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Gunz 'n Rocé

Publié le 23 avril 2013 par Lifeproof @CcilLifeproof

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(Document remis)

1. Gunz N’ Rocé est ton 4éme album après Top départ, Identité en crescendo et l’Être humain et le réverbère. Malgré ta présence et ta notoriété au sein de la scène hip-hop française, les lecteurs de notre blog te découvriront sans doute pour la première fois, aussi peux-tu, s’il-te-plaît, te présenter en quelques mots ?

Rocé, rappeur français.

2. Peux-tu nous dire d’où te vient le titre de « rappeur philosophe » ? Est-ce une invention journalistique ou une appellation que tu as mise en place dès le début et que tu revendiques ?

C’est tiré du morceau « J’rap pas pour être sympa ». La phrase entière est : « J’vais pas remercier les poètes avec un sourire nié. J’fais comme vous je m’en sers comme arme civilisée. Vous voulez jouer aux mots, à la finesse et aux strophes, mais n’aimez pas perdre le pot face au rappeur philosophe. »
Une manière d’insister sur le fait que, si je fais l’effort de rapper avec un langage soutenu, ce n’est pas pour faire parti de ces rappeurs « bons élèves » qui cherchent surtout la reconnaissance bienveillante et paternaliste des médias dominants. Cela m’amuse plutôt de les prendre à leur jeu et les écraser avec leur propre cliché.

3. En apnée. Cette chanson, au même titre que d’autres figurant sur l’album, critique les clichés véhiculés par les MC aussi bien dans leurs textes que dans leurs attitudes. Ce qui, pour moi, est un peu plus obscur, ce sont les strophes avant le premier refrain. Est-ce peut-être une description du quartier d’où tu viens ? Est-il question des codes, mentalités, valeurs qui grippent certains quartiers ? Peux-tu nous en dire un peu plus sur En Apnée s’il-te-plaît ?

En Apnée est un positionnement. Une culture aliénée par le racisme, la misogynie, la violence du marché libéral, devient une culture qui transmet  du racisme, du sexisme et la violence de ce marché. La culture, c’est le squelette de la société, c’est ce qui crée un lien entre nous, un schéma commun. Et la culture française est détestable, parce qu’elle est sale. Je dis dans un autre morceau « y’a plus de contreculture, seulement des comptes-rendus des ventes ». Ce morceau dit que plutôt que de respirer cette culture, je préfère être en  Apnée.

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(Document remis)

4. La vitesse m’empêche d’avancer . Ici il est question des interviews télévisées qui sont menées à un train d’enfer et où l’invité a à peine le temps de répondre, de développer son propos. Est-ce une allusion à une émission en particulier ou un sentiment général vis-à-vis des plateaux télé ?

Sur ce morceau, c’est encore un positionnement. J’ai pris 2 exemples, les plateaux télé et l’école, car les deux n’ont rien à voir mais nous imposent un rendement peu adapté. Ce sont des exemples que j’ai choisi pour ce morceau parce qu’ils sont très parlants. On vit dans un monde où tout va très vite, à la fin de ta vie tu te rends compte que tu n’as jamais pensé à savoir ce que tu voulais vraiment construire, parce qu’on te culpabilise sans cesse d’être à la traine. C’est la société du rendement. Tu penses avancer, mais juste tu travailles et te fatigues.  Mais tu es déjà content d’être en vie. Sans t’en rendre compte tu es dans un constant « état d’urgence ». Avancer c’est avoir un projet de vie et le construire. Chose que peu de gens ont le luxe de faire. D’où le titre « La vitesse m’empêche d’avancer ». Car on te fait croire que le luxe c’est d’aller vite, c’est la culture du zapping. Au final tu fais du zapping sur ta propre vie.

5. Du fil de fer au fil de soie. « Que mes phrases fils de fer deviennent fils de soie » s’agit-il ici de se dégrossir soi-même, de s’affiner ? Non pas pour rentrer dans un moule, mais afin de concrétiser cette image d’un soi meilleur défini en partie par soi-même ?

Le rap, la culture populaire en générale, se crée avec de pauvres moyens. Les cultures populaires sont récupérées par les marchés du divertissement, ces marchés achètent notre art au prix du fer, et le revendent au prix de la soie. Dans ce texte ce que je dis c’est que il serait préférable que la marge nous revienne. Car c’est nous qui transformons le fer en soie.

« Et mes fils de fer deviennent leur fil de soie » est-ce une allusion au détournement, à la récupération des idées, des images, des identités fortes dans le but de les vider de leur épaisseur ? Telle l’image du Che désormais exsangue de son sens et devenue simple objet de contestation adolescente et consumériste, par exemple ?

Ça c’est plutôt un thème que j’ai développé dans le morceau « Le savoir en kimono » dans l’album « L’être humain et le réverbère ».

Peut-on dire dans l’ensemble, que cette chanson traite de l’intégrité artistique et des pièges qu’il faut apprendre à éviter pour la préserver ?

Oui. L’intégrité chez un artiste c’est surtout la cohérence entre ce qu’il est et ce qu’il fait. Pour moi, beaucoup sont intègres même sans être militants où sans avoir de conscience politique. Tant qu’ils sont cohérents, et qu’on sent la passion dans l’œuvre. Etre intégre permet de prendre plaisir avec son art sur le long terme. De ne pas voir sa passion se faner lentement. Voilà pourquoi j’ai tendance à me répéter dans mes textes, sur la notion du long terme.
Voici une phrase tirée de ce morceau qui caractérise malheureusement le parcours de 90% des artistes :
 « Adolescent : rien ne peut t’irriter. Plus tard, un crédit et un chéquier et tu as du mal à militer ».

6. Mon rap tient à un fil. Après 4 titres, les qualificatifs qui semblent revenir au travers des différentes chansons seraient : désabusé, révolté (sincèrement), exaspéré, intègre, absurdité, uniformisation des comportements, des pensées et des créations. À cette liste vient s’ajouter ici la notion de liberté : « J’veux pas un verre de liberté, j’en veux une citerne ».
Peux-tu nous donner ta définition de la liberté en général et plus particulièrement en art ? Quels en sont les contours ? 

Pour moi la liberté en art c’est la spontanéité. Moins tu connais les codes et plus tu es libre. C’est l’inverse dans la société. Dans la société, si tu connaissais les codes de toutes les classes sociales, tu pourrais t’amuser, te balader et te sentir à l’aise partout où tu te trouves. Sans transporter avec toi le comportement, le langage et le geste de ta classe sociale. Dans l’art, par contre, moins il y a de codes et de paramètres entre toi et ton œuvre, plus ton œuvre est libre. Dans la musique, l’œuvre est formatée de par sa durée qui doit correspondre au format radio, par sa forme, par l’argot pour le rap, un style de mixe pour la pop, un jeu de guitare pour le rock, etc… et puis viendront des nouvelles générations, jeunes et amateurs, arrogants et spontanés, cons et brillants à la fois, qui mettront un gros coup de pied dans nos codes et qui créeront un nouveau mouvement. Ils seront libre un petit temps, avant de créer leurs codes eux aussi, sans le vouloir.

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(Document remis)

6. Assis sur une pierre. Assis sur une pierre puis sur la lune, un va et vient entre ciel et terre : l’histoire d’une vie ?

Oui on peut dire ça.

À quoi ressemblerait le sigle Rollsrocé ? Y a-t-il un artiste à qui tu aimerais confier son design ?

Non, tant que ça reste une image c’est bien. C’est parce que je n’ai pas les moyens de le rendre vrai que c’est beau.

« Comme dirait mon comptable, c’est pour ça que tant de riches sont cons » Est-ce une citation véridique ?

Là n’est pas la question donc je ne te le dirai pas. La phrase en entier est : « Les pauvres sont trop studieux, meurent par éducation. Mon comptable dit que c’est pour ça que tant de riches sont cons ».
Ce que je veux dire c’est que ton assiduité scolaire ou même ta faculté à maîtriser la finance n’ont plus aucun rapport avec ta richesse monétaire. Sinon les prof seraient les riches et les puissants de nos sociétés. Ce n’est pas le cas bien au contraire. J’insiste sur le fait que par contre les pauvres font beaucoup d’effort et s’appliquent malgré eux à ce que les riches le restent. Les pauvres ne se rebellent pas. Ils « meurent par éducation ». Les riches sont beaucoup plus insolents et virulents. C’est seulement parce que la bourgeoisie s’est rebellée que des têtes sont tombées.

D’autres phrases du texte ramènent à ce même constat :
« On nous dit d'écouter l'école dans le ghetto, Les riches ont aussi l'école mais ont le réseau »
« Le monde n'appartient pas à ceux qui se lèvent tôt, Mais à ceux qui t'ordonnent de t'lever tôt »

7. Après avoir jeté une oreille à des titres de tes albums précédents, j’ai la sensation que les textes de « Gunz N’ Rocé » sont plus poétiques, plus abstraits, cérébraux et moins narratifs. On est moins sur du récit personnel issu du quotidien et davantage sur de l’analyse culturelle et sociétale. Un peu comme si tu avais réussi à mettre en pratique ce que tu déclames dans le titre Seul issu d’Identité en crescendo et que désormais tu avais gagné une liberté supplémentaire d’écriture. Qu’en penses-tu ?

Je ne sais pas. Ce que je peux te dire c’est que j’ai voulu être beaucoup plus spontané. Ecrire, ça je sais faire. Par contre, j’ai voulu écrire pour m’amuser, pour kiffer, pour me répéter dans les thèmes, les phrases, les mots, pour être moins « scolaire ».

8. J’ai lu que tu avais intégré des percussions du Maloya (musique réunionnaise héritée du chant des esclaves). Dans « Actuel » le nom de Kunta Kinte est cité. Est-ce une coïncidence ou est-ce que tu voulais évoquer ce thème de l’esclavage de manière subtile, comme une sorte d’ingrédient secret qui ne se révélerait qu’en  fin de dégustation ?

Non c’est une coïncidence. C’est Jp Manova qui est invité sur le morceau Actuel qui parle de Kunta Kinte.

9. Le travail de composition musicale de Gunz N’ Rocé est plus « traditionnellement » hip-hop (attention, pas péjoratif). Ça sonne groovy et enlevé mais on est sur un univers moins soul, jazzy et complexe que lors d’ Identité en crescendo. Est-ce une volonté ou un retour vers quelque chose de plus urbain qui s’est fait naturellement ?

Oui. Le rap c’est une rythmique binaire et un texte qui rime dessus, et par-dessus il y a la magie de l’interprète. Comme le blues c’est une guitare, un texte et par-dessus il y a la magie de l’interprète. Après on en fait ce qu’on veut, on fait évoluer la musique, on ramène 12 violons et un célèbre arrangeur reconnu de toute la chanson française. Pourquoi pas si ça nous amuse un temps. D’ailleurs ça fera de beaux papiers et de belles chroniques, voir des victoires et des médailles. Mais on reconnait le vrai talent d’un rappeur quand il est capable de faire du rap.

10. Voici les quelques dates de concert que l’on m’a communiqué. Y en a-t-il de nouvelles ? Peut-être en dehors de France ?

16 MARS 2013: Festival AVEC LE Temps. - Nomad' Café - Marseille
30 MARS : L'Original Festival - La Sucriere - Lyon
05 AVRIL : Le Grand Mix - Tourcoing
19 AVRIL : Les Nuits Zébrées de Radio Nova - Confort Moderne - Poitiers
20 AVRIL : Chato d'O - Blois
23 AVRIL : Banlieue Bleue - Clichy
01 JUIN : Dynamo - Pantin
15 JUIN : La Péniche - Chalon sur Saône
10 DECEMBRE : Le Bataclan - Paris

As-tu de nouveaux projets sur les rails, qu’ils soient musicaux ou autres ?

Il y a 2 projets parallèles à mes projets au nom de Rocé .
Le 1er est le groupe Hayet Captain Swing, dans lequel j’ai un rôle de musicien additionnel.
Le 2ème est le groupe Chute Libre qui est le duo JP Manova et moi-même.

11. Merci pour le temps accordé à cette interview. As-tu un dernier mot ? Un vœu ? Bref, c’est le mot de la fin et il t’appartient d’exprimer tout ce que tu veux.

Bientôt les textes et d’autres éléments, articles ou autre seront disponibles sur le site gunznroce.com.  Je n’ai pas l’intention de m’arrêter là. On dit de ma musique qu’elle est dure, mais je pense que c’est ça qui est positif car cela montre que l’on n’est pas résigné, pas mort et que l’on veut changer les choses.

Cyril


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