Ce matin, je suis parti comme désormais à mon habitude, juste après huit heure, de mon hôtel de bord de plage. J'y ai pris un petit déjeuner où pour la première fois était proposé du café, même si l'établissement reste tout à fait japonais. Le soleil brille fort et comme mon parcours du jour se dessine en bord de mer, je ressors les lunettes teintées, la casquette et même la crème solaire!
Mes premiers me mènent vite, à un peu moins de deux kilomètres après mon départ, au temple 23. Il est situé dans la localité d'Hiwasa. Connu pour ses escaliers qui permettent de conjurer le mauvais sort, notamment pour les deux années les susceptibles d'être malchanceuses selon les japonais: 33 ans pour les femmes, 42 pour les hommes... n'ayant pas atteint l'âge qui me concerne, je verrai bien. Je ne sais pas si je peux considérer que mes 33 et 34 furent chanceux ou pas, cependant.
Mais je marche maintenant vers mes 35 ans et ne tarde pas, après avoir visité le temple et rencontré à nouveau mon cycliste d'hier, à reprendre ma circonvolution autour de Shikoku. Pas d'autres temples au programme aujourd'hui, le prochain est à plus de 85 kilomètres de là. Après quelques kilomètres un peu ennuyeux pour sortir de la ville, je gagne un carrefour où je décide de faire une infidélité au parcours du pèlerin classique, qui suit la terrible nationale 55. Je prends une autre route, certes bitumée, mais de toute beauté. La Minami Awa Sun light est un itinéraire de 20 kilomètres connu pour ses panoramas splendides sur la mer et le littoral. Par le temps splendide qui y règne aujourd'hui, le spectacle est effectivement de toute beauté. Je marche à un bon rythme tout en savourant ces paysages. Une côte très découpée, vallonnée de milles collines densément boisées où les verts tendre des feuillus jouent avec les teintes plus sombres des conifères, et l'océan, à perte de vue, ponctué d'îles, accompagnent mes pas. Certes cela allonge pas mal mon parcours mais je ne suis pas du tout mécontent de mon choix. Quelques balisages et indications me confirment d'ailleurs que je ne suis pas le seul à l'emprunter sur le chemin des temples. On pourrait organiser une superbe course sur route ou une spectaculaire épreuve cycliste ici, car le parcours est aussi très vallonné, j'enchaîne montées et descentes avec pour compagnie quelques rapaces qui tournoient dans le ciel, ma marche étant à peine troublée par un trafic routier très réduit.
Après ce beau moment, j'arrive à point nommé dans la petite ville de Mugi, où je profite d'un centre commercial pour m'offrir une pause. Café et viennoiserie, les premières que je vois au Japon. Vu l'énergie que je dépense, je peux me le permettre.
Cette courte pause m'a fait du bien et je repars encore d'un bon pas. Malheureusement, le parcours rencontre à nouveau la nationale. Il joue cependant à cache-cache avec cette route trop fréquentée. Le balisage imagine intelligemment des contournements dès que cela est possible. Je marche ainsi souvent sur de petits chemins boisés, et bien pentus, ou même sur des plages de galets fins, le regard attiré par la mer. Ces plages ne sont guère encombrées par les baigneurs. L'eau est sans doute encore trop froide. Je n'y croise que quelques pêcheurs, qui me gratifient bien entendu d'un "Kon ichiwa".
Mes deux dernières heures de marche de la journée sont toutefois un peu plus pénibles. Je retrouve trop souvent la nationale, qui s'éloigne en plus du beau littoral. L'automobile, et tout ce qui s'y rattache, garage, concession et stations d'essence, est un puissant antidote à la rêverie et à la poésie. Je commence aussi à fatiguer un peu. Mes pieds, même si ils semblent plutôt bien s'adapter, s'agacent un peu de ce traitement. Je vais sans doute protéger un peu plus mes talons encore. Et puis neuf heures de marche soutenue sans grosse interruption (j'ai du m'arrêter une demi-heure en tout aujourd'hui, en l'absence de temple à visiter), c'est tout de même pas mal.
Lorsque j'atteins la ville de Shishikui, je me mets donc en quête d'un hébergement. Je tente d'abords une coquette pension située à l'abris d'une jolie crique, mais c'est un peu chère. Le patron, qui parle anglais me conseille très gentiment un établissement plus modeste de bord de route. Après un détour, je rejoins donc la nationale et trouve mon munshuku de ce soir. La chambre est grande, et le wifi fonctionne, c'est tout propre, bref de quoi se détendre et se reposer tout de même.
Je vais dîner un peu plus loin, de l'autre côté de la route. Un café restaurant où le couple de propriétaires est très accueillant. Ils me demandent bien sûr d'où je viens, m'expliquent qu'ils connaissent un peu les environs, notamment le lac Léman, et m'enjoignent de leur montrer tout ça sur Google map, leur ordinateur attendant sur le comptoir. C'est donc parti pour un petit tour du monde virtuel où je parviens même à localiser mon petit appartement, dont je ne sais d'ailleurs pas si il restera longtemps mon logement, mais bon ça je m'abstiens d'essayer de leur expliquer ce soir. Lorsque je prends congé de cette gentille compagnie, la dame m'offre quelques gâteaux fabrication maison. Une marque de gentillesse de plus, comme j'en vois chaque jour depuis que je marche ici. Le Japon, où les risques naturels font partis du quotidien (je rencontre de nombreux panneaux indiquant les évacuations en cas de Tsunami), certes aussi complètement calmé de ses démons belliqueux par les évènements que l'on sait, a semble t il aboli ou presque le risque humain. Je n'ai pour l'instant pas rencontré ni même assisté à une quelconque réaction hostile, de colère, de violence ou d'agacement. Que des sourires, du respect, du calme. C'est bien agréable.