« Pour faire ce que tu fais, il te faut marcher.
Marcher, c’est ce qui attire les mots à toi, ce qui te permet d’entendre les
rythmes des mots à mesure que tu les écris dans ta tête. Un pied en avant puis
l’autre, le double battement de tambour de ton cœur. Deux yeux, deux oreilles,
deux bras, deux jambes, deux pieds. Ceci, puis cela. Cela, puis ceci. Écrire
commence dans le corps, et même si les mots ont un sens, s’ils peuvent parfois
en avoir un, c’est dans la musique des mots que commence ce sens. Tu t’assieds
à ton bureau pour noter les mots, mais dans ta tête tu es encore en train de
marcher, toujours en train de marcher, et ce que tu entends, c’est le rythme de
ton cœur. Mandelstam : “Je me demande combien de paires de sandales Empédocle a
usées en travaillant sur la Commedia.”. L’écriture comme forme inférieure de
danse.”
Paul Auster, Chronique d’hiver, Actes
Sud, 2013, p 246
[choix d’Isabelle Baladine Howald]