprises
L’ANI et l’avant-projet de loi prévoyaient deux représentants pour les conseils dont le nombre de membres est supérieur à douze, et un dans les autres cas. Le projet de loi a ajouté « au moins » devant ces deux nombres…sans commentaire.
Par contre, deux avancées : il semble que l’interdiction faite aux représentants du personnel d’y siéger ait sauté, sauf pour les membres « d’un comité d’entreprise européen ». Et l’amendement que nous avions prévu sur la protection en cas de licenciement est passé.
Article 6 : droits rechargeables à l’assurance-chômage
Rien de plus que l’ANI : la recharge peut n’être que partielle (ANI : « conserver le reliquat de tout ou partie de leurs droits » ; AN : « Les droits à l’allocation d’assurance non épuisés, issus de périodes antérieures d’indemnisation, sont pris en compte, en tout ou partie »), et tout est renvoyé aux négociations sur l’assurance-chômage.
Article 7 : taxation et détaxation des contrats
La seule modification est l’instauration d’une règle : « Les taux mentionnés au deuxième alinéa doivent être fixés de sorte que le produit des contributions ne soit pas diminué ». Mais cette règle est trop floue, sans contrôles et sans conséquences, et l’on ne peut avancer qu’elle permettra d’éviter que les employeurs soient globalement bénéficiaires, comme il résultait des premières projections du MEDEF.
Article 8 : temps partiel
Positif, mais très limité en pratique, à l’article L.3123-16 du code du travail, il a été, sans l’expliciter, retiré une des façons de déroger par accord collectif au nombre et à la durée des interruptions d’activité. L’accord ne peut plus le prévoir « expressément », mais aux seules conditions antérieures (définition des amplitudes horaires et de leur répartition dans la journée de travail).
Pour le reste, les reculs de l’ANI, explicites ou implicites, sont confirmés.
Un des reculs que nous redoutions au vu de la rédaction de l’ANI, la possibilité (article L.3123-19 modifié) de remplacer la majoration de 25% au-delà du 1/10ème de la durée prévue au contrat par une majoration de 10% (même si cela est tempéré par l’obligation d’un accord « étendu ») : « Une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir un taux de majoration différent, qui ne peut être inférieur à 10 %.
Un autre recul que nous redoutions est confirmé par le projet de loi :
les heures de « complément » par avenant au contrat de travail, pourront ne pas être majorées. Un amendement voté en séance prévoyait une majoration « d’au moins 25% » pour les seuls quatre derniers avenants (sur huit possibles par an). Mais il y a eu retour au texte de l’ANI (« taux de majoration éventuelle des heures incluses dans le « complément d’heures ») et de l’avant-projet de loi : « La convention ou l’accord : b) Peut prévoir la majoration salariale des heures effectuées dans le cadre de cet avenant »
Un autre recul, qui va au-delà de la date prévue par l’ANI (date de l’entrée en vigueur de l’ANI) , la possibilité pour l’employeur, jusqu’au 1er janvier 2016, de refuser à un salarié la durée minimale de 24 heures en invoquant un motif économique lié à son activité ( « jusqu’au 1er janvier 2016, sauf convention ou accord de branche conclu au titre de l’article L. 3123-14-3, la durée minimale prévue à l’article L. 3123-14-1 est applicable au salarié qui en fait la demande, sauf refus de l’employeur justifié par l’impossibilité d’y faire droit compte tenu de l’activité économique de l’entreprise »)
Article 10 : Mobilité interne
Une évolution intéressante du point de vue sémantique : avant la recodification du code du travail en 2007, les obligations de l’employeur étaient rédigées avec des verbes idoines (« devoir » faire, « être tenu de » faire…). La recodification a systématiquement supprimé ces verbes en se limitant à l’indicatif du verbe d’action (l’employeur fait…). Ici, pour la négociation sur la mobilité interne, le projet de loi écrit : « L’employeur peut engager une négociation… » alors que l’avant-projet de loi se contentait de « L’employeur engage une négociation… ».
D’où l’on peut tirer au moins une conclusion : l’aveu, involontaire, que cette négociation est une mauvaise chose.
Les « avancées », entendues ici et là dans les médias, sur la prise en compte dans l’accord de la situation personnelle et familiale étaient déjà incluses dans l’ANI et l’avant-projet de loi ; elle est juste mentionnée deux fois au lieu d’une.
L’avancée réelle (le refus de mobilité entraine un licenciement pour motif économique et non plus pour motif personnel) mais limitée (le licenciement reste individuel même si plusieurs salariés sont concernés) était déjà dans le texte proposé à l’Assemblée nationale.
Article 12 : Accords de « maintien dans l’emploi »
La aussi, de la « pédagogie » : est-ce une avancée que de prévoir dans l’accord « les conditions dans lesquelles fournissent des efforts proportionnés à ceux demandés aux autres salariés » les dirigeants salariés et les actionnaires, étant précisé en outre que pour ces derniers, ces « efforts » doivent se faire « dans le respect des compétences des organes d’administration et de surveillance » ?
L’amendement instituant une « clause pénale » qui est en fait la clause civile de l’article 1226 du code civil (« La clause pénale est celle par laquelle une personne, pour assurer l’exécution d’une convention, s’engage à quelque chose en cas d’inexécution. »), est sans grande portée car c’est l’employeur qui en fixera « le montant et les modalités d’exécution » dans l’accord que les organisations syndicales ou les salariés mandatés seront contraints de signer par chantage à l’emploi. Et cette prétendue « avancée » est en fait un recul car, en échange de ce montant, l’employeur pourra ne pas maintenir l’emploi ! (« lorsque l’employeur n’a pas respecté ses engagements, notamment ceux de maintien de l’emploi… »)
Article 13 : licenciements collectifs pour motif économique
L’avant-projet de loi avait fixé à 8 jours le délai de validation par le Direccte de l’accord collectif ; le projet de loi le fixe à 15 jours, cela ne change rien quant à l’insuffisance de temps pour l’administration de contrôler cet accord.
Et, en adoptant la même règle que pour l’homologation du document unilatéral de l’employeur dans l’ANI, le projet de loi a ajouté une validation tacite de l’accord là où l’ANI ne disait rien.
Article 15 : critères pour l’ordre des licenciements
Encore de la pédagogie pour camoufler l’inacceptable. L’ANI disait : « L’employeur est fondé, pour fixer l’ordre des licenciements, à privilégier la compétence professionnelle sous réserve de tenir également compte des autres critères fixés par la loi ». L’avant-projet de loi disait : « L’employeur peut privilégier un de ces critères, en particulier celui des qualités professionnelles, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus par le présent article ». Et le projet de loi : « L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article »
Cacher ce critère que l’on ne saurait voir, mais que l’employeur pourra utiliser désormais en toute légalité et de façon « privilégiée ».
RESTE INCHANGEES par rapport à l’ANI (à titre d’exemple) :
- La création d’un « conseil en évolution professionnelle », mis en œuvre « au niveau local », dans le « cadre » du « service public de l’orientation », nouveau fromage pour les sous-traitants du service public et fossoyeurs des CIO. (article 2)
- La rupture considérée comme une démission en cas de non retour du salarié dans l’entreprise suite à la mobilité externe « sécurisée » (article 3)
- les dispositions régressives sur les prud’hommes (article 16)
- les dispositions régressives sur les délais de mise en place des IRP (article 17)
- les dispositions régressives sur le CDII (article 18)