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Boston Nigéria

Publié le 21 avril 2013 par Egea
  • Islam
  • Terrorisme

L'actualité de la semaine nous a parlé de "terrorisme". En effet, d’une part, une famille française qui avait été enlevée il y a deux mois au Cameroun puis déplacée au Nigéria par un sous-groupe du mouvement Boko Haram vient d'être libérée. D'autre part, à la suite d'un attentat sur le marathon de Boston, deux frères américains d’origine Tchétchène ont été arrêté (l'un mort, l'autre blessé). A chaque fois, du "terrorisme". A chaque fois, "islamique". Et si ces catégories ne signifiaient pas grand chose ?

Boston Nigéria
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Nigéria. Je relis les doutes que j'exprimais il y a deux mois sur le lien que certains faisaient entre Mali et Cameroun. Déjà, je relativisais le deux événements, expliquant que les mouvements islamistes du nord Mali (ou du sud Mali, mais c'est une autre histoire) avaient peu de choses à voir avec Boko Haram, et qui plus est avec l'enlèvement. On m’avait gentiment expliqué en privé que je n'y connaissais rien, et que les spécialistes, eux, savaient. Bon. Ben j'avais raison.

Surtout qu'en l'espèce, ce n'est pas vraiment Boko Haram qui a organisé, mais visiblement un groupe plus ou moins crapuleux, qui visait une autre cible, a pris celle-là par hasard, ce qui n'a été "adoubé" que du bout des lèvres par Boko Haram. Je cite : ""On a vite vu, ajoute le même diplomate, que les enlèvements ne relevaient pas d'un business, pour eux, à la différence d'AQMI."" et plus loin : "Le groupe des preneurs d'otages n'appartenait pas au cœur de la mouvance de Boko Haram, qui n'a assumé publiquement cet enlèvement que postérieurement. Les ravisseurs ont semblé, selon les experts, être des marginaux, déclassés socialement, ce qui a facilité la tâche des personnes chargées de faire libérer cette famille. "

  • Conclusion partielle : cet enlèvement a vraiment peu de choses à voir avec le terrorisme. Et donc avec le terrorisme islamiste.
  • Conclusion partielle n°2 : Tout enlèvement n'est pas forcément du terrorisme.

Boston. Egéa n'a pas cédé à "l'émotion médiatique" de la semaine. La sur-réaction (dans tous les sens du terme) empêchait toute analyse rationnelle. Que voit on, maintenant que l'on connaît les auteurs ? Deux individus, installés depuis longtemps, et qui semblent s'être rapidement et récemment radicalisés. Qui ont bricolé une bombe et pris pour cible "la foule américaine". Du jihadisme ? oui, si on veut. Cela mérite toutefois quelques explications.

Que l'islam soit devenu une religion du refus, de la remise en cause de l'ordre mondial, voici une nouveauté. Il est loin, le temps rappelé l'autre soir par Hervé Juvin (j'y reviendrai quelque jour) qui, citant Malraux, évoquait à quel point le chant du muezzin évoquait la paix immuable et endormie d'un ordre pluriséculaire (je cite de mémoire). Aujourd’hui, cet islam là n'est plus, bouleversé par la mondialisation. Sa radicalisation est une réaction à la modernité, mais elle est aussi le fait de la modernité.

Du coup, il s'universalise, et n'est donc plus "actionné" par une méta organisation, Al Qaida ou autre, qui tirerait les ficelles. On est loin du fantasme de l'organisation adverse que nous a donné à voir la série des James Bond : cette représentation est fausse, dans les films comme dans la vie réelle. Il reste que le "jihad" demeure une formidable propagande, un contre-récit, un chant des opprimés et des déclassés. Tous ceux qui se sentent en marge et qui ont perdu leurs racines peuvent y trouver raison d'être et fierté. C'est peut-être idiot de votre point de vue, mais cela explique énormément de choses.

Et tout d'abord, que cette religion décrite comme collective laisse, de plus en plus, la part à des initiatives individuelles, qui marquent paradoxalement le succès de l'influence occidentale, ultra individualiste. A cette aune, le jihad serait la conjonction du succès de l’individualisme occidental, et de réactions de refus, localisées. Regardez à quel point ce sont des individus qui quittent leur pays (Tunisie, Égypte ou Europe ou ailleurs) pour aller se "battre", dans une sorte de "Brigades internationales" d'un nouveau genre, sur les fronts identifiés : Tchétchénie avant-hier, Afghanistan ou Irak hier, Mali ou Syrie aujourd’hui. Décisions individuelles comme en 1936, destinées à se battre dans une logique de contre-culture révolutionnaire comme en 1936. Hier ils étaient communistes, aujourd'hui ils sont jihadistes.

C'est pourquoi les deux frères tchétchènes qui ont fait exploser les cocottes minute sont typiques : tout à fait Américains (individualistes), et tout à fait jihadistes, puisque voulant créer, hic et nunc, les conditions de leur combat et de leur refus. Sans rien demander à personne. Comme à Londres ou ailleurs : des insérés dans le modèle occidental qui ne s'y retrouvent plus et adhèrent au seul contre-récit disponible.

Du coup, le "terrorisme islamique" ne serait plus aussi simplement l'ennemi que l'on veut fabriquer. Il n'est qu'un instrument, absorbé et recyclé, ici par des individus, là par des groupes localisés qui s'en servent, temporairement, parfois pour attirer l'attention. Toujours divers et bien moins unique que ne veut nous le dire le discours unifiant, simplificateur et finalement rassurant débité à grosses tranches.

  • Conclusion partielle n° 3 : le terrorisme n'est qu'un procédé de combat, au service de multiples causes. Le "terrorisme" en soi ne peut être l'ennemi.
  • Conclusion partielle n°4 : l'islam n'est plus ce qu'il a été. Il a été bouleversé par la modernité mondialisée et on ne saurait unifier ses différentes manifestations. Ce qui rend le travail des services d'autant plus difficile qu'il n'ont pas un phénomène unique, mais accumulation de phénomènes qui ne partagent qu'un nom en commun.

Réf : le billet d'Abou Djaffar un peu sur le même sujet.

O. Kempf


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