Il règne, à l’issue du Forum méditerranéen de la jeunesse, un parfum de frustration. Pendant 3 jours, du 19 au 21 avril, dans les allées d’un centre de vacances de Monastir (Tunisie), des jeunes militants et responsables associatifs tunisiens, égyptiens, libyens, algériens, marocains et français étaient réunis pour faire émerger les projets des sociétés civiles de leurs pays respectifs. Cette 3e édition d’une rencontre née dans les semaines qui ont suivi la révolution de jasmin a surtout vu une partie de la jeunesse remettre en cause la règle imposée par les organisateurs.
Il y a dans ces jeunes, qui revendiquent les révolutions du printemps arabe comme leur œuvre, une soif de parler, d’intervenir, de décider. Mais aussi de confronter les points de vue, les expériences. A l’ouverture du forum, alors que les responsables politiques se font attendre pendant près d’une heure, ils ne perdent pas de temps et entament leurs propres discussions. Il faut les rappeler à l’ordre 5 fois pour qu’ils finissent par s’asseoir. Ce n’est vraiment pas une simple « manifestation de l’énergie de la jeunesse », selon le propos de l’animateur du Forum, mais bien la volonté de rentrer dans le vif de leur sujet.
D’autant qu’ils sont, lors de la cérémonie d’ouverture, exclus de la tribune, tribune dont la seule femme, une quadra énergique, coordinatrice des associations tunisiennes organisatrices de Monastir 2013, est la plus jeune. Les jeunes tunisiens ne se laissent pas faire et bousculent encore le cadre. Lorsque le ministre local des Affaires sociales prend la parole, il est hué puis interpellé depuis la salle par la présidente de la ligue humaniste tunisienne, qui lui reproche l’exclusion des moins de 35 ans d’un certain nombre d’instances politiques. Malgré une maîtrise certaine de la rhétorique, le ministre quitte la salle sous des huées renouvelées.
La suite du Forum sera plus calme, d’une certaine manière, d’autant que les responsables politiques tunisiens n’y mettront plus les pieds. Les jeunes présents se bousculent pour prendre la parole. A chaque appel à questionner les orateurs c’est une forêt de mains qui se lèvent. Et pas pour questionner. Un jeune responsable d’une association écologique finit par récupérer le micro et se lance dans une longue tirade. Au modérateur qui l’enjoint à poser sa question, il répond, déconcertant de franchise : « Je suis venu pour parler, pas pour poser des questions ! ». Le ton est donc donné dès le vendredi. Une partie de la jeunesse, francophile et progressiste, en grande majorité opposée aux partis religieux qui exercent ou sont associés au pouvoir, a donc décidé de jouir pleinement d’une liberté d’expression toute neuve mais encore toute légale et pas forcément traduites dans les faits.
Ils font l’expérience du « cause toujours », qui a remplacé le « ferme ta gueule » en vogue dans la plupart des pays présents au forum. Et ils ne semblent pas s’en satisfaire. Le nombre de participants aux ateliers portant sur la citoyenneté illustre cette réalité. Il y a pourtant trois autres thèmes forts : les droits et la santé des femmes, l’environnement, l’économie sociale et solidaire. Mais la citoyenneté rejaillit dans chacun des ateliers qui structurent le travail du forum.
Ces ateliers doivent, selon les organisateurs, accouchés de projets qui bénéficieront de financements de la part de l’Institut français, organisme associé à l’ambassade à l’origine du forum et dont le rôle a évolué ces dernières années. Il propose désormais un soutien aux actions de la société civile, ou du moins de la partie de cette société civile qui répond aux objectifs de la France dans la région. Les associatifs venus du « grand Maghreb » ne sont pas dupes et certains sont prêts à jouer le jeu pour obtenir le maximum de fonds possibles. Mais d’autres refusent la règle et maintiennent leurs propres projets. Ils cherchent donc, entre les séances de travail, les interlocuteurs disposés à devenir des partenaires. A croire qu’ils ont plus besoin d’intelligence collective que d’espèces sonnantes et trébuchantes.
Et qu’on leur coupe la parole quand ils exposent leurs rêves en séance collective de restitution, la colère fuse. « Ca ne se passera pas comme ça », fulmine le facilitateur de l’atelier consacré à l’art et aux médias dans la citoyenneté. Il a vu sa présentation écourtée alors qu’il n’avait présenté que 4 des 8 projets élaborés par les participants à son groupe de travail. En quittant la tribune, il file droit sur le directeur de l’Institut français. La discussion est vive alors que le jeune homme, documentariste et cinéaste, s’est révélé, au fil du week-end, comme un vrai pragmatique insistant sur la nécessité de coopérations entre porteurs de projets pour maximaliser les chances d’obtenir le soutien des partenaires institutionnels.
A l’évidence, cette jeunesse-là n’a pas sa langue dans sa poche et a bien décidé de bousculer les règles imposées par les « adultes ». Règles qui, jusqu’au printemps arabe, n’ont eu d’effet que de les museler. A l’image d’Amira Yahyaoui, présidente d’une ONG tunisienne, qui avait invité, dès vendredi, les participants à bousculer la donne : « Soyez arrogants ! N’attendez pas la place, prenez-la ! ». Elle a été entendue et suivie donnant une vraie fraîcheur à un dialogue franco-méditerranéen jusqu’alors marqué par un paternalisme de mauvaise facture.
———————————-
Bonus vidéo : Gultrah Sound System « Lamb »