Magazine Poésie
à la mémoire de Jay Kashiwamura
Il neige doucement sur Chicago
et un homme vient de faire sa lessive de la semaine.
Il entre dans le crépuscule du début de soirée,
portant un sac de courses froissé
rempli de vêtements impeccablement pliés,
et, un bref instant, il savoure
la sensation du linge chaud et du papier plissé
comme de la flanelle contre ses mains sans gants.
Il y a un rougoiement à la Rembrandt sur son visage,
un triangle d'orange dans le creux de sa joue
alors qu'un dernier rayon du soleil couchant
enflamme les vitrines et les devantures dans la rue.
Il est asiatique, thaï, ou vietnamien,
et très maigre, habillé comme les pauvres
en pantalon de costume froissé avec un plaid mackinckaw à carreaux
terne et trop grand.
Il négocie une flaque de glace
sur le trotttoir près de sa voiture,
ouvre la portière arrière de sa Fairlane,
se penche pour poser le linge à l'intérieur,
et se tourne, rien qu'un instant,
vers le tourbillon des pas
et des cris des piétons,
tandis qu'un garçon - c'est tout ce qu'il était -
recule au coin du magasin de depôt
en tirant de son pistolet, et fait feu,
une fois, sur l'homme éberlué
qui tombe en avant,
la main crispée sur la poitrine.
Quelques sons s'échappent de sa bouche,
un babillage que personne ne comprend
tandis que les gens s'approchent en cercle,
déconcertés par son discours.
Les bruits qu'il fait ne sont rien pour eux.
Le garçon est parti, perdu
dans le tableau léger du trafic piétonnier,
en tachetant la neige de fraîches empreintes.
Ce soir, j'ai lu que Descartes avait eu le grand courage
de douter de tout, sauf de sa propre et miraculeuse existence,
et je me sens si distinct
de l'homme blessé étendu sur le béton
que j'ai honte
Que le ciel nocturne le recouvre tandis qu'il meurt.
Que la dame tisseuse traverse le pont céleste
et hisse les mains froides du malheureux jusqu'à elle.
traduit de l'américain par E. Dupas