Tourné dans un quartier insalubre de Séoul qui est voué à la démolition, Pieta (2012) de Kim Ki-duk s’ouvre à nous de façon sinistre. Tout y est alors gris et sale, glauque et métallique.
Homme solitaire et sans états d'âme, Kang-do récupère l’argent prêté à des clients – pour la plupart, des commerçants qui survivent tant bien que mal – pour le compte d’une société. Alors que ces derniers ne peuvent rembourser ces prêts et leurs intérêts faramineux, leur bourreau les incite à se mutiler pour toucher des primes d'assurances. La vie de Kang-do se résume à une routine violente, qui se voit chambouler le jour où une femme prétend être sa mère, qui l’aurait abandonné à sa naissance…
Pieta n’est pas un grand film. Il ne fait pas partie des œuvres notables de son auteur. Et pourtant, il se dégage de Pieta une aura puissante et captivante. Certes, le film est rebutant, maladroit voire inégal par moment. Mais il est à l’image d’une société en pleine crise économique qui broie les âmes qui l’habitent. Cette société, ses dérives et ses déviants sont incarnés par l’acteur Lee Jeong-jin. Son personnage, Kang-do est un homme sauvage, cruel et ne faisant preuve d’aucun sentiment. Une bête assoiffée de sang qui se traine dans les ruelles exiguës de ce quartier abandonné, véritable Enfer pour ses résidents. Ce Cerbère y traine ce corps lourd, sentinelle sadique armée d’un couteau qui récupère l’argent des dettes. Il souffre de l’abandon d’une mère qu’il fait payer aux contractants, sans aucun scrupule, sans humanité. Le réalisme morbide qui se dégage de Pieta se veut cru et met mal à l’aise. La violence y est froide à l’image du métal omniprésent (l’aspect des machines, leur bruit, leur force mécanique), un des fils conducteur du film. Une violence le plus souvent off qui touche aussi bien physiquement que psychologiquement. Nous sommes emprisonnés dans un cadre vétuste tout comme ses personnages, une prison à ciel ouvert, enfermés dans une bulle de métal malsaine. Il y a quelque chose de malade dans cette œuvre de cinéma. Elle s’avère à la fois belle et indigeste. On y parle de liens filiaux, on touche à l’inceste et à la torture. La plupart des séquences de Pieta choquent, créent le malaise et parviennent à toucher jusqu’à une certaine mesure. C’est à l’image de cette mère, Mi-seon retrouvant un fils qu’elle a jadis abandonné à la naissance. Un fils qui semble être le diable incarné. L’actrice Jo Min-soo joue avec perfection cette âme meurtrie qui tente d’expier les pêchers de son fils-démon, de son fils-suicidé. Dès lors, il s’en dégage une force émotionnelle qui met les sens du spectateur en alerte, plus encore avec l’humanisation du monstre.
Ce dix-huitième long-métrage de Kim Ki-duk est un œuvre brutale et sans concession sur la rédemption et la vengeance. Pieta permet à son auteur de retrouver ainsi un semblant d’inventivité et de remonter ainsi, tout doucement, cette pente qui caractérisait une déchéance en mal d’inspiration et d’un mal être. Il renoue avec un cinéma qui le caractérise, évitant l’auto-parodie et livrant pour l’occasion une œuvre complexe et convaincante.
A noter que le film fut récompensé à la Mostra de Venise 2012 par un Lion d’Or.
I.D.