Manger ou conduire, il faut choisir…

Publié le 17 avril 2008 par Nicosauvage

Bagarres mortelles pour le pain en Egypte, émeutes en Haïti. A l’heure où deux milliards d’êtres humains sont mal nourris et 800 millions sont sous-alimentés, les émeutes de la faim se multiplient sur la planète. Succession de mauvaises récoltes, augmentation de la population mondiale, évolution des régimes alimentaires de pays émergents tels que l’Inde et la Chine. Voici quelques uns des facteurs qui expliqueraient la hausse des prix des principales denrées alimentaires. Mais le facteur le plus montré du doigt semblerait être l’essor des agrocarburants…

En tant que consommateurs, nous nous sommes bien évidemment rendus compte de la hausse des prix de certains produits alimentaires ces derniers temps. A l’échelle mondiale, par exemple, le prix des céréales a augmenté en 2007 de 42 % et celui des produits laitiers de 80%. Afin d’expliquer cette hausse des prix, l’OCDE (Organisation for Economic Co-operation and Development) a répertorié certains facteurs tels qu’une série de mauvaises récoltes et l’augmentation de la population mondiale. Ces dernières sont également accompagnées d’évolution de la consommation en Chine et en Inde. Ces deux pays s’ouvrent en effet actuellement aux modes de consommation occidentaux et une partie de leurs populations change ainsi ses habitudes alimentaires. La part des produits d’origine animale (lait et viande) est en nette augmentation dans la composition de ces nouveaux régimes alimentaires « à l’occidental » et qui dit plus de viande dit plus de céréales pour nourrir les animaux.

Enfin, nous assistons actuellement à un engouement sans précèdent pour les biocarburants de la part de nombreux gouvernements. L’Union Européenne souhaite en effet, d’ici à 2020, assurer 10% de ses besoins énergétiques pour le transport grâce aux agrocarburants. Cet objectif semble cependant peu réaliste puisqu’il impliquerait la conversion de presque trois quarts des terres agricoles (très exactement 72%) à des fins énergétiques. En d’autres termes, nous aurions du biocarburant bon marché pour prendre nos voitures et allez faire nos courses, mais il n’y aurait malheureusement plus rien sur les rayons. Les Etats-Unis et la Chine, quant à elles, ne font guère preuve de plus de réalisme car elles ont également déclarer vouloir assurer une partie relativement importante de leurs besoins en agrocarburants (respectivement 5 % d’ici à 2012 et 15 % d’ici à 2010). Les pays en développement s’intéressent également de très près à cette manne à l’image du Sénégal qui a récemment crée un ministère des agrocarburants alors que le pays a récemment été confronté a des émeutes de la faim.

C’est dans ce contexte que de hauts responsables des Nations Unis posent aujourd’hui la question de savoir si la sécurité alimentaire mondiale est menacée par ce phénomène. Selon Josette Sheeran, directrice du Programme Alimentaire Mondial (PAM), la conversion de terres agricoles à des fins énergétiques se fait au détriment de la sécurité alimentaire alors qu’il est estimé qu’une augmentation de 50% de la production agricole serait nécessaire d’ici a 2030 afin de subvenir aux besoins alimentaires de la population mondiale. De son côté, le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler, estime que « la fabrication de biocarburants est aujourd’hui un crime contre l’humanité ». Jean Ziegler dénonce en fait plus spécifiquement les subventions aux cultures énergétiques dans les pays occidentaux : « Quand on lance, aux Etats-Unis, grâce à six milliards de subventions, une politique de biocarburant qui draine 138 millions de tonnes de maïs hors du marché alimentaire, on jette les bases d’un crime contre l’humanité pour sa propre soif de carburant ». Les cultures énergétiques étant subventionnées, elles sont donc très rentables et il n’est pas surprenant de les voir se développer au détriment des cultures alimentaires. Aujourd’hui, les principaux végétaux utilisés pour la fabrication de biocarburants sont le soja, le blé, le colza, le maïs ou la betterave ; autant d’aliments qui ne finiront pas dans l’assiette des gens.

Alors je pose la question : Manger ou conduire, faut-il choisir ? Et bien oui, l’un est besoin vital, l’autre ne l’est pas. Dans un contexte où la sécurité alimentaire mondiale est menacée, il faut encadrer l’essor des biocarburants avec précaution et repenser l’agriculture de demain. Le 15 Avril dernier, des experts ont d’ailleurs publié un rapport appelant à soutenir les petits paysans et à intensifier les recherches en agroécologie et considérant les biocarburants comme une menace potentielle aux cultures alimentaires, qu’elles soient intensives, extensives ou vivrières.

Les agrocarburants ou biocarburants représentent un possible alternative énergétique à long terme mais leur essor actuel provoque plus de problèmes que de solutions. Ils possèdent certes des avantages car ils émettent moins de dioxyde de carbone lors de leur consommation que les énergies fossiles et ils sont de surcroît renouvelables. Cependant, leur système de production doit être considérablement amélioré car les émissions de ce même dioxyde carbone sont également importantes lors du processus de fabrication (balance énergétique négative dans le cas de l’éthanol) et les techniques visant à utiliser uniquement les déchets agricoles pour produire « l’or vert » sont loin d’être au point…

Pour en savoir plus :
- Bagarres mortelles pour le pain en Egypte (rue89.com)
- Mobilisation internationale contre la famine en Haïti (Lemonde.fr)
- La montée en puissance des agrocarburants risque d’exacerber les pénuries alimentaires (Lemonde.fr)
- Les biocarburants accusés d’exacerber la crise alimentaire (Lemonde.fr)
- Des experts appellent à repenser l’agriculture de demain (Lemonde.fr)
- La hausse des prix nourrit la révolte des pays pauvres (Liberation.fr)

Je vous conseille également de re-écouter l’émission d’Alain Bedouet « le téléphone sonne » du 16 Avril 2008 sur France Inter sur le même sujet.

Et enfin, puisque vous avez été sages, vous avez le droit a une petite vidéo (extrait de l’émission Le dessous des cartes sur Arte) :