Cet article est gratuit (ou presque)

Publié le 17 avril 2008 par Collectifnrv

« La logique, c'est l'argent de l'esprit. »

Marx

« Les idées, aussi radicales soient-elles, ne transportent pas avec elles leurs conditions d'efficacité. »

Hayek

« Je te do-o-onne. »

JJ Goldman

Chris Anderson, rédacteur en chef du magazine Wired, dans un article récent « Free! Why $0.00 Is the Future of Business », prétendument décapant, affirme l'inéluctable devenir « gratuit » de l'industrie culturelle à l'ère du numérique. Ainsi, Anderson affirme-t-il : "Il est désormais clair que tout ce que le numérique touche évolue vers la gratuité." L'éditorialiste énumère alors quelques modèles économiques, basés sur une certaine forme de gratuité. Le « freemium », version gratuite d’un logiciel ou accès restreint à un service, est proposé également en version complète et payante. Les « subventions croisées », un produit étant proposé gratuitement mais portant en lui-même l’incitation à acquérir sa « part manquante » (le téléphone gratuit mais l’abonnement payant.) « L’économie du don », « le coût marginal nul » et autres modes de financement sont ainsi évoqués. Il s’agit donc, dans cette « nouvelle » géographie du business, de générer des niches profitables dans un paysage apparemment dénué de sentiment marchand. Le modèle classique de l’échange marchand, simple, produit contre rétribution, se voit alors surpassé par un réseau complexe dans lequel des « îlots » de profitabilité attendent l’individu dans sa déambulation. Dans une économie de la gratuité (donc de l’abondance), la rareté devient l’argent, le temps, la fidélité du consommateur et c’est cette rareté qu’il convient de capter. Anderson : « Le monde du gratuit a pour objet de capter ces nouvelles raretés, au nom d’un modèle d’affaires qui sera identifié par la suite. »

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On peut également évoquer l’article de Kevin Kelly, « Better Than Free », qui appréhende Internet comme une machine à copier, donc à produire de la gratuité. L’enjeu est alors de générer de « l’incopiable », une richesse particulière qui puisse être vendable. Il dégage ainsi 8 valeurs incopiables qu’il appelle « génératrices.» Kelly : « En réalité, ce sont 8 choses qui sont mieux que gratuit. 8 valeurs incopiables. Appelons-les « génératrices.» Une valeur génératrice est une qualité ou un attribut qui doit être généré, cultivé, entretenu. Une génératrice ne peut être copiée, clonée, contrefaite ou reproduite. Elle est unique, à un endroit donné, à un instant t. Dans le domaine numérique, les qualités génératrices ajoutent de la valeur aux copies gratuites et sont donc quelque chose pouvant être vendu.»

La suite

On pourra aussi, éventuellement, lire ce « Les différents modèles économiques, ou modèles d'affaires, utilisés par les logiciels libres » ici :

Nous voyons bien qu’il s’agit de développer des modèles de rentabilité dans ce qu’il est coutumier de nommer « le capitalisme cognitif.» L’idée de profit, de rentabilité n’est en rien expulsée mais demeure, plus que jamais, comme moteur et comme modèle d’organisation.

Mais on pourrait également considérer la gratuité comme un animal qui avance, avale tout, comme un horizon. Le bouleversement ne serait pas de dégager de la « profitabilité » dans la marche du progrès technique, dans la baisse des coûts de production mais simplement d’anéantir le rapport marchand. La gratuité généralisée et irréductible. L’objet n’est ni vendu, ni échangé contre un autre, ni donné, ni cédé, il est disponible. Il est à saisir, c'est sa « nature. ».

Il va de soi que la notion, l'idée de travail en est bouleversée. Le travail se pose comme ce qui lie les individus au temps. La production d'objets manufacturés autant que l'élaboration de formes d'art ou la prise de parole s'intègrent dans « l'emploi » du temps (du temps de l'emploi à l'emploi du temps), dans ce que l'on fait de ce temps qui coule et dans quelle mesure il est possible de le détourner.

Le rapport au bien, matériel ou immatériel, sans médiation (ou plus exactement un renouvellement de la médiation de par la désintégration du truchement marchand), peut logiquement créer une raréfaction des ressources, finalement une annihilation des conditions d'apparition de la chose-même. Le véritable « monde du gratuit » ne capte pas la rareté, « l’incopiable » à des fins de commerce, mais a comme dessein d’écarter la rareté, de réévaluer la question de l'entropie. En somme, d'élaborer une relation renouvelée à la nature. Ce déplacement de la médiation entre l'individu et l'objet vers une reformulation du rapport entre nature et société ne peut s'inscrire que dans une (des) politique(s) de la nature.

Ce déplacement/dépassement vise à surmonter le dualisme nature/politique (les faits et les valeurs). Il s'agit de voir la nature « s'engager en politique. » C'est la construction d'un monde commun, une installation gigantesque, qui s'affirme, engageant social et sciences, nature et éthique, et dynamique ; dynamique dans le sens où ça bouge, crée des liens et les défait, se confronte.

En somme, la constitution d'un Collectif, pour reprendre le mot de Bruno Latour.

Un seul monde ; vraiment.

Ni vraiment un, ni vraiment tout. Grouillant, aux contours mouvants, sans cesse perturbé par les actants, humains et non-humains.

Liens convergents, divergents...

http://infokiosques.net/IMG/pdf/Marx-CaractFeticheMarchandise.pdf

http://www.revuedumauss.com/

http://www.bruno-latour.fr/

http://www.petersloterdijk.net/french/

http://www.centerparcs.fr/FR/FR/accueil

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