Ni le gouvernement ni l'opposition ne prennent la mesure de la tragédie sociale et économique française : ils n'en parlent pas.
Par Guy Sorman.
Pour les entreprises qui résistent encore à cette débâcle, l'administration s'acharne à les décourager de se développer et de recruter. Depuis un an, les inspecteurs du fisc, de la sécurité sociale et du travail excités par un climat de lutte des classes, harcèlent les entrepreneurs, les rackettent en multipliant les contrôles et en interprétant les textes de manière systématiquement défavorables aux entreprises. Ce harcèlement est plus dissuasif encore que les taux de l'impôt et des assurances sociales (qui confisquent tout de même la moitié du chiffre d'affaires), par l'incertitude qui pèse sur les entrepreneurs. Ceux-ci ne recrutent pas faute de perspectives de croissance et plus encore parce que, de fait, le licenciement est juridiquement impossible, sauf à payer des indemnités faramineuses aux salariés en surnombre ou improductifs. Seuls les secteurs du luxe et de l'armement, destinés à l'exportation résistent mais produisent toujours plus hors de France.
C'est en dehors de France aussi que les entrepreneurs les plus dynamiques envisagent leur destin : il se trouve aujourd'hui environ trois millions de Français actifs en Amérique du Nord, en Asie, en Europe centrale. Les cabinets spécialisés dans les transferts d'activité vers les États-Unis ont vu, depuis un an, leur clientèle multipliée par dix.
Les dirigeants politiques français, majorité et opposition, en sont-ils conscients ? L'ignorance de l'économie, l'absence d'expérience de l'entreprise sont partagées par les deux camps. La preuve en est que ni les uns ni les autres ne prennent la mesure de la tragédie française : ils n'en parlent pas.
Certaines initiatives relèvent de la farce : créer une commission chargée de réfléchir à l'innovation, composée d'un philosophe et d'un astronaute, ne générera aucune innovation. Créer une Banque publique d'investissement, financée par un impôt supplémentaire (BPI) avec Ségolène Royal au Conseil d'administration, ne pourra que soutenir les secteurs archaïques, freinant un peu plus la destruction créatrice qui serait le moteur de la croissance.
Jamais depuis 1981, la société française n'aura été plus mal en point, au temps des nationalisations, des ministres communistes et de la tentation de quitter l'Europe. Mais François Mitterrand savait quand changer de cap et un certain Jacques Delors tenait en réserve une politique alternative. En ce moment, on ne discerne aucune relève, ni à gauche, ni à droite. Le Front national ? Son projet économique est encore plus fou que ceux de la gauche et de la droite additionnés.
Que faire ? On le saurait en théorie : autoriser les licenciements, réduire les dépenses militaires et de l’Éducation nationale, vendre le patrimoine immobilier et industriel de l'État, introduire l'impôt à taux unique, ramener de trois à deux ans la période de contrôle sur les entreprises, supprimer l'impôt sur le patrimoine, procéder à une amnistie fiscale. Qui le fera ? Personne. Comment tout cela va-t-il se terminer ? On ne sait pas.
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