Ancien résistant, biologiste, médecin, académicien, l’homme a eu, très tôt,
la pleine consécration de la communauté scientifique pour ses recherches sur la génétique et les bactéries.
Dix jours après le professeur Robert Edwards (1925-2013), prix Nobel de Médecine 2010 et père du premier bébé éprouvette, le professeur François Jacob s’est éteint ce samedi 20 avril 2013 à 92 ans. Il fut l’un des grands chercheurs du XXe siècle qui a permis de comprendre beaucoup sur les mécanismes
génétiques et dont les travaux ont eu une incidence directe sur la connaissance du cancer. Comme d’autres prix
Nobel, il est devenu immortel en se faisant élire le 19 décembre 1996 à l’Académie française (ce fut aussi le cas récent du professeur Jules Hoffmann, prix Nobel de Médecine 2011, élu académicien le 1er mars 2012). François Jacob fut
également un militaire et résistant courageux.
Résistant à 20 ans
François Jacob est né à Nancy le 17 juin 1920. C’est dire à quel point il venait d’avoir 20 ans lors du
fameux appel du 18 juin 1940. Quarante années plus tard, il expliquait : « L’exceptionnel dans l’appel du 18 juin, c’était d’abord la rencontre
de vérités simples, parce que le droit de la France se confondait avec les droits de l’homme et le patriotisme avec la liberté. C’était aussi la rébellion, l’insubordination du soldat à des
ordres jugés indignes, parce que l’obéissance du Français à l’intérêt et à l’honneur du pays doit l’emporter sur l’obéissance du militaire à ses chefs. ».
Dès le 1er juillet 1940, petit-fils d’un général quatre étoiles, il s’est engagé dans la
Résistance en rejoignant Londres. Sa mère venait de mourir quelques semaines avant. Comme il se destinait à devenir chirurgien (il avait déjà suivi deux ans d’études de médecine), on l’affecta au
service santé et il s’occupa des blessés en Afrique du Nord (il sauva même un homme en faisant une trépanation). Il a eu cinq citations et fut considéré comme « consciencieux et calme ». Mais il faillit perdre la vie en Normandie, le 8 août 1944, lorsqu’il préféra rester près d’un soldat mourant angoissé de
rester seul au lieu de se réfugier dans un fossé pour se protéger des bombes. Résultat, le jeune homme fut gravement blessé, resta longtemps hospitalisé (sept mois) et n’a pas pu entamer une
carrière de chirurgien.
Maurice Schumann,
la fameuse voix de la BBC "Les Français parlent aux Français" qui a reçu solennellement François Jacob à l’Académie française le 27 novembre 1997, a eu ces mots très pesés : « Dans les sentiers difficiles du monde, un être d’exception laisse toujours deux traces : celle qu’a
gravée sa vie ; celle qu’a dessinée sa légende. La légende de François Jacob se ramène à cette affirmation têtue : la science est redevable de vos découvertes à la tragédie qui a failli
faire de vous un "mort pour la France" parmi tant d’autres ; si cette "ardente souffrance du grand blessé" que chant Apollinaire et dont vous ne parlez qu’à vous-même n’était pas restée la
compagne de votre solitude, on ne trouverait votre nom que dans les annales de la chirurgie ; en d’autres termes, votre prix Nobel serait, en quelque sorte, la conséquence de ce coup du sort
qui vous a interdit d’obéir à votre vocation, la compensation surnaturelle d’une des innombrables horreurs de la guerre. ».
Médecin puis biologiste à l’Institut Pasteur
En 1947, François Jacob a soutenu sa thèse de médecine à Paris après quelques années de travaux en
laboratoire. Il s’est ainsi familiarisé avec les bactéries et les antibiotiques, avec les expérimentations sur des souches. Sa thèse portait sur la tyrothricine (un antibiotique peu connu) et il
expliqua cette passion soudaine pour la biologie « par nécessité intérieure et hasard extérieur » ("La Statue intérieure", 1987).
Il fut intégré à l’Institut Pasteur en 1950 au département de physiologie microbienne dirigé par André Lwoff
(1902-1994) qui fut pour lui comme un père pour sa scientifique. Bien plus tard, il présida ce prestigieux établissement de 1982 à 1988. Il se tourna vers la biologie en reprenant des études, en
repassant une licence. En 1954, il a soutenu à la Sorbonne sa thèse de biologie sur la lysogénie bactérienne en analysant les mutations éventuelles du génome bactérien. En 1960, il dirigea
jusqu’en 1991 le service de génétique cellulaire de l’Institut Pasteur. En 1964, on lui a créé la chaire de génétique cellulaire au Collège de France qu’il inaugura le 7 mai 1965, et qu’il occupa
jusqu’en 1991.
À partir de 1958, François Jacob collabora de manière très fructueuse avec Jacques Monod (1910-1976) dans l’étude expérimentale sur les échanges de
gènes entre bactéries, ce qui leur permet de réaliser des actions nouvelles comme produire des protéines. C’est donc partagé avec André Lwoff et Jacques Monod que François Jacob a reçu en 1965 le
prix Nobel de Médecine, à 45 ans, pour la mise en évidence du mécanisme utilisé par certains virus pour infecter des bactéries.
L’éclair et ses conséquences
L’idée de la découverte venait d’une petite lueur de génie en juillet 1958, en train de regarder un film ennuyeux au cinéma : « Et soudain, un éclair. L’éblouissement de l’évidence. Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? Contrairement à ce qu’on a cru trop longtemps, les gènes
ne sont pas des structures intangibles, hors d’atteinte. On peut les activer ou les inhiber, les faire travailler ou les forcer au repos. ».
Les enjeux de cette recherche sont immenses. Le professeur Moeller, cancérologue suédois, lui avait tout de suite signalé ses espoirs :
« Si vos découvertes n’ont pas conduit directement à des résultats pratiques, elles ont projeté une lumière entièrement nouvelle sur la formation des
gènes et des cellules, donc permis d’étudier le mécanisme par lequel le cancer se déclenche. », ce qu’avait confirmé également le corécompensé Jacques Monod : « Cela ne veut pas forcément dire que nous aboutirons à une thérapeutique. Mais de quoi s’agit-il ? D’apporter une aide à la compréhension du
cancer. ».
En 1966, François Jacob créa avec Jacques Monod à l’Université Paris VII et au CNRS un institut de biologie moléculaire qui prit en 1982 le nom
d’Institut Jacques-Monod.
Réflexions philosophiques
La Fondation Royaumont (du nom de l’abbaye cistercienne située dans le Val d’Oise) avait accueilli dans les années 1970 entre autres François Jacob,
Jacques Monod et Edgar Morin pour des réflexions sur l’anthropologie et la biologie. Jacques Monod avait
alimenté le débat philosophique avec la publication de son fameux livre "Le Hasard et la nécessité" (1970) où il écrivait notamment : « L’homme
sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers, d’où il a émergé par hasard. Non plis que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et
les ténèbre. ». Les deux prix Nobel ont à l’époque beaucoup communiqué avec le grand public sur le rôle de l’ADN et de la programmation génétique qui engendre le développement des
organismes vivants.
La contribution de François Jacob au débat philosophique fut essentiellement dans ses livres "Le jeu des possibles, essai sur la diversité du vivant"
(1981) et "La Souris, la Mouche et l’Homme" (1997). Il a également publié une autobiographie, "La Statue intérieure" (1987), éditée par sa fille Odile Jacob.
Honneurs et reconnaissance au-delà de la communauté scientifique
Élu membre de l’Académie des sciences le 22 novembre 1976, François Jacob fut ensuite élu à l’Académie française dix ans plus tard, remerciant ses confrères d’avoir fait entrer un scientifique : « Nous sommes faits d’un étrange mélange
d’acides nucléiques et de souvenirs, de rêves et de protéines, de cellules et de mots. Votre Compagnie s’intéresse avant tout aux souvenirs, aux rêves et aux mots. Vous montrez aujourd’hui que,
parfois, elle ne dédaigne pas d’accueillir aussi un confrère, plus préoccupé, lui, d’acides nucléiques et de cellules. Un écrivain, un artiste peut se prévaloir d’une œuvre qui lui appartient en
propre. À cette œuvre qu’il a lui-même entièrement créée, il peut donc, à bon droit, attribuer votre faveur. Il en va tout autrement d’un scientifique. Celui-ci ne fait jamais que poursuivre une
entreprise née des efforts accumulés par les générations précédentes. ».
Des honneurs, François Jacob en a eu plein. Dans de nombreuses universités et académies dans le monde. Mais
sans doute le plus grand honneur fut militaire, comme Compagnon de la Libération, celui d’être considéré, dans le protocole officiel, comme le seizième personnage de l’État, en tant que
chancelier de l’Ordre de la Libération, du 12 octobre 2007 au 11 octobre 2011, succédant à l’ancien Premier Ministre Pierre Messmer qu’il avait reçu lui-même le 10 février 2000 à l’Académie française (Pierre Messmer a été élu à l’Académie française au fauteuil de Maurice Schumann et Simone Veil lui a succédé, élue le 20 novembre 2008).
Un combat pour favoriser la recherche
Il y a dix ans, le 7 avril 2003, François Jacob avait pris la plume pour exprimer ses inquiétudes dans une
tribune du journal "Le Monde" sur la politique
de la recherche : « Deux signes infaillibles sur l’état de notre recherche : diminution du nombre de brevets pris par les laboratoires
français, d’où des dépenses croissantes pour l’achat de médicaments ; accroissement du nombre de jeunes chercheurs parmi les plus brillants qui s’exilent pour travailler dans des
laboratoires étrangers. (…) Alors la recherche en France va continuer à décliner lentement dans l’indifférence des responsables politiques. Et, avec elle, notre potentiel de développement
industriel, ou agronomique, ou militaire. Jusqu’au jour où arrivera peut-être au pouvoir une volonté politique nouvelle, décidée à remonter la pente. ».
Il existe encore beaucoup de pesanteurs dans la recherche française, mais pendant cette décennie (2003-2012), sept prix Nobel et médaille Fields
(mathématiques) furent cependant attribués à neuf chercheurs français : Yves Chauvin (Chimie, 2005), Albert Fert (Physique, 2007), Luc Montagnier et François Barré-Sinoussi (Médecine, 2008), Jean-Marie Le Clézio (Littérature, 2008), Cédric Villani et Ngo Bao Chau (médaille Fields, 2010), Jules Hoffmann
(Médecine, 2011) et Serge Haroche (Physique, 2012).
L’hommage de la République
François Jacob fait partie, dans le patrimoine intellectuel de la France, des grands penseurs de l’après-guerre, comme par exemple Paul Ricœur, Edgar Morin (91 ans), Germaine Tillion, Jacqueline de Romilly, Maurice Allais, Evry
Schatzman, Claude Lévi-Strauss etc.
Le Président de la République François Hollande lui rendra
hommage avec les honneurs militaires dans la cour d’honneur des Invalides à Paris le mercredi 24 avril 2013 à 11h30, avant son inhumation dans l’intimité familiale.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (23 avril
2013)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Discours de réception de François Jacob à l’Académie française (20 novembre
1997).
Robert
Edwards.
Luc
Montagnier.
Edgar
Morin.
Réflexion sur les
prix Nobel.