Les Français en retrait par rapport à la vente en ligne de médicaments

Publié le 22 avril 2013 par Damienamselem

On a vu beaucoup d’articles de presse ces jours-ci à propos d’une enquête menée par RECOTC  une société de conseil spécialisée dans la sphère de la santé.  L’enquête en question tendrait à démontrer que  deux tiers des Français seraient prêts à acheter des médicaments ne nécessitant pas de prescription ailleurs qu’en pharmacie. L’un des enseignements essentiels de cette étude, qu’on croirait tout droit subventionnée par Michel Leclerc, est que seulement une personne sur trois serait prête à acheter en ligne.

Que conclure de ces données : Des études à la méthodologie incertaine

Malheureusement, comme toutes les enquêtes réalisées sur internet, on ne peut guère tirer de conclusions des résultats.  La méthodologie de ces études présente en effet des risques de biais trop importants pour interpréter correctement les résultats. Ainsi les échantillons participants au sondage  ne sont que rarement représentatifs de l’ensemble de la population Française ; et pour cause puisqu’ils proviennent exclusivement d’internautes. Pas non plus de considérations de quotas pour ce types de sondages, ni ne vérification a minima des données informatives fournies par les sondés.

Des résultats qui ne tiennent pas compte des évolutions possibles

Comme je l’ai exposé plus haut, l’enquête a été réalisée en ligne sur une période d’une semaine (du 27/2 au 3/3) auprès de personnes résidant en France et recourant à l’automédication, c’est à dire achetant des médicaments en pharmacie sans avoir consulté au préalable de médecin, 70% des répondants déclarant se livrer à des dépenses d’auto-médication entre 2 et 6 fois l’an.  Mais comme nous allons le voir, que le nombre de personnes se déclarant prêtes à acheter sur internet des médicaments OTC soit si faible, n’est guère étonnant.

Une communication peu rigoureuse sur la notion de contrefaçon

1) Il n’existe toujours pas de cadre légal autorisant la vente en ligne de médicaments, et imposant aux pharmacies en ligne un label public garantissant aux consommateurs,  qu’ils peuvent acheter en toute confiance les médicaments sur ce site. Nous partons ici du principe, que les pharmaciens conservent le monopole de la vente en ligne, et assortissent donc les ventes d’un conseil, comme ils doivent d’ailleurs le faire en officine.
2) De nombreux reportages ont mis en évidence de manière anxiogène et pas toujours très rigoureuse les risques liés à la contrefaçon des médicaments,  mêmes son de cloche bien évidemment avec les nombreuses campagnes de communication des entreprises de l’industrie pharmaceutique. Des entreprises qui se gardaient bien d’ailleurs de trop parler – quand ils communiquaient sur les chiffres de saisies des contrefaçons -  de la différence existant entre les contrefaçons qui constituent des médicaments utilisables  (les génériques d’anti-retroviraux fabriqués en Inde et commercialisés en Afrique font partie de cette catégorie par exemple) et le piratage pur et simple, qui consiste à vendre  pour des médicaments des produits qui n’en sont pas et qui sont donc préjudiciables à la santé eux, mais qui ne représente qu’une faible part de ce qui est qualifié de contrefaçons.

Rebonds sur l’actualité

Cette question du choix du mode d’achat revient d’autant plus sur le devant de la scène que plusieurs projets de vente en ligne viennent de voir le jour, d’abord la start-up 1001pharmacies, qui sert de plate-forme logistique de commande pour permettre aux internautes de commander dans toute la France, les médicaments leur étant ensuite livrés par les pharmaciens inscrits dans le système.  Puis on a vu par ailleurs d’autres initiatives individuelles émanant de pharmaciens, certains bénéficiant de l’autorisation de l’ordre des pharmaciens, d’autres non (et   ne redoutant pas de s’exposer à ses foudres ), qui n’ont pas craint de mettre en place la vente en ligne avant même l’adoption d’un cadre légal.  Une liste des sites légaux est mise à disposition des internautes par l’Ordre national des Pharmaciens.

Le jeu en vaut-il la chandelle?

Source de vifs débats, le commerce en ligne de médicaments (non soumis à prescription) représente-t-il un marché potentiel conséquent ? Pas si sûr. Les Français si l’on en croit les résultats de l’étude dont j’ai parlé plus haut,  seraient davantage prêts à acheter ces produits… mais au supermarché.

Fidélité aux points de vente physiques

En effet, si la perspective d’acheter des médicament sans ordonnance ailleurs qu’en pharmacie séduit 2 individus sur 3,  les personnes interrogées semblent attachées au magasin physique. Ainsi, 58,7% des sondés iraient volontiers acheter des médicaments sans ordonnance en hypermarché et dans le même temps, 2 personnes sur 3 ne seraient pas prêtes à les acheter en ligne.  Ce sont le manque de conseil et le risque de contrefaçon qui cristalliseraient la plupart des réticences des Français quant à l’achat de médicaments en ligne, notent les auteurs de l’enquête.  Ainsi la peur de ne pas être capable de choisir par eux même le bon médicament est une donnée forte exprimée par les sondés ; l’argument principal en faveur de la vente en ligne étant la possibilité de comparer les prix, et idéalement de pouvoir faire des économies sur l’automédication. Autre enseignement et non des moindres en faveur des solutions du type 1001pharmacies, la moitié des sondés se déclarent prêt à privilégier leur pharmacie si les médicaments étaient disponible tant en grande surface que sur Internet.

Pressions pour vendre en supermarché

Pour l’heure, la vente de médicaments en grande surface reste interdite en France, malgré les pressions répétées exercées par Leclerc depuis plusieurs années. L’image véhiculée par les magasins Leclerc est bien entendu quelque peu trompeuse, Michel Leclerc ayant souvent adopté la posture d’un défenseur du pouvoir d’achat des Français. Mais les magasins Leclerc veulent vendre des médicaments en supermarchés probablement moins pour soulager le porte-feuille des Français, que pour tout simplement pouvoir augmenter leurs bénéfices. Se pose bien sûr la question du monopole des pharmaciens, et surtout celle du conseil qu’ils sont censés dispenser pour les médicaments d’automédication et qu’ils ne dispensent d’ailleurs pas toujours : Il suffit de voir la queue se pressant derrière certaines pharmacies (hard discount par exemple) pour comprendre que de toute façon les personnels de comptoirs n’ont tout simplement pas le temps pour dispenser ce conseil… On imagine que les choses ne seraient pas plus efficaces sur ce point en hypermarché, au vu des taux de fréquentation enregistrés…

La question de la prise en charge

Bien entendu derrière cette question de l’automédication et de la vente en ligne ou en hypers, se trouve une donnée que s’empressent d’oublier les industriels du médicament, qui poussent tant qu’il peuvent en faveur de l’automédication (et pour cause elle constitue l’un des rares réservoir de croissance à leur disposition) ; c’est celle de la prise en charge.  Si un certain nombre des médicaments concernés ne fait plus l’objet d’aucun remboursement, car étant passé à la moulinette des différentes vagues de déremboursements initiées au cour des dix dernières années ; d’autres par contre sont toujours remboursés, et il n’y a toujours pas de solution à grande échelle pour assurer un remboursement aux millions de Français pratiquant avec les encouragements tant des pouvoirs publics que des mutuelles ou des industries du médicament le recours à l’automédication…